A l'issue des consultations parlementaires contraignantes organisées à Baabda, le milliardaire sunnite de Tripoli et ex-chef du gouvernement Nagib Mikati a été désigné lundi Premier ministre et doit désormais s'atteler à former le nouveau cabinet, attendu depuis près d'un an dans un pays en plein effondrement socio-économique. M. Mikati a obtenu 72 voix des députés consultés tout au long de la journée par le chef de l'Etat, Michel Aoun (contre une voix pour Nawaf Salam, 42 abstentions et trois absences, celles de Nouhad Machnouk, de Talal Arslane et de Moustapha Housseini).
Vétéran politique de 65 ans, Nagib Mikati a obtenu le soutien de la majorité des blocs parlementaires, notamment du Hezbollah et du courant du Futur dirigé par l'ex-Premier ministre Saad Hariri, mais pas celui des deux plus importants groupes chrétiens, à savoir le bloc de la République forte (Forces libanaises) et le bloc du Liban fort (Courant patriotique libre). Désigné Premier ministre en octobre dernier, Saad Hariri avait renoncé mi-juillet à former un gouvernement en raison de désaccords insurmontables, à ses yeux, avec le président Aoun. Après avoir été reçu lundi par ce dernier, Saad Hariri a déclaré à la presse qu'il espérait que Nagib Mikati serait choisi et qu'il parviendrait à former un gouvernement. Quant au Hezbollah, il a accordé les voix de ses députés au milliardaire de Tripoli alors que lors des précédentes consultations parlementaires, le parti chiite n'avait pas officiellement nommé Saad Hariri tout en disant le soutenir. "Aujourd'hui (lundi-NDLR), alors que des indices convergent vers la possibilité de la formation d'un gouvernement (...) nous avons choisi de soutenir Mikati, afin de donner un élan supplémentaire pour faciliter la formation d'un gouvernement", a déclaré à la presse Mohammad Raad, le chef de file du groupe parlementaire du Hezbollah.
M. Mikati, âgé de 65 ans, a déjà été Premier ministre à deux reprises : en 2005, après l’assassinat de Rafic Hariri, lorsqu’il avait dirigé un gouvernement qui avait supervisé la tenue des élections législatives après le retrait syrien du Liban; et en 2011, lorsqu’il était revenu à la tête du gouvernement avec l’appui du camp du 8 Mars qui avait renversé le cabinet de Saad Hariri. Il s’est depuis réconcilié avec le chef du courant du Futur. Selon la chaîne MTV qui cite ses proches, le député de Tripoli s’est donné jusqu’au 4 août (date anniversaire de la double explosion du port de Beyrouth) pour mettre en place son gouvernement, estimant qu'il n'a pas besoin de plus de temps pour sonder les intentions de ses interlocuteurs politiques. D'autres médias locaux ont rapporté que le PM désigné s'est donné un mois pour former son équipe. Il entamera dans ce cadre dès demain les consultations parlementaires non contraignantes, place de l'Etoile.
"Ce que je veux, c'est la confiance du peuple"
"J'ai remercié le chef de l'Etat et je remercie tous les députés qui m'ont nommé. J'espère pouvoir coopérer avec ceux qui ne m'ont pas nommé", a déclaré M. Mikati à l'issue d'un bref entretien avec le président Aoun après sa désignation. "Il est naturel que je demande la confiance des députés, mais ce que je veux, c'est la confiance du peuple", a-t-il ajouté. "Nous sommes dans une situation très difficile, ma mission est très difficile, mais si nous coopérons tous et nous montrons solidaires, nous nous en sortirons", a-t-il lancé. "Seul, je ne pourrai pas faire de miracles", a-t-il poursuivi, appelant à la collaboration de tous les partis, loin des tiraillements et marchandages habituels. Se disant "serein", il a encore affirmé qu'en "coopération avec le président", il formera un cabinet "qui mettra en œuvre l'initiative française" - présentée le 1er septembre 2020 à Beyrouth par le président Emmanuel Macron - afin de "sauver le pays de l'effondrement". "Cela fait un moment que j'étudie la question et si je n'avais pas des garanties extérieures, je n'aurais pas accepté cette mission", a lancé M. Mikati, estimant qu'"il est temps que quelqu'un œuvre à mettre un terme à l'expansion du feu".
Le Premier ministre désigné a par la suite été reçu par les anciens PM Saad Hariri, Tammam Salam et Fouad Siniora et par le chef du gouvernement sortant, Hassane Diab. Il s'est également entretenu au téléphone avec l'ancien président du Conseil Sélim Hoss.
Le mufti de la République, cheikh Abdellatif Deriane, plus haute instance sunnite au Liban, a félicité le nouveau Premier ministre désigné, l'assurant de son soutien. "Nous soutenons toute action qui permettra de sortir le Liban de la crise politique et socio-économique et de répondre aux besoins des gens", a-t-il ajouté. "Nous plaçons nos espoirs dans M. Mikati et espérons qu'il pourra mettre un terme à l'effondrement", a indiqué le dignitaire, qualifiant le milliardaire sunnite d'"homme d'Etat et d'institutions par excellence". Le mufti a encore appelé toutes les formations politiques à coopérer avec le Premier ministre désigné et à faciliter sa mission de formation d'un gouvernement qui respecte le pacte national.
