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Politique - Reportage

Pompier, médiateur, force tampon... Pour la Finul, une mission multitâche au Liban-Sud

Entre les forces onusiennes, l’armée libanaise et le Hezbollah, un ménage à trois qui ne dit pas son nom. 

Pompier, médiateur, force tampon... Pour la Finul, une mission multitâche au Liban-Sud

Une patrouille de la Finul au Liban-Sud. Photo A.-M.H.

Installés sur un ponton posé au sommet d’une colline, à la frontière libano-israélienne au niveau du Wazzani, deux soldats du contingent espagnol de la Finul (Forces intérimaires des nations-unies au Liban) ont braqué l’objectif de leurs caméras sur trois vaches laitières qui broutent tranquillement une bande d’herbe fraîche, à deux kilomètres à vol d’oiseau. « Ce sont probablement les vaches libanaises qui avaient été enlevées il y a quelques semaines par les Israéliens », commente l’un des Casques bleus postés à proximité du ponton. Le spectacle de ces vaches, qui se déroule au point séparant le Liban de la partie du Golan syrien occupé par Israël, est désormais familier pour les militaires onusiens. Amusé, un jeune officier espagnol affecté au Liban depuis quelques mois s’étonne encore à l’idée qu’une affaire de vaches puisse provoquer autant de tension. « Je n’arrive toujours pas à comprendre. C’est surréaliste », dit-il. Conjointement avec l’armée libanaise, déployée à quelques mètres de là, la force multinationale, postée au Liban depuis 1978, doit faire en sorte de désamorcer la crise et régler le litige sur-le-champ. « L’herbe est toujours plus verte de l’autre côté », commente, un sourire au coin des lèvres, Andrea Tenenti, le porte-parole de la Finul, au sujet de l’égarement du bétail libanais, il y a plus de deux mois, chez le voisin israélien, techniquement en état de guerre avec le Liban.


Le fleuve Wazzani crée une frontière naturelle entre Israël et le Liban. Photo A.-M.H.

En plusieurs points de la ligne bleue qui sert de délimitation temporaire entre les deux pays, les incidents de « kidnapping » de vaches, poules et moutons, parfois aussi de bergers, occupent une large part de l’emploi de temps des forces onusiennes. Celles-ci veillent à rapporter et résoudre toute violation de cette ligne tracée conjointement par la Finul et l’armée libanaise, mais contestée en plusieurs endroits par les deux pays. Près de la moitié de ce tracé est donc restée sans marquage. D’où la récurrence d’incidents, parfois anodins, mais qui n’en prennent pas moins parfois une ampleur excessive, notamment en raison de la hantise des Israéliens que sous les atours d’un faux berger, se cache un vrai agent du Hezbollah.Établie, en coordination avec le Liban et Israël, par les Nations unies en 2000 dans l’objectif pratique de confirmer le retrait des forces israéliennes du Liban-Sud, la ligne bleue et son monitoring par la Finul ont permis à maintes reprises d’éviter les escalades et les malentendus des deux côtés de la démarcation.


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Bordé de plusieurs complexes touristiques du côté libanais, le Wazzani est l’un des exemples types de cette géographie accidentée qui pose problème. Le fleuve, qui longe l’un des restaurants construits du côté libanais, crée une frontière naturelle entre les deux pays. « Souvent, nous sommes dépêchés sur les lieux parce qu’un des clients a voulu traverser à la nage en direction de la terre ferme du côté du Golan. Il a le droit de nager jusqu’au milieu du fleuve, mais pas plus », explique un officier de la Finul.

L’un de ces centres de loisir a été fondé par un Libanais chiite qui a fait fortune en Afrique. L’architecture des lieux, des huttes en paille brunâtre, offre aux visiteurs un léger goût d’exotisme. Ici, on vient souvent par fascination pour « l’ennemi », qui se trouve à quelques mètres à peine, ou tout simplement pour le défier une bière à la main. Les incidents ne manquent pas, venant ajouter une dose d’adrénaline et agrémenter ce décor kafkaïen. « Rien que pour réaliser de simples travaux de drainage dans le fleuve, il a fallu une fois mettre en branle le comité tripartite (qui regroupe des représentants des deux armées libanaise et israélienne, et de la Finul, NDLR). Les soldats Israéliens se sont mobilisés d’un côté, les Libanais de l’autre », racontait, amusé, il y a quelques années, le propriétaire des lieux, Abdallah Khalil. Par la suite, il a fallu soumettre un préavis pour en informer la force multinationale en amont afin de minimiser les risques et éviter l’escalade.


