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Moyen-Orient - Éclairage

Comment l’Iran exporte son pétrole sur le « marché gris »

Malgré les sanctions américaines qui paralysent son économie, la République islamique parvient à vendre une partie de son pétrole à travers différentes méthodes de contournement des mesures punitives de Washington.

Comment l’Iran exporte son pétrole sur le « marché gris »

Sur cette photo d’archives prise le 18 août 2019, un drapeau iranien flotte à bord du pétrolier Adrian Darya, anciennement connu sous le nom de Grace 1, au large de Gibraltar. Photo AFP

En quelques mois, la donne a changé. Alors que l’amorce, en avril dernier, de pourparlers entre Washington et Téhéran faisait miroiter la conclusion rapide d’un accord rétablissant le Plan d’action global conjoint (JCPOA), l’heure est aujourd’hui à la désillusion. Entre les deux protagonistes, les discussions sont au point mort et la perspective d’un retour au deal sur le nucléaire de 2015 – dont l’ancien président Donald Trump s’était unilatéralement retiré en 2018 – n’a jamais semblé aussi éloignée. Or un tel accord mettrait fin aux diverses sanctions imposées à l’économie iranienne, à commencer par les mesures mises en œuvre par les États-Unis visant à ramener les exportations de pétrole de la République islamique à « zéro ».

« De toute évidence, la situation de l’industrie pétrolière iranienne est fortement influencée par les sanctions américaines, qui ont provoqué un effondrement des exportations de pétrole iranien. Trouver des débouchés et des marchés pour le pétrole fait donc partie des priorités de l’Iran », commente David Jalilvand, chercheur associé à l’Oxford Institute for Energy Studies et spécialiste de l’Iran au centre de recherche Orient Matters, à Berlin. « Cela va de pair avec l’objectif de maintenir la production de pétrole au maximum, car de nombreux champs pétrolifères sont plutôt anciens et pourraient subir des dommages si la production est interrompue », poursuit-il, notant que dans ce contexte le raffinage domestique s’est développé « pour trouver une utilisation alternative au pétrole » et « pour réduire le besoin d’importer de l’essence et d’étendre la chaîne de valeur nationale ». Selon les statistiques officielles, les exportations iraniennes en or noir début 2018 atteignaient presque 2,5 millions de barils par jour (mbpj). « Les effets des sanctions américaines les ont réduites de 80 à 95 %, suivant les analystes, souligne Scott Lucas, professeur émérite de politique internationale à l’Université de Birmingham. En 2011, l’Iran a encaissé plus de 119 milliards de dollars des exportations de pétrole. » Des revenus qui, selon des officiels iraniens en 2019, sont tombés à environ entre 8 et 9 milliards.


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À l’époque où la réactivation de l’accord de Vienne n’avait pas encore été rejetée aux calendes grecques, certains experts pariaient sur une augmentation de la production et de la vente d’or noir similaire à celle qui avait été enregistrée au lendemain de la signature du deal en 2015 jusqu’au retrait de Washington trois ans plus tard.

Dans le cadre de la stratégie iranienne actuelle, les exportations vers la Chine jouent un rôle crucial. À la fin de l’année 2020, une hausse considérable des exportations officielles iraniennes est notée, « presque exclusivement due à une augmentation des importations chinoises, rappelle M. Lucas. En novembre 2020, les estimations allaient de 415 000 barils par jour à 1,2 million de barils pour les exportations de l’Iran vers la Chine et d’autres pays. En mars 2021, des analystes disaient que la Chine importait jusqu’à 900 000 bpj ». Assurément, Pékin est donc aujourd’hui le principal client de la République islamique, grâce au développement d’un système adapté à l’importation de pétrole iranien, très peu exposé au système financier mondial. D’autres pays, tels que le Venezuela ou encore la Syrie – où l’Iran est présent militairement et politiquement –, sont concernés par ces ventes.

De navire à navire

Même s’il est difficile d’estimer les quantités d’or noir vendues par Téhéran sur le « marché gris », elles restent significatives de la capacité du pays à mettre en place des stratégies de contournement. Dernier épisode en date, les déclarations du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, affirmant jeudi qu’un navire iranien chargé de carburant s’apprêtait à appareiller pour le Liban, en cruel manque de ressources énergétiques. « À ce stade, il n’y a aucune confirmation indépendante du fait qu’un navire avec du carburant iranien soit parti pour le Liban. L’annonce du Hezbollah pourrait très bien n’être qu’une décision politique pour que d’autres fournissent au pays le carburant dont il a tant besoin », nuance toutefois David Jalilvand, de l’Oxford Institute for Energy Studies.

