Le Hezbollah est cerné par les crises. Depuis l’explosion du port de Beyrouth, le parti a commencé à élaborer les pires scénarios. Ainsi, avec la démission du gouvernement de Hassane Diab, il a été question au sein du parti, entre autres options, que le gouvernement sortant continue à expédier les affaires courantes jusqu’à la fin du mandat présidentiel. Le parti dispose d’une cellule d’évaluation politique et stratégique et d’un centre de recherche et d’études. Depuis un an, ces services travaillent à évaluer les possibilités futures et à élaborer des plans pour faire face aux développements.
Le Hezb a ainsi mis en place trois plans pour trois scénarios différents. Le premier est lié à la formation d’un gouvernement auquel participent les différentes forces politiques. Le deuxième, au cas où le premier échouerait, viserait à renflouer le gouvernement sortant pour gérer les affaires de l’État à l’ombre de l’effondrement. Et le troisième, en cas d’échec des deux premiers, consisterait à se préparer logistiquement pour protéger sa base populaire et ses fiefs sur les plans sécuritaire, social et alimentaire, cela devant inclure la fourniture de carburant, même si cela nécessite d’en faire venir d’Iran à travers la Syrie.
Le Hezbollah observe le processus gouvernemental depuis la désignation de Moustapha Adib, il y a un an, puis de Saad Hariri, en octobre, et enfin de Nagib Mikati, le mois dernier, pour former le cabinet. En pratique, il a avalisé la nomination de ces trois personnalités sunnites, car il ne veut pas de sédition sunnito-chiite et souhaite un compromis qui donne naissance à un gouvernement dans lequel tout le monde assume ses responsabilités, pour ne pas qu’il se retrouve unique responsable de la crise ou du blocage.
Mais jusqu’ici, le processus gouvernemental demeure compliqué aux yeux du parti. Des proches estiment ainsi que les circonstances objectives qui ont entravé la mission de M. Adib et de M. Hariri sont restées inchangées. Le Hezbollah n’est donc pas optimiste quant à la capacité de M. Mikati de mener à bien sa mission, bien qu’il le souhaite, car il est dans une position où il entrevoit le pire. Lorsque le parti a décidé de nommer Nagib Mikati lors des consultations parlementaires (alors qu’il n’avait nommé personne lors des deux rounds précédents qui ont mené à la désignation de Adib puis de Hariri), le Courant patriotique libre s’y était opposé et avait qualifié cette démarche de « trahison » et d’abandon par le Hezb de ses alliés. Un délégué de la formation chiite s’est alors rendu auprès du chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, et lui a expliqué que son parti ne pouvait pas faire face à l’unanimité sunnite, et que le pays ne pouvait pas être laissé sans gouvernement, car tout augure d’une explosion majeure.
La décision du Hezbollah de nommer M. Mikati visait en fait un objectif plus important, qui est d’éviter d’être tenu responsable de l’obstruction. En même temps, le parti chiite continue de s’abstenir de faire pression sur le président Michel Aoun et M. Bassil pour qu’ils fassent des concessions et facilitent la formation du gouvernement. Ainsi, après la cinquième rencontre Mikati-Aoun, de laquelle le Premier ministre désigné était sorti avec une impression négative, une rencontre a eu lieu entre M. Mikati et Hussein Khalil, conseiller politique du secrétaire général du Hezbollah, pour l’informer de la situation et demander au parti chiite d’intervenir auprès de M. Aoun pour faciliter les choses, mais le parti a clairement dit qu’il ne ferait pas pression sur le chef de l’État et ne contribuerait pas à le briser. Se sentant assiégé de toutes parts, le Hezbollah n’est pas disposé à contraindre Michel Aoun à faire des concessions, parce qu’il ne veut pas perdre son soutien dans ces circonstances délicates.
« Ils ne nous connaissent pas »
Des sources proches du parti ne cachent pas sa grande inquiétude d’être continuellement ciblé politiquement et dans l’opinion publique à travers les médias. Qu’il s’agisse de la responsabilité qui lui est imputée dans l’explosion du port, ou de celle d’entraver la formation du gouvernement ou encore de lier le sort du Liban à l’évolution des négociations iraniennes avec l’Occident, et enfin d’être à l’origine de l’escalade contre Israël, le Hezbollah a gardé le mutisme face à toutes ces critiques.
Alors que les Libanais commémoraient l’anniversaire de la tragédie du port, et qu’une grande partie d’entre eux pointaient du doigt le Hezb, trois missiles ont été lancés depuis le sud du Liban sur Israël. Le parti chiite n’a pas revendiqué ces tirs. Beaucoup l’ont accusé d’avoir lancé ces roquettes pour faire diversion sur la commémoration. Un haut responsable du parti répond : « Ils ne nous connaissent pas. C’est pour cela qu’ils ignorent comment nous agissons. » Le Hezbollah n’avait pas tiré ces roquettes lui-même. De sources sécuritaires, il a été précisé que le groupe qui a lancé les roquettes s’appelle « Nabad el-Saraya », et qu’il comprend des éléments palestiniens et libanais liés au Hezbollah. Ce groupe s’était manifesté dans le passé de la même manière en solidarité avec Gaza et en vertu du principe « d’unification des fronts », que Hassan Nasrallah avait annoncé il y a des années lorsqu’il menaçait les Israéliens de représailles s’ils attaquaient l’Iran.