Des vaches libanaises broutant au point séparant le Liban de la partie du Golan syrien occupé par Israël. Photo A.-M.H.

« Ici, on mange et on boit italien »

Le comité tripartite, c’est ce mécanisme original instauré par la Finul après 2006 pour tenter de résoudre les différends entre les deux parties et éviter les escalades sous l’arbitrage des Casques bleus. Lors de ces rencontres – il y en a eu 142 à ce jour –, le dialogue s’effectue en triangle : les officiers libanais et israéliens s’adressent successivement au commandant en chef de la force onusienne – le général Stephano Del Co, actuellement – sans jamais se regarder en face. « Même l’eau et la nourriture sont importées d’Italie pour rassurer les deux parties », précise Andrea Tenenti.

C’est ce genre de détails pouvant paraître quelque peu burlesques qui rend le mieux compte de la sensibilité de la mission dont la Finul est investie. Au lendemain de la guerre de 2006 entre Israël et le Liban, les forces onusiennes ont été chargées de l’application de la résolution 1701 du Conseil de sécurité qui avait permis la cessation des hostilités entre les deux pays. Secondées par l’armée libanaise, redéployées au Liban-Sud après la guerre de 2006, les forces multinationales, qui comptent près de 10 800 membres aujourd’hui, ont la difficile tâche d’aider la troupe à étendre son autorité sur l’ensemble du territoire, notamment au sud du Litani où le Hezbollah est solidement implanté. La résolution 1701 définit le périmètre d’action de la Finul et prévoit l’établissement d’une zone d’exclusion des armes autres que celles de la troupe.

« Aucune force paramilitaire, y compris le Hezbollah, ne doit se trouver au sud de la rivière Litani », stipule le texte. Un défi de taille pour les Casques bleus qui se retrouvent en terrain miné où ils se livrent depuis à un véritable jeu de cache-cache avec le parti chiite. La Finul ne peut accéder aux propriétés privées dans la zone dont elle est en charge quels que soient les motifs. Le Hezbollah, dont les membres fusionnent souvent avec la population locale, est difficilement détectable, ainsi que ses caches d’armes. Tant que des violations flagrantes et visibles n’ont pas lieu, c’est la politique de l’évitement qui prévaut.

Enfoncé dans un grand fauteuil en cuir en sa résidence à Naqoura, le commandant de la Finul, le général Del Col, raconte quelque-unes des histoires saugrenues qui ponctuent une mission située au carrefour de la diplomatie, du militaire et du politique. Sirotant son expresso italien qu’on lui fait parvenir depuis son pays, l’Italie, l’officier, un ancien routier de la force onusienne au sein de laquelle il avait déjà servi des années durant, revient sur l’épisode des célèbres galeries souterraines mises au jour en décembre 2018 lors de la vaste opération israélienne « Bouclier du Nord ». Ce fut l’un de ces incidents militaro-politiques qui ont mobilisé nuit et jour le patron de la Finul. Le général Del Col assure qu’il est à ce jour difficile de prouver à quelle époque ces tunnels ont été creusés et qui en sont les auteurs. Selon Tel-Aviv, ces tunnels, qui s’enfoncent à 80 mètres de profondeur, en violation de la résolution 1701, devaient servir au Hezbollah à passer du Liban à Israël afin d’enlever ou d’assassiner des soldats ou civils israéliens.

Un officier de l’ONU ayant requis l’anonymat se souvient avoir ressenti à l’époque des vibrations à un rythme plus ou moins régulier. « Sauf qu’il était très difficile de vérifier sur le terrain l’origine de ces vibrations inhabituelles, à moins de se voir accuser de violer une propriété privée », raconte-t-il.

Après cette découverte, les Israéliens se sont attelés à bloquer ces galeries en y injectant d’énormes quantités de ciment. « Ils ont si bien fait que le ciment a fini par rejaillir du côté libanais, tout près d’une usine à briques, dans la région de Kfarkila », poursuit le militaire. Dépêchés sur place, les soldats de la Finul ont été empêchés de visiter les lieux sous prétexte qu’il s’agissait précisément d’« une propriété privée ». Un argument que brandissent souvent les habitants pour interdire aux Casques bleus d’aller au-delà d’une certaine limite, réduisant ainsi leur liberté de mouvement sur le terrain.