Si l’annonce venait néanmoins à se confirmer, les contours de sa mise en œuvre interrogent : quelle route pour le navire iranien ? Quels risques pour le Liban ? « Le navire aurait besoin d’atteindre la Méditerranée, soit par le canal de Suez, soit par le détroit de Gibraltar, ce qui prendrait plus de temps, commente M. Jalilvand. Si le navire devait accoster dans un port libanais, cela mettrait le Liban directement sous la menace de sanctions américaines. Il est donc possible que le navire décharge sa cargaison en Syrie, d’où elle peut être acheminée au Liban par voie terrestre. » Il y a près d’un mois, les autorités iraniennes ont annoncé l’ouverture d’un terminal pétrolier dans le golfe d’Oman afin d’éviter d’utiliser la route maritime du détroit d’Ormuz au cœur des tensions régionales. Situé près du port de Jask sur le golfe d’Oman, juste au sud du détroit d’Ormuz, il permettrait aux navires se dirigeant vers la mer d’Arabie et au-delà d’éviter la route étroite. Téhéran a également construit un oléoduc de 1 000 kilomètres pour transporter son brut vers le nouveau terminal au sud-est de Goreh, dans la province de Boushehr. D’après le pouvoir, l’emplacement du nouveau terminal devrait permettre d’économiser plusieurs jours de navigation aux pétroliers partant au large.

Parce que les sanctions de Washington ne visent pas uniquement la République islamique mais toute entité commerçant avec, l’Iran est resté très discret sur la nature de ces échanges. « L’Iran est un habitué des fortes pressions économiques. Il a survécu à près de 40 ans de sanctions américaines, ainsi qu’à des sanctions sévères de l’ONU sur son programme nucléaire de 2010 à 2015, rappelle Omid Shokri, consultant en énergie basé à Washington. Il a donc appris à éviter les sanctions pour vendre son pétrole et obtenir les produits et les matières premières nécessaires au maintien de son économie. »


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Les techniques sont nombreuses. « Par le passé, l’Iran a utilisé un réseau variable d’entreprises fictives dans des pays comme la Chine, les Émirats arabes unis, l’Irak et le Liechtenstein pour mener ses activités. Ces sociétés sont généralement dirigées par des étrangers et enregistrées sous des noms obscurs », explique le spécialiste, qui insiste sur le rôle important joué par les intermédiaires en Iran et dans les pays voisins pour contourner les mesures punitives. « En tant que moyen d’exporter du pétrole, les pétroliers ressemblent de loin aux autres navires mais ont des caractéristiques assez différentes », dit-il, mentionnant des méthodes d’évasion variées telles que le transfert de navire à navire, le transfert à partir de plusieurs pétroliers – par lequel la matière est transportée en étant transférée vers différents navires le long de la route afin d’éviter que le pétrolier ne soit suivi – ou encore le transfert en cours de chemin entre deux pétroliers naviguant à vitesse réduite.

Malgré cette créativité, rien ne peut compenser l’impact colossal des sanctions américaines, d’autant plus que Pékin a réduit ces derniers mois ses achats de manière considérable, menant à une chute des exportations au cours des deux dernières saisons. « L’Iran parle d’autres moyens de développer ses ventes de pétrole malgré les sanctions, en déplaçant le pétrole sur sa propre bourse, afin que les acheteurs privés puissent acheter leur pétrole et le déplacer. Ce n’est pas réaliste, dit Scott Lucas. L’idée que le pays, via son propre marché intérieur individuel, puisse d’une manière ou d’une autre développer des capacités d’exportation via ses entreprises privées ne se produira pas. »

En quelques mois, la donne a changé. Alors que l’amorce, en avril dernier, de pourparlers entre Washington et Téhéran faisait miroiter la conclusion rapide d’un accord rétablissant le Plan d’action global conjoint (JCPOA), l’heure est aujourd’hui à la désillusion. Entre les deux protagonistes, les discussions sont au point mort et la perspective d’un retour au deal sur le...

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