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Moyen-Orient - Éclairage

Comment l’armée israélienne est devenue le bras droit des colons en Cisjordanie

Un rapport publié le 21 juillet par l’ONG israélienne Breaking the Silence éclaire quant à la nature des liens qu’entretiennent colons et soldats en Cisjordanie, à travers le témoignage de 36 anciens combattants.


Comment l’armée israélienne est devenue le bras droit des colons en Cisjordanie

Un soldat de l’armée israélienne se tient au côté d’un colon armé, le 14 mai 2021 à Urif, au sud de Naplouse, dans le nord de la Cisjordanie. Capture d’écran d’une vidéo YouTube de l’ONG B’Tselem.

C’est une réalité familière pour beaucoup de Palestiniens, mais qui passe parfois inaperçue. En Cisjordanie, les Palestiniens subissent depuis plusieurs décennies une domination à deux têtes. La première, officielle, a les traits traditionnels d’une occupation militaire. La seconde, illégale, quoique parrainée par les autorités israéliennes, a tout d’un projet idéologique qui se place au-dessus des lois. Mais malgré l’impression d’une séparation étanche, l’armée israélienne occupant la Cisjordanie et les quelque 650 000 colons qui y sont implantés opèrent main dans la main : ils sont les poumons gauche et droit d’un même système d’occupation qui ne saurait survivre sans ses deux composantes, civile et militaire.

Dans la presse israélienne et certains médias occidentaux, les liens intimes qui unissent les soldats et les communautés civiles installées en Cisjordanie sont souvent dissimulés derrière un discours binaire. D’un côté, l’armée : une institution publique neutre chargée du respect de la loi, une sorte de médiateur convoqué pour arbitrer un « conflit ». De l’autre, le parti pris idéologique de colons qui revendiquent un sionisme exubérant, lequel a des vues sur la totalité de l’espace allant du Jourdain à la Méditerranée, ce fameux « Eretz Israel » (Grand Israël).

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Mais derrière cette vision dichotomique, la réalité est beaucoup moins tranchée. La neutralité de l’armée ne convainc plus grand monde depuis déjà longtemps, et son rôle complice resurgit à intervalles réguliers depuis plusieurs décennies. Les scènes de soldats assistant immobiles aux violences initiées par des colons à l’encontre de Palestiniens sont devenues tristement banales. Lancer de pierres, mise à feu de champs d’olivier, destruction de propriétés, agression physique, cocktail Molotov, voire balles réelles : les vidéos se comptent par centaines. Et si les agressions se sont diversifiées, elles sont, dans la très grande majorité des cas, commises en toute impunité. Selon une étude menée par l’ONG Yesh Din en 2015, un Palestinien n’a que 1,9 % de chance de voir une plainte pour agression se traduire par une condamnation en justice, un chiffre dissuasif pour beaucoup qui décident de renoncer à toute démarche.

Les faits sont donc connus de longue date. La « politique d’indulgence non déclarée », estime l’ONG israélienne B’Tselem, a été documentée par plusieurs rapports, dont certains officiels, comme le rapport Karp en 1982, ou bien encore le rapport Shamgar en 1994. Mais une escalade récente indique qu’une nouvelle étape a été franchie, non pas dans le niveau de violence, mais dans le degré de collaboration entre armée et colons. Comme ce 14 mai dernier, lors d’une attaque conjointe dans le village d’Urif, à une dizaine de kilomètres au sud de Naplouse. En milieu de journée, des habitants d’Yitzhar, une ancienne base militaire reconvertie en colonie de peuplement en 2000, attaquent le village. « Milices conjointes : comment des colons et des soldats se sont alliés pour tuer quatre Palestiniens », titre à la mi-juillet le site d’information Local Call lors d’une enquête révélant la participation active de l’armée dans l’attaque. Une vidéo publiée par B’Tselem incarne aussi cette connivence : un colon au visage masqué, torse nu et mitraillette en bandoulière, tire en direction des Palestiniens devant le regard amusé d’un soldat armé jusqu’aux dents.

Symbole d’une complicité inédite

L’épisode devient alors le symbole d’une complicité inédite : en tant que garante, facilitatrice ou agent de sécurité, l’armée est devenue l’instrument pratique permettant aux colons de maintenir leur présence dans les territoires occupés. « En service », un rapport publié le 21 juillet par l’ONG israélienne Breaking the Silence, éclaire ce phénomène en mettant en lumière les liens personnels qui unissent les membres de l’institution militaire et les communautés civiles. À travers le témoignage de trente-six anciens soldats stationnés en Cisjordanie, le document apporte des éléments de compréhension quant au contexte social ou culturel de ces affinités. « Idéalement, un soldat ne doit avoir aucune connexion émotionnelle ni avec les Palestiniens ni avec les Juifs. Mais en pratique, on a le sentiment de venir vivre avec eux (les colons) pendant six mois. Nous mangeons chez eux, faisons la prière du vendredi avec eux », témoigne un sergent stationné à Hébron en 2016.

L’on comprend ainsi que les amitiés nouées au quotidien lors de repas ou des fêtes religieuses jouent un rôle décisif sur le terrain militaire lorsqu’il s’agit d’arbitrer les affrontements ou de contenir les violences des colons. « Si un enfant juif se mettait à tabasser un Palestinien, il devrait être arrêté et emmené au poste. Mais si ce même gosse était assis à côté de vous, si vous aviez rigolé ensemble et s’il vous avait offert des cadeaux, comment l’arrêter ? Ça ne fonctionne plus », se souvient un général également en poste à Hébron.

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Mais il s’agit en réalité plus que d’un simple réseau d’amitiés. Le rapport va plus loin en démontrant que les colons sont les véritables maîtres d’un jeu au sein duquel les soldats ne sont que des figurants de passage facultatifs. « Nous avions beaucoup de conflits avec les résidents juifs, nous refusions d’être leur instrument, mais d’une certaine manière, nous l’étions », relate un capitaine en poste à Naplouse en 2014. Certains témoignages détaillent les petits mécanismes de vengeance qui permettent aux colons de faire pression lorsqu’une décision leur déplaît ; d’autres racontent que les colons « se sentaient libres de dire aux soldats ce qu’ils devaient faire ». Comme ce sergent, stationné en 2016 dans la région d’Hébron, qui explique comment ils « décident de la politique sur le terrain », par exemple lorsqu’ils veulent parader sur des routes ou investir certains quartiers palestiniens à l’occasion de fêtes religieuses. « Ils semblaient nous dire : “Ne nous accompagnez pas, nous n’avons pas besoin de vous, nous sommes armés” », se souvient ce dernier, pour qui il était clair que « le commandant en charge n’avait pas son mot à dire » sur les décisions des colons impliquant des provocations directes à l’encontre des Palestiniens.

C’est une réalité familière pour beaucoup de Palestiniens, mais qui passe parfois inaperçue. En Cisjordanie, les Palestiniens subissent depuis plusieurs décennies une domination à deux têtes. La première, officielle, a les traits traditionnels d’une occupation militaire. La seconde, illégale, quoique parrainée par les autorités israéliennes, a tout d’un projet idéologique qui...

commentaires (2)

Comme en Amérique …

Eleni Caridopoulou

20 h 51, le 29 juillet 2021

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Commentaires (2)

  • Comme en Amérique …

    Eleni Caridopoulou

    20 h 51, le 29 juillet 2021

  • C'est écœurant mais pas étonnant. Ils ont bien appris les techniques et tactiques des nazis.

    Politiquement incorrect(e)

    16 h 36, le 29 juillet 2021

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