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Les tâcherons de l’invivable

Bien des peuples ont eu, à un moment ou l’autre de leur histoire, à choisir entre deux maux le moindre. On en a vu d’ailleurs qui, à la lâche tranquillité d’une soumission aux volontés hitlériennes, ont préféré le sang, la sueur et les larmes que leur promettait un Winston Churchill.

Pas même l’ombre d’un mini-Churchill hélas à notre horizon. Les chefs politiques dont se trouve affligé aujourd’hui Liban ne se contentent pas d’étaler, jour après jour, leur incapacité à gouverner. Sous couvert de défendre les droits de leurs communautés, ce sont les privilèges matériels du pouvoir qu’ils se disputent férocement, dût le pays entier en souffrir, et avec lui la fameuse formule de convivialité libanaise. Ce qu’ils s’acharnent en réalité à démontrer, c’est que notre pays est viscéralement ingouvernable, que seule la botte étrangère peut y mettre quelque ordre. Ils ne font ainsi qu’apporter de l’eau (sale !) au moulin des malveillants qui, depuis la création de l’État libanais il y a un peu plus d’un siècle, n’ont cessé de le décréter non viable.

Que pouvait-il y avoir de pire encore ? C’était de rendre invivable, faute de commodités élémentaires, un pays qui étonna et séduisit le monde par son formidable dynamisme, sa frénétique exubérance. D’autant plus révoltante est l’infortune frappant le peuple libanais qu’elle n’est guère due à quelque cataclysme naturel mais à l’incompétence, la veulerie et la corruption – universellement attestées, elles aussi – de ses dirigeants. Le peuple, on a passé des décennies à le voler outrageusement. On a fini par l’appauvrir, on l’a affamé, on l’a humilié, on l’a poussé à l’exode, on s’est même joué de sa sécurité physique comme l’an dernier dans le port de Beyrouth. Et voilà maintenant qu’on s’apprête à lui dénier les moyens de subsistance les plus basiques : le plus infime frisson de courant électrique, la moindre lampée de carburant, le gaz butane, le pain, le médicament, les soins hospitaliers…

Quant à savoir comment sera asséné le coup de grâce, ne vous fatiguez pas à essayer d’imaginer ce que pourrait être ce fameux moindre mal : les prétendues solutions se valent toutes en infamie et de toute manière, on ne vous donne pas le choix. Catastrophique serait ainsi, pour le citoyen, la levée, tenue pour imminente, des subventions dont bénéficient les produits et denrées essentiels, ceux-là mêmes qui continuent imperturbablement, pourtant, d’être acheminés en contrebande vers la Syrie. Catastrophique et carrément crapuleuse serait, en revanche, toute atteinte aux réserves obligatoires de la Banque centrale, c’est-à-dire aux avoirs, déjà gelés, des déposants.

Dans un cas comme dans l’autre, c’est un séisme social d’une magnitude sans précédent que ces frustes tâcherons du pouvoir réservent aux Libanais. Aberrantes étaient, au départ, ces subventions dont les plus fortunés bénéficiaient au même titre que les plus défavorisés. Inquiétante en diable est à son tour cette rationalisation de la politique de soutien sur laquelle planche, sans hâte excessive, un pouvoir inconsistant, et qui ne saurait passer pour un modèle de raison. Non moins sujette à suspicion est d’ailleurs cette carte d’approvisionnement destinée aux familles démunies, et dont tout porte à croire qu’elle obéira à l’immuable règle du clientélisme.

Le pillage est consommé, le pays est exsangue ; mais à qui sait y faire, il y aura toujours moyen de grappiller.


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Bien des peuples ont eu, à un moment ou l’autre de leur histoire, à choisir entre deux maux le moindre. On en a vu d’ailleurs qui, à la lâche tranquillité d’une soumission aux volontés hitlériennes, ont préféré le sang, la sueur et les larmes que leur promettait un Winston Churchill.
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