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Politique - Explosion du 4 août

L’enquête n’en finit pas de se heurter aux barrières des prérogatives

Après le Parlement, c’est le Conseil supérieur de défense en tant qu’instance collégiale qui veut reprendre l’initiative pour examiner la demande de poursuivre le directeur de la Sécurité de l’État, Tony Saliba.

L’enquête n’en finit pas de se heurter aux barrières des prérogatives

Le directeur général de la Sécurité de l’État, Tony Saliba. Photo d’archives ANI

À moins de quinze jours du premier anniversaire de la double explosion dévastatrice au port de Beyrouth, le schéma est le suivant : les autorités politiques s’efforcent de court-circuiter une enquête qui, bien que non clôturée, est sur le point de définir les failles – donc les responsabilités – administratives, sécuritaires et politiques à cause desquelles une partie de la capitale a été détruite et des centaines de familles ont été endeuillées.

Au cours de la réunion du Conseil supérieur de défense (CSD) tenue lundi dernier, la classe au pouvoir a lancé dans cet esprit d’obstruction un débat pour déterminer qui du chef du gouvernement sortant Hassane Diab ou du CSD est habilité à plancher sur l’autorisation sollicitée par le juge d’instruction près la Cour de justice, Tarek Bitar, de poursuivre le directeur de la Sécurité de l’État, le général Tony Saliba (proche du président Michel Aoun). Le juge Bitar avait dès le 5 juillet notifié sa demande d’autorisation à M. Diab, mais lors des assises de lundi, le Premier ministre sortant s’est considéré incompétent pour donner cette autorisation, informant le magistrat que la commission de législation et de consultation au sein du ministère de la Justice a exprimé un avis en vertu duquel elle attribue la compétence au Conseil supérieur de défense.

Cette volonté de soumettre au CSD la demande d’autorisation de poursuivre le général Saliba s’inscrit dans une tentative plus large de ne pas assujettir les responsables mis en cause aux investigations menées par le juge Bitar : le 9 juillet, le ministre sortant de l’Intérieur, Mohammad Fahmi, avait refusé d’autoriser les poursuites à l’encontre du directeur de la Sûreté générale, le général Abbas Ibrahim. Pour sa part, le Parlement alimente depuis la semaine dernière le débat autour des prérogatives judiciaires et parlementaires dans le cadre de cette affaire, cherchant à s’approprier l’enquête sur les questions liées aux députés et anciens ministres Ali Hassan Khalil, Ghazi Zeaïter et Nouhad Machnouk, dont le juge d’instruction avait demandé les levées d’immunité. Plusieurs parlementaires ont ainsi présenté une pétition demandant l’autorisation de poursuivre ces derniers et de les mettre en accusation devant la Haute Cour chargée de juger les présidents et les ministres. Une juridiction qui, à ce jour, n’a siégé ni condamné aucun responsable.

Soumission et subordination

En vertu de l’avis exprimé par la commission de législation et de consultation, c’est le CSD en tant que « corps collégial » qui est l’autorité habilitée à autoriser les poursuites à l’encontre du directeur de la Sécurité de l’État. « Le Conseil supérieur de défense doit se réunir et décider de donner ou non l’autorisation, à charge pour son vice-président (Hassane Diab) d’exécuter cette décision (…) », lit-on dans le document de la commission. Un spécialiste de droit public ayant requis l’anonymat conteste cependant cet avis, jugeant qu’il ne correspond pas à ce qu’édicte la loi concernant l’autorité de tutelle de la direction de la Sécurité de l’État. Il note via L’Orient-Le Jour que selon les règles légales, la direction de la Sécurité de l’État est « soumise » au Conseil supérieur de défense, mais est « subordonnée » aux seuls président et vice-président du CSD. Ainsi, comme le président du CSD est le chef de l’État et non de l’administration, celle-ci est rattachée en l’espèce au vice-président, Hassane Diab, à qui Tony Saliba est ainsi subordonné. Pour le juriste interrogé, il est impératif de distinguer entre soumission et subordination. « La soumission du directeur de la Sécurité de l’État implique qu’il reçoit des instructions et injonctions du CSD en tant qu’entité collégiale, tandis que sa subordination est liée à une personne bien définie (le vice-président du CSD) qui règle les questions administratives. » « C’est le Conseil supérieur de défense qui ordonne par exemple au directeur de la Sécurité de l’État d’investir des lieux malfamés ou d’effectuer des opérations pour lutter contre le trafic de drogue, mais c’est son vice-président qui décide des modalités de congé ou d’autres mesures administratives, comme en l’espèce l’autorisation de poursuites », explicite le juriste. « Un supérieur hiérarchique est un individu déterminé et non un organe collégial », insiste-t-il, soulignant que « rattacher organiquement un organisme d’État (la Sécurité de l’État) à une structure collégiale (le CSD) est inhabituel et contesté ».Pour ces raisons, une source judiciaire qui suit le dossier doute que le juge d’instruction accepte de se plier à l’avis de la commission de législation et de consultation et d’envoyer une demande d’autorisation au CSD, dans la mesure où, indique-t-elle à L’OLJ, Tarek Bitar s’est, lui aussi, fondé sur le texte de la loi qui détermine l’autorité administrative. Selon cette source, Hassane Diab dispose d’un délai de quinze jours (retardé jusqu’à hier en raison du congé de l’Adha) à dater de sa notification de la demande (5 juillet) pour y répondre. À défaut de quoi, son autorisation est considérée comme délivrée d’office.

