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Société - Drame du port de Beyrouth

Devant la maison de Fahmi, la colère des parents de victimes explose

Cercueils symboliques portés à bout de bras, slogans antipouvoir, répression par les forces de l’ordre... La contestation en faveur de la levée de l’immunité des responsables visés par le juge Bitar prend une nouvelle tournure.

Devant la maison de Fahmi, la colère des parents de victimes explose

Hier les proches des victimes brandissaient des cercueils vides devant l’immeuble du ministre de l’Intérieur Mohammad Fahmi à Koraytem. Photo Mohammad Yassine

Portant à bout de bras des cercueils en bois symboliques et affichant une détermination forte de voir la justice faire son œuvre, les parents des victimes de la double explosion du 4 août ont pris d’assaut hier l’immeuble dans lequel réside le ministre de l’Intérieur Mohammad Fahmi à Koraytem. Celui-là même qui a refusé d’approuver la comparution devant la justice du directeur de la Sûreté générale, le général Abbas Ibrahim, inculpé par le juge en charge de l’enquête, Tarek Bitar, au même titre que d’autres personnalités politiques et sécuritaires, notamment trois députés et anciens ministres. Parmi les slogans scandés par la foule en colère hier : « Mohammad Fahmi terroriste ! »

Mais les proches des victimes ne se sont pas arrêtés aux mots. La manifestation d’hier a en effet marqué une nette évolution de l’action de ces citoyens excédés par l’inaction, voire la stratégie d’entrave des autorités politiques, à moins d’un mois de la première commémoration de la double explosion du port de Beyrouth, qui a coûté la vie à plus de 200 personnes, fait des milliers de blessés et ravagé des quartiers entiers de la capitale. C’est vers 17h30 que des dizaines de parents de victimes se rassemblent à la place des Martyrs, tenant, comme à chaque regroupement de ce genre, les portraits de leurs chers disparus. Formant une procession avec leurs véhicules, ils commencent alors à sillonner les rues de Beyrouth, gardant leur destination secrète, même aux journalistes venus couvrir l’événement.

Arrivés au niveau de Koraytem, les parents sortent de leur silence, actionnant leurs klaxons, brandissant les portraits des victimes et scandant des slogans via des haut-parleurs. Des slogans appelant à la levée de l’immunité dont jouissent les hommes politiques, et qu’ils prennent pour prétexte afin de se soustraire aux convocations du juge Bitar, selon eux.

Le juge Bitar fait face à une levée de boucliers de la part de la classe politique, après avoir demandé la levée de l’immunité parlementaire de responsables politiques « en vue de les inculper et d’engager des poursuites pour éventuelle intention d’homicide », mais aussi pour « négligence et manquements », les responsables « n’ayant pas pris les mesures nécessaires pour éviter au pays le danger de l’explosion ». En plus du général Ibrahim, des poursuites ont été lancées contre les députés Ghazi Zeaïter, Ali Khalil et Nouhad Machnouk, l’ancien ministre Youssef Fenianos, l’ex-commandant en chef de l’armée Jean Kahwagi, un ex-chef des renseignements de l’armée, Camille Daher, plusieurs officiers et le chef de la Sécurité de l’État Tony Saliba. La procession, justement, s’arrête alors brièvement devant la maison de l’ancien ministre Nouhad Machnouk.

L'éditorial de Issa Goraïeb

Blindez le juge !

Finalement, vers 18 heures, il devient clair que la destination finale de la procession est le domicile du ministre Fahmi à Koraytem. Brandissant des cercueils vides ainsi que les portraits des victimes, les manifestants se dirigent vers l’immeuble du ministre. La plupart d’entre eux ont les paumes peintes en rouge, symbole du sang qui a coulé en ce funeste 4 août 2020. Dans un premier temps, un porte-parole appelle les manifestants à garder le silence, préférant les larmes et la douleur aux slogans. Mais dans la foule de dizaines de personnes, une mère éplorée ne peut étouffer ses cris. « Je n’ai même pas pu voir mon fils Ahmad une dernière fois avant de l’enterrer ! » crie-t-elle.

Les larmes d’une proche d’une victime du 4 août. Photo Mohammad Yassine

« Il a tué nos proches une seconde fois en entravant la justice »

Puis, sans crier gare, les parents des victimes se ruent vers l’entrée de l’immeuble de Fahmi, après avoir réussi à tromper la vigilance de soldats tenant un barrage. Mais devant le bâtiment,les forces de l’ordre parviennent à les empêcher de forcer la porte. Ils lancent alors les cercueils vides ornés des portraits des victimes dans le parking de l’immeuble. C’est à ce moment-là qu’un premier clash éclate entre les parents et les forces de l’ordre, lesquelles n’hésitent pas à durement réprimer les proches des victimes.

