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Idées - Point de vue

Assurer une allocation responsable des droits de tirage spéciaux au Liban


Assurer une allocation responsable des droits de tirage spéciaux au Liban

Photo d’illustration : archives Reuters

En tant que pays membre du Fonds monétaire international, le Liban devrait recevoir une injection de liquidités d’environ 860 millions de dollars, correspondant à sa quote-part sur l’émission exceptionnelle de droits de tirage spéciaux (DTS) prévus par l’organisation internationale pour répondre aux chocs économiques mondiaux provoqués par la pandémie de Covid-19. Ce soutien est loin d’être négligeable à court terme. Surtout à l’heure où le pays traverse l’une des pires crises économiques et financières de l’histoire moderne, comme le souligne le dernier rapport économique de la Banque mondiale : le PIB par habitant a ainsi chuté à son niveau le plus bas depuis 20 ans tandis que l’extrême pauvreté a plus que triplé en moins de deux ans. Cependant, cette aide est fournie sans aucune condition préalable d’utilisation ou de surveillance, ce qui soulève des inquiétudes quant à la façon dont ces fonds seront utilisés et alloués.

D’autant que l’effondrement économique du pays résulte en partie d’une crise plus large de gouvernance qui traduit une capacité d’intervention limitée de l’État, la corruption, l’emprise des élites et un déficit de confiance dans le gouvernement. L’accumulation de ces variables s’est d’ailleurs avérée être une impasse importante dans les négociations entre le FMI et le gouvernement, notamment en ce qui concerne la volonté de ce dernier d’accepter les réformes nécessaires pour recevoir les prêts espérés.

Risques

Depuis le début de la crise en 2019, le gouvernement n’a pas pu ou voulu prendre de mesures pour mettre fin à la fuite des devises, notamment en adoptant une loi sur le contrôle des capitaux et en restructurant sa dette et son secteur financier. Au lieu de cela, et pour atténuer l’impact de la dévaluation sur les prix à la consommation, le gouvernement a mis en place un système de subvention aussi coûteux qu’inéquitable qui a été mis en œuvre avec, au mieux, une supervision opérationnelle limitée, ce qui le rend très susceptible d’être manipulé par les acteurs – de nombreux indices suggèrent ainsi que certaines importations subventionnées ont probablement été réexportées contre des dollars ou thésaurisées par les distributeurs en prévision d’une nouvelle inflation ou de la levée des subventions. Avec l’absence de restrictions sur les sorties de capitaux et les anticipations relatives à la détérioration des conditions financières, le système de subventions a ainsi contribué au drainage continu des devises et à la dévaluation spectaculaire de la livre. Fin juin 2021, les prix des seuls produits alimentaires avaient été cumulativement multipliés par dix par rapport à septembre 2019, un impact qui a été plus sévèrement ressenti par les groupes à faibles revenus.

Ces derniers mois, la levée partielle des subventions – qui a précédé l’annonce de leur levée complète cette semaine – a accéléré la hausse des prix à la consommation et aggravé les pénuries de médicaments et de carburant, reflétant encore la grave mauvaise gestion de la crise et accentuant les échecs historiques dans la mise en place des infrastructures nécessaires à une production d’électricité efficace et à un système de transport public adéquat. Outre l’augmentation de l’insécurité alimentaire, les pénuries de carburant, de médicaments et d’autres produits essentiels mettent désormais en péril la prestation des services de base, notamment l’approvisionnement en eau, l’hospitalisation et l’éducation.

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Dans ce contexte sombre, les programmes humanitaires visant à protéger les ménages vulnérables sont évidemment prioritaires dans l’allocation de l’aide inconditionnelle. Toutefois, la question de savoir si les dépenses sans contrepartie d’un État en proie à la corruption constituent la meilleure ligne de conduite reste valable, notamment en raison du manque de preuves de l’impact des programmes d’aide sociale menés par le gouvernement dans le passé.

Par exemple, l’utilisation des fonds pour financer la « carte d’approvisionnement », en réponse à la suppression des subventions sur les produits de première nécessité, pourrait soulager jusqu’à un demi-million de familles. Cependant, en l’absence d’un mécanisme de mise en œuvre clair, notamment pour l’identification des ménages éligibles, le risque de mauvaise allocation par une classe dirigeante qui a prouvé à plusieurs reprises sa capacité à commettre des méfaits sans avoir à en rendre compte est élevé. Il n’est donc pas étonnant que dès que la nouvelle d’une émission de DTS face à la crise du Covid-19 est tombée, le Liban a d’emblée été évoqué par certains analystes comme un cas potentiel où l’injection de fonds inconditionnels pourrait dissuader les efforts de réforme dans des pays fragiles paralysés par des niveaux élevés de corruption, d’obstruction étatique et de mauvaise gestion publique.