Aujourd’hui, si dans un cas hypothétique le CSD se réunissait pour débattre de l’autorisation, il refuserait de donner son aval à la mise en cause du directeur de la Sécurité de l’État, d’autant qu’il est présidé par le président de la République Michel Aoun, dont le général Saliba est proche. Le CSD est en outre composé de son vice-président, Hassane Diab, et des ministres sortants de l’Intérieur, des Finances, de l’Économie, respectivement Mohammad Fahmi, Ghazi Wazni et Raoul Nehmé, ainsi que de la ministre sortante de la Défense, Zeina Acar, qui y siège également en sa qualité de ministre sortante des Affaires étrangères (par intérim). Pour une autorisation de poursuites, il faudrait le vote d’une majorité de ces responsables, ce qui semble difficile à obtenir.


Le député et ex-ministre de l’Intérieur Nouhad Machnouk, lors de sa conférence de presse au Parlement hier. Photo Ali Fawwaz/Parlement

Déchargement du nitrate d’ammonium : Machnouk s’en lave les mains

Le député et ex-ministre de l’Intérieur Nouhad Machnouk s’est dédouané hier de toute responsabilité concernant la gestion du chargement de nitrate d’ammonium à l’origine de la double explosion au port de Beyrouth. Il s’est également dit prêt à témoigner devant le juge Tarek Bitar, chargé de l’enquête sur cette catastrophe, regrettant que cet interrogatoire n’ait pas eu lieu avant sa mise en accusation. Lors d’une conférence de presse au siège du Parlement, il s’est prononcé en faveur d’une enquête internationale sur les causes de la déflagration.

« Le seul document que j’ai reçu au sujet du chargement de nitrate d’ammonium évoque un navire en transit qui transportait plusieurs tonnes de ce produit et qui se dirigeait de la Géorgie vers le Mozambique », a-t-il affirmé lors de sa conférence de presse, soulignant que ce document ne mentionne à aucun moment le déchargement du navire dans le port de Beyrouth. « Je ne savais pas que ce chargement était entré sur le territoire libanais », a-t-il ajouté. Les accusations devraient donc être lancées envers « celui qui a ordonné de décharger le nitrate dans le port, et non envers le ministre de l’Intérieur, qui n’a absolument aucune prérogative à ce sujet », s’est-il défendu, regrettant de ne pas avoir été appelé à témoigner devant le juge Tarek Bitar « malgré ses tentatives d’entrer en contact avec lui ».

L’ancien ministre de l’Intérieur s’est par ailleurs prononcé en faveur d’une enquête internationale, estimant que seule une telle procédure pourrait trancher concernant l’hypothèse d’une implication d’Israël dans les causes de l’explosion. « Seule une enquête internationale permettrait d’atteindre des résultats sérieux », a-t-il insisté.

À moins de quinze jours du premier anniversaire de la double explosion dévastatrice au port de Beyrouth, le schéma est le suivant : les autorités politiques s’efforcent de court-circuiter une enquête qui, bien que non clôturée, est sur le point de définir les failles – donc les responsabilités – administratives, sécuritaires et politiques à cause desquelles une partie de la...

commentaires (3)

L'OMERTA dans toute sa "splendeur" lorsqu;il s'agit d'etre Serieusment menaces par la LOI, non appliquee lorsque les mafieux s'accusent les uns les autres publiquement de larcins divers.

Gaby SIOUFI

10 h 28, le 25 juillet 2021

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Commentaires (3)

  • L'OMERTA dans toute sa "splendeur" lorsqu;il s'agit d'etre Serieusment menaces par la LOI, non appliquee lorsque les mafieux s'accusent les uns les autres publiquement de larcins divers.

    Gaby SIOUFI

    10 h 28, le 25 juillet 2021

  • Le problème dans ce pays c’est qu’ils sont tous proches les uns et des autres d’où l’impunité générale. Ils nomment les personnes capables de les protéger dans tous leurs crimes à des postes clés et lorsque ces derniers sont pris la main dans le sac ils courent les défendre afin qu’ils ne soient pas tenter de tous les balancer. Hémiha haramiha. Et les citoyens continuent à les regarder faire. Nous ne méritons définitivement pas ce beau pays. BOUGEZ-VOUS ENFIN, IL FAUT QUE TOUT CELA CESSE.

    Sissi zayyat

    15 h 04, le 24 juillet 2021

  • On applaudit nos champions de l'unique discipline qu'ils connaissent: le rejet de toute responsabilité concernant les événements durant leurs fonctions passées ou récentes. Leur argument préféré: "...c'est pas moi, c'est les autres...moi j'étais aveugle, sourd et muet...!!!"- Irène Saïd

    Irene Said

    09 h 33, le 24 juillet 2021

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