C’est notamment le cas avec Green Without Borders, une ONG présumée environnementale fondée par le Hezbollah et qui lui sert de couverture civile pour décourager toute tentative d’enquête sur les lieux. Répartis en douze points considérés comme stratégiques, les locaux de ces associations sont d’accès difficile, même si l’armée libanaise et des unités de la Finul « ont pu en visiter quelques-uns », explique M. Tenenti.

Ici, on n’affectionne pas trop les Casques bleus qui suscitent des sentiments contradictoires au sein d’une population qui s’est pourtant habituée à cohabiter avec eux. Les patrouilles mobiles et pédestres des forces multinationales ont souvent été la cible de manœuvres d’obstruction et de réactions parfois agressives de la part des habitants. Ce fut notamment le cas le 4 août 2018, soit moins de deux semaines avant le renouvellement du mandat de la Finul. Ce jour-là, une patrouille de Casques bleus a été interceptée au niveau de la localité de Majdel Zoun, au Liban-Sud. Les soldats ont été menacés par des armes illégales, des véhicules ont été incendiés, et des armes et des équipements ont été saisis. Un message musclé à l’adresse des États-Unis et d’Israël qui souhaitent voir, depuis des années, le mandat de la force multinationale renforcé et rendu plus « efficace ». Un an plus tard et presque à la même date, un second incident s’est produit au passage d’un véhicule d’une unité finlandaise qui est entrée en collision avec deux voitures et une moto. Les habitants ont coupé la route principale du village au moyen de pneus enflammés. Un communiqué publié par les autorités locales a souligné que la patrouille de la Finul avait pénétré dans le village « sans coordination ou escorte » de l’armée libanaise.


Une route qui marque la frontière entre le Liban et Israël. Photo A.-M.H.

Chorégraphie à quatre

Ce sont de tels incidents qui ont poussé les Casques bleus à se faire plus discrets, notamment en utilisant des véhicules plus légers lors des patrouilles mobiles effectuées dans les villages aux routes souvent étroites. Équipés d’un système de communication militaire hissé sur le toit, de bombes fumigènes et de brouilleurs pour désamorcer d’éventuelles bombes placées au bord des routes, les véhicules blindés de la force multinationale sillonnent les chemins sinueux à proximité de la zone-tampon du Sud-Liban. De temps à autre, la patrouille onusienne croise des blindés de l’armée dont la présence dans la zone reste relativement discrète.

Servant d’interface avec le Hezbollah, les militaires libanais sont devenus incontournables et leur rôle essentiel pour éviter les dérapages. Ce sont eux, pratiquement, qui jouent aux médiateurs et s’interposent entre le Hezbollah et les Casques bleus pour éviter tout dérapage. À son tour, la Finul sert de médiateur et de force tampon, en quelque sorte, entre l’armée libanaise et Israël, notamment lors des réunions du comité tripartite ou lorsque les incidents sécuritaires débordent sur le côté israélien.

Une chorégraphie à quatre à laquelle tout le monde est aujourd’hui plus ou moins bien rodé, chacun connaissant la cadence de la danse, mais aussi ses limites et ses risques si l’une des parties devait s’aventurer dans un faux pas quelconque. Une sorte de modus vivendi s’est mis en place entre les différentes parties qui restent toutefois aux aguets.

C’est du côté de Adayssé-Kfarkila, une enclave libanaise qui s’invite en territoire israélien, que l’on comprend le mieux ce ménage à quatre et les équilibres fragiles que la Finul tente de préserver conjointement avec les soldats libanais.

Avant d’arriver en cet endroit particulier baptisé le « plateau de la propagande » et devenu un lieu de tourisme politique par excellence, la pancarte d’un snack du coin, al-Wala’ (l’allégeance), annonce déjà la couleur. Quelques mètres plus loin, une immense enseigne colorée « I love Adaysé », plantée au tournant de la rue, attire successivement les visiteurs mais aussi les protestataires en temps de crise, sous l’œil vigilant des effectifs de la Finul qui doivent par moment solliciter l’intervention de l’armée libanaise.