De même, des décisions mal calculées pourraient potentiellement causer plus de mal que de bien, étant donné l’instabilité des taux de change. Par exemple, conserver les devises échangées à partir des DTS alloués et offrir une valeur équivalente en bons d’alimentation en monnaie locale, à un taux préétabli, comme le propose la loi sur les cartes d’approvisionnement, introduirait des aléas économiques et moraux majeurs. Les bons, qui sont ensuite échangés contre des livres libanaises, pourraient accélérer l’inflation, en plus de porter atteinte à la dignité des bénéficiaires en limitant leur capacité à dépenser de l’argent liquide en fonction de leurs besoins – c’est-à-dire pour les soins de santé, le loyer, les vêtements et les factures.

Les risques économiques sont nettement plus palpables sans réformes parallèles immédiates pour ralentir la dévaluation de la monnaie et la valeur que la carte d’approvisionnement offrirait pourrait s’avérer négligeable par rapport aux besoins des ménages vulnérables. Les données sur les prix à la consommation suggèrent aujourd’hui qu’une famille de cinq personnes a besoin de plus de trois fois le salaire minimum pour assumer le coût mensuel d’un repas principal par jour. Et ce, à un moment où plus des trois quarts de la population survivent avec un revenu légèrement supérieur au salaire minimum.

Quelles garanties ?

Par conséquent, les plans visant à injecter environ 860 millions de dollars de DTS au Liban ne peuvent pas ignorer ou minimiser les particularités du contexte de la crise qu’il traverse ou les causes structurelles qui le sous-tendent. À cet égard, deux questions doivent être abordées avant de procéder à l’allocation : d’abord, quel rôle peuvent jouer les organisations internationales et de la société civile pour garantir que les fonds ne soient pas mal gérés ou mal alloués ? Ensuite, ces fonds doivent-ils être alloués à une aide humanitaire urgente à court terme, ou à des projets à plus long terme qui réduiraient les besoins du Liban en devises et lutteraient contre les faiblesses structurelles du pays ?

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Les réponses à ces questions sont loin d’être évidentes, surtout à un moment où les conditions socio-économiques et politiques sont en pleine mutation, et où les institutions de l’État continuent à ne pas fournir de clarté sur les indicateurs-clés, notamment les réserves de devises restantes, le coût des subventions et les données actualisées sur les importations, entre autres. Cependant, il est urgent de régler certains problèmes avant l’allocation de DTS, d’autant plus que ces fonds pourraient, outre leur impact socio-économique, soit fournir une bouée de sauvetage à un système qui survit grâce au patronage et au clientélisme, soit offrir un point d’entrée pour des réformes et un redressement à long terme.

À cet égard, certaines mesures pourraient être prises, telles que l’obligation d’une déclaration publique par le gouvernement de sa stratégie de distribution des DTS, l’inclusion de la société civile dans la mise en place d’un mécanisme de surveillance des fonds et le ralliement du soutien des donateurs internationaux pour garantir une stratégie de relance économique coopérative, transparente et efficace (par exemple, en s’engageant à égaler l’allocation de DTS en échange de conditions de surveillance et de transparence sur l’utilisation des fonds).

Au lendemain de l’explosion au port de Beyrouth, la Banque mondiale, l’Union européenne et les Nations unies ont souligné qu’une « action décisive » était nécessaire pour sauver le Liban de ses multiples crises. Près d’un an plus tard, malgré l’absence persistante de toute action palpable de la part du gouvernement libanais, ce besoin demeure. Alors que le FMI s’apprête à lui remettre le plus important programme d’aide internationale depuis le début de la crise, la véritable question est la suivante : qui est prêt à l’accepter ?

Ce texte est aussi disponible en anglais sur le site du Lebanese Center for Political Studies.

Fadi Nicholas NASSAR, Chercheur principal au LCPS et professeur assistant à la LAU.

Sarah HAGUE, Responsable des politiques sociales de l’Unicef au Liban.

Walid SAYEGH, Spécialiste de la politique économique et sociale auprès de l’Unicef au Liban.


NB: Cet article a été modifié le 14/08 pour corriger une erreur de traduction.

En tant que pays membre du Fonds monétaire international, le Liban devrait recevoir une injection de liquidités d’environ 860 millions de dollars, correspondant à sa quote-part sur l’émission exceptionnelle de droits de tirage spéciaux (DTS) prévus par l’organisation internationale pour répondre aux chocs économiques mondiaux provoqués par la pandémie de Covid-19. Ce soutien est...

commentaires (1)

Le SEUL usage intelligent pour ne pas bruler ces 800millions serait d acheter des panneaux solaires. Ne serait ce que pour fournir 10% de l'electricité requise pour le pays.

Tina Zaidan

09 h 38, le 15 août 2021

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Commentaires (1)

  • Le SEUL usage intelligent pour ne pas bruler ces 800millions serait d acheter des panneaux solaires. Ne serait ce que pour fournir 10% de l'electricité requise pour le pays.

    Tina Zaidan

    09 h 38, le 15 août 2021

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