Sur le plan international, la France a appelé à la formation sans plus tarder d'un gouvernement "compétent et capable de mettre en œuvre des réformes". "La France prend note de la désignation de M. Nagib Mikati (...). L'urgence est désormais de former un gouvernement compétent et capable de mettre en œuvre les réformes indispensables au relèvement du pays", a déclaré la porte-parole de la diplomatie française. "La France appelle l'ensemble des dirigeants libanais à agir en ce sens le plus rapidement possible. Leur responsabilité est engagée", a-t-elle souligné.
Qui est Nagib Mikati
Homme le plus fortuné au Liban et l'un des plus riches milliardaires au Moyen-Orient, Nagib Mikati possède une fortune estimée à 2,7 milliards de dollars selon le magazine Forbes. Marié et père de trois enfants, il est à la tête d'un petit empire international, avec des investissements dans les télécoms mais aussi dans l'immobilier, notamment à Londres, New York et Monaco. Son groupe M1, une holding familiale qu'il a cofondée, est un des principaux actionnaires de l'opérateur sud-africain de télécommunications MTN, propriétaire de la marque de prêt-à-porter haut de gamme "Façonnable", et investisseur dans le transport, le gaz et le pétrole. En juillet, M1 a repris un des plus gros opérateurs téléphoniques de Birmanie, les détracteurs dénonçant alors des proximités avec la junte birmane. Najib et son frère Taha s'étaient lancés dans le monde des affaires dans les années 1980 en vendant des téléphones satellites pendant la guerre civile au Liban (1975-1990), indique Forbes. Ils ont ensuite étendu leurs activités au continent africain avec la construction de tours de téléphonie mobile, notamment au Ghana, au Liberia et au Bénin. Diplômé en gestion des entreprises de l'Université américaine de Beyrouth (AUB), M. Mikati a étudié à l'institut d'administration des affaires Insead à Fontainebleau, près de Paris, puis à l'université de Harvard aux Etats-Unis. En octobre 2019, alors qu'un mouvement de contestation inédit réclamait le départ de l'ensemble de la classe dirigeante, la colère des manifestants à Tripoli s'est aussi dirigée contre M. Mikati. Ses portraits dans la ville ont alors été arrachés et des manifestants ont tenté d'attaquer sa résidence. Plusieurs enquêtes étaient alors en cours pour des faits de corruption: M. Mikati faisait partie des responsables visés par des soupçons d'"enrichissement illicite". Mais depuis, les enquêtes piétinent et la contestation populaire s'est essoufflée. Dimanche soir, des dizaines de personnes ont manifesté devant sa résidence de Beyrouth, l'accusant de corruption et de népotisme.
Mais les chefs de partis le perçoivent comme un candidat consensuel capable de dénouer le blocage ayant entravé jusqu'ici la formation d'un gouvernement crédible susceptible de débloquer une aide internationale cruciale. Le gouvernement du Premier ministre sortant Hassane Diab gère en effet les affaires courantes depuis sa démission en août 2020 après la gigantesque explosion au port de Beyrouth qui a fait plus de 200 morts et dévasté la capitale. Depuis, l'impasse politique s'est éternisée, sur fond de marchandages politiciens, empêchant la formation d'un gouvernement réclamé à l'international, et poussant deux Premiers ministres désignés (Moustapha Adib et Saad Hariri) depuis août à jeter l'éponge. La communauté internationale, menée par la France, s'était engagée en faveur d'une aide de plusieurs milliards de dollars, conditionnée à la mise en place d'un gouvernement capable de lutter contre la corruption. Malgré la pression internationale et des menaces de sanctions par l'Union européenne contre les dirigeants libanais, aucun progrès n'a été réalisé. L'effondrement économique au Liban a provoqué une paupérisation à grande échelle, une hyperinflation, et des pénuries en tout genre. La livre libanaise a perdu plus de 90% de sa valeur face au billet vert depuis l'automne 2019, dépassant il y a quelques jours le pic historique de 24.000 livres pour un dollar, contre 16.500 lundi et un taux officiel toujours maintenu à 1.507 livres pour un dollar. En juillet, la France a annoncé une nouvelle conférence d'aide internationale au Liban le 4 août, pour "répondre aux besoins des libanais". Elle coïncidera avec le premier anniversaire de l'explosion dévastatrice au port de Beyrouth.
Le Liban est composé de : 3 groupes confessionnels : Chrétiens, Sunnite, Chiite, Et quelques caméléons. 3 groupes politiques : Le Hezbollah révolutionnaires islamique, ceux qui ont peur du Hezbollah, ceux qui le dénonce et quelques caméléons. 3 groupes économiques : Les fonctionnaires, la société civile économiquement forte, les économiquement faible, et quelques opportunistes. Tous conscient de cette diversité et veulent leurs part du gâteau. Vas y trouver la formule pour former un gouvernement. La quadrature du cercle.
11 h 20, le 27 juillet 2021