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Le Hezbollah de plus en plus en porte-à-faux

« Le 25 juin dernier, des jeunes ont lancé des bombes fumigènes du côté libanais qui ont atteint le restaurant qui se trouve de l’autre côté de la rue », raconte un jeune Libanais qui se trouvait sur les lieux. La veille, les Israéliens avaient riposté après avoir été visés par un jet de pierres alors qu’un technicien tentait de réparer l’une des caméras cassées. De ce point, l’on a une vue imprenable sur le colossal mur de 7 mètres de haut et 79 kilomètres de long qu’Israël a érigé sur sa frontière.

En contrebas de ce rideau de béton, des drapeaux du Parti syrien national social et du Hezbollah ainsi que des portraits de Moustapha Badreddine (figure adulée du parti chiite tué en 2016 en Syrie et l’un des cinq membres du mouvement chiite accusés par le TSL d’implication dans le meurtre de Rafic Hariri) sont accrochés sur le treillis en métal servant de double clôture. Le 15 mai dernier, des centaines de protestataires libanais et palestiniens s’étaient rassemblés à cet endroit afin de crier leur soutien à la Palestine et exprimer leur « solidarité » avec les manifestants palestiniens blessés dans des heurts avec la police israélienne à Jérusalem-Est. L’affaire a immédiatement mobilisé tous les protagonistes qui ont rapidement œuvré à calmer le jeu.

« Le plus grand employeur après l’État »

Même si certains le font parfois à contrecœur, les habitants de la zone placée sous le mandat de la Finul ne peuvent que consentir à la présence des forces onusiennes. Parallèlement à leur mission de maintien de la paix, les Casques bleus investissent d’ailleurs des millions de dollars en activités médicales ou pédagogiques, par exemple, qui profitent aux habitants de la région. En plus des sommes phénoménales dépensées sur place pour ses propres besoins, la force multinationale constitue dans cette région le deuxième employeur après l’État, rendant ainsi sa présence plus acceptable, même pour les plus réticents. Sur les mille fonctionnaires employés par l’organisation, six cents sont d’ailleurs des locaux.

Dans les quartiers généraux des Casques bleus à Naqoura, c’est le même leitmotiv qui revient : le rôle de l’armée est essentiel pour la préservation de la stabilité et de la paix. « Notre objectif ultime est de voir la troupe prendre un jour la relève », commente le commandant en chef de l’armée, le général Del Col. En attendant, les Casques bleus et l’armée libanaise veillent à préserver une stabilité plus ou moins acquise mais qui reste très fragile tant elle peut voler en éclats à n’importe quel moment. Pour l’heure, aucune des deux parties, Israël et le Hezbollah, ne semble disposée à réitérer le scénario de 2006.

(Ce papier a été écrit avant les derniers affrontements entre Israël et Hezbollah à la frontière le 5 août courant).

Installés sur un ponton posé au sommet d’une colline, à la frontière libano-israélienne au niveau du Wazzani, deux soldats du contingent espagnol de la Finul (Forces intérimaires des nations-unies au Liban) ont braqué l’objectif de leurs caméras sur trois vaches laitières qui broutent tranquillement une bande d’herbe fraîche, à deux kilomètres à vol d’oiseau. « Ce sont...

commentaires (2)

Pauvres soldats de la FINUL, abusés par le Hezbollah et les israéliens et en situation d'otages permanents. A quoi servent-ils? Au lieu de se faire humilier quotidiennement, ils feraient mieux de plier bagage et de les laisser se battre tranquillement- puisque leur présence n'est pas appréciée. Une dépense de moins pour leurs contribuables!

Mago1

22 h 53, le 21 août 2021

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Commentaires (2)

  • Pauvres soldats de la FINUL, abusés par le Hezbollah et les israéliens et en situation d'otages permanents. A quoi servent-ils? Au lieu de se faire humilier quotidiennement, ils feraient mieux de plier bagage et de les laisser se battre tranquillement- puisque leur présence n'est pas appréciée. Une dépense de moins pour leurs contribuables!

    Mago1

    22 h 53, le 21 août 2021

  • Dommage qu’on ne puisse plus se promener normalement dans cette belle région libanaise et vivement la paix bientôt.

    Wow

    13 h 00, le 21 août 2021

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