Le lancement des missiles est intervenu dans le cadre de l’escalade au début du mois dans le golfe Arabo-Persique, lorsqu’un navire israélien a été pris pour cible par l’Iran et que les États-Unis et la Grande-Bretagne ont menacé l’Iran de représailles. Israël a répondu aux tirs de roquettes de manière non accoutumée en ciblant avec l’artillerie pendant la journée différents points le long de la zone frontalière dans le sud du Liban, et effectuant la nuit deux raids aériens sur une route principale à proximité du pont de Khardali, un site stratégique reliant l’extrême sud du Liban aux différents secteurs est et ouest, et que le Hezbollah emprunte pour aller de la Békaa vers le Sud. C’est en même temps la ligne de démarcation entre la zone couverte par la Finul (Force intérimaire des Nations unies), au sud du Litani, et le reste du pays.
Le Hezb a interprété la riposte israélienne comme une tentative de modifier la règle du jeu et de cibler des zones plus en profondeur, ce qui pourrait augurer d’autres objectifs. Il a ainsi répliqué moins de 48 heures plus tard pour, dans son esprit, revenir aux règles d’engagement et empêcher qu’elles soient modifiées, et cela dans le but de faire avorter toute pression extérieure destinée à amender la nature de la mission de la Finul dans le Sud, lors de la réunion du Conseil de sécurité qui se tiendra avant fin août pour renouveler le mandat de cette force.
Des parties extérieures
Le 6 août, lorsque des membres du Hezbollah ont tiré 20 roquettes à partir d’une camionnette sur Israël, depuis les bois de la localité druze de Chouaya, un élément imprévisible s’est produit. Des habitants de la localité ont bloqué le camion transportant le lance-roquettes et arrêté huit membres du parti avec leurs armes. Les habitants refusaient d’exposer leur région au danger de la riposte israélienne et d’être utilisés comme boucliers pour les tirs de roquettes. Le Hezbollah s’est empressé de travailler à calmer les esprits, il a contacté l’armée pour faire libérer ses jeunes gens et demandé qu’on lui remette le camion et les roquettes. Mais il a considéré que l’incident était grave car il lui a barré la route vers le Sud, ce à quoi il ne s’attendait pas. Il a commencé à se sentir plus assiégé et à réaliser que des conflits sectaires pouvaient survenir à tout moment.
De plus, cet incident s’est produit une semaine après celui de Khaldé, au cours duquel le parti est entré en conflit avec des clans sunnites sur fond d’une affaire de vendetta. À cette occasion, il a été à nouveau confronté à ce qui le taraude depuis le début du mouvement de contestation du 17 octobre 2019, à savoir la fermeture à répétition de la route entre Beyrouth et le Liban-Sud. Enfin, on ne saurait occulter l’ambiance générale hostile au Hezbollah qui règne dans l’opinion chrétienne, où il est tenu responsable de l’effondrement du pays, sans parler de l’explosion du port.
Conscient donc de l’ampleur de la crise, qui s’est exacerbée après l’homélie incendiaire, il y a quelques jours, du patriarche maronite Béchara Raï qui a accusé le Hezb de monopoliser la décision de la guerre et de la paix, le parti chiite a fait savoir au chef de l’Église qu’il ne souhaitait pas s’engager dans un échange de diatribes avec lui, et ce malgré les divergences de vues. Des sources proches de Bkerké indiquent que des responsables religieux chrétiens ont entamé de leur côté des contacts pour calmer le jeu.
Pour le Hezbollah, il est clair que toutes ces marques d’hostilité sont encouragées par des parties extérieures. Il s’attend donc à ce que des incidents similaires se multiplient dans un proche avenir. il considère en outre que des efforts sont déployés pour susciter des différends au sein même de la communauté chiite pour l’affaiblir. Il va même jusqu’à accuser l’étranger, mais aussi les forces de la société civile, de financer des personnalités d’opposition chiites pour préparer une dissidence au sein de la communauté. Face à toute cette évolution, le Hezbollah sait que la situation dans laquelle il se trouve est difficile, mais il affirme qu’il ne renoncera à aucune de ses constantes.
commentaires (13)
Nous serons très intéressés de voir si la FINUL arrêtera ce navire d’Iran avec le pétrole car son rôle est aussi dans le secteur maritime et si fin Août le monde occidentale ne demandera pas un changement dans le rôle de la FINUL qui a été incapable de découvrir les tunnels construits pour attaquer Israel à partir du Liban et à travers des territoires sous son contrôle
LA VERITE
05 h 17, le 20 août 2021