« Nous avons ramené ces cercueils jusque chez Mohammad Fahmi afin qu’il se souvienne de notre douleur. Et lui se protège en postant des gardes devant chez lui ! lance une manifestante. Qui est armé et qui a fait exploser le pays, eux ou nous ? Cela fait un an que nous exigeons la vérité. Si leurs proches étaient morts, se seraient-ils tus ? » « Que pouvons-nous dire encore ? » lâche, le visage empreint de tristesse, un autre manifestant. « C’est la dixième ou vingtième fois que nous enterrons nos proches. Il faut que (le ministre) ressente notre douleur, qu’il sache qu’il a tué nos proches une seconde fois quand il a entravé le cours de la justice. » « Notre objectif, c’est que Mohammad Fahmi donne immédiatement l’autorisation de poursuivre les suspects, renchérit Anthony Bakhos Douaihy. Le juge représente l’État et le peuple libanais. Fahmi devrait respecter les requêtes du juge qui sont des requêtes du peuple, étant lui-même un serviteur du peuple. S’il couvre des prévenus, c’est qu’il est leur complice. Et le (directeur de la Sûreté générale) Abbas Ibrahim doit respecter la justice, lui qui est un fonctionnaire d’État. »

Dans la foule, nombre de proches ont couvert leurs paumes de peinture rouge. Photo Mohammad Yassine

Gaz lacrymogènes

Après les cercueils, les manifestants jettent des tomates dans le parking de l’immeuble. À force d’efforts, les parents de victimes ont réussi à forcer la portière en métal de l’immeuble, provoquant un nouveau clash avec les militaires. Vers 19 heures, la violence monte encore d’un cran : de jeunes manifestants sont parvenus à entrer dans le parking par une autre issue et essaient de s’introduire dans l’immeuble. La répression se durcit aussitôt : les forces antiémeute et les gardes en civil frappent les manifestants. Plusieurs d’entre eux sont blessés, ce qui a pour effet de redoubler la colère des parents de victimes, que les agents tentaient d’éloigner.

« J’ai vu un soi-disant agent de l’ordre frapper une mère qui a perdu son fils ! » se désole une manifestante. « Nous avons pris des photos et allons les publier sur les réseaux sociaux. Dès que nous mentionnons des zaïms, ils nous tombent dessus ! Ils n’hésitent pas à battre des pères qui ont enterré leurs fils… Honte à eux ! Nous ne bougerons pas d’ici et les immunités tomberont. »

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Parallèlement au rassemblement de Koraytem, une manifestation était organisée devant l’une des entrées du Parlement à Beyrouth par des groupes de la thaoura. En soirée, au vu des clashs devant la maison de Fahmi, les manifestants du Parlement sont venus grossir les rangs des parents des victimes. « Nous ne pouvons pas nous taire maintenant, s’ils refusent de comparaître devant la justice, c’est le peuple qui doit les juger », affirme à L’OLJ le militant Wassef Haraké.

Peu après 20 heures, la situation se détériore encore : les forces antiémeutes, dépêchées en grand nombre, tirent alors des bombes lacrymogènes pour disperser les manifestants avant de charger. La Croix-Rouge et l’Association médicale islamique évacuent plusieurs blessés vers les hôpitaux de la ville. Sur l’asphalte, des manifestants gisent évanouis.

Si, en fin de soirée, les forces antiémeute parviennent à repousser les manifestants, le rassemblement marque un tournant dans la mobilisation en faveur de la vérité et de la justice sur la double explosion meurtrière du port. Une escalade qui pourrait n’être qu’un avant-goût de ce que sera la première commémoration du drame.

Portant à bout de bras des cercueils en bois symboliques et affichant une détermination forte de voir la justice faire son œuvre, les parents des victimes de la double explosion du 4 août ont pris d’assaut hier l’immeuble dans lequel réside le ministre de l’Intérieur Mohammad Fahmi à Koraytem. Celui-là même qui a refusé d’approuver la comparution devant la justice du directeur...

commentaires (9)

"Ne pouvant fortifier la justice, on a justifié la force..." Blaise Pascal (bis)

Politiquement incorrect(e)

17 h 35, le 14 juillet 2021

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Commentaires (9)

  • "Ne pouvant fortifier la justice, on a justifié la force..." Blaise Pascal (bis)

    Politiquement incorrect(e)

    17 h 35, le 14 juillet 2021

  • A voir les images de l’immeuble luxueux où habite ce ministre démissionnaire du dedans, j’aimerai qu’on m’explique comment un ex officier de l’armée peut se permettre un tel logement : certainement pas grâce à son salaire.

    Lecteur excédé par la censure

    13 h 37, le 14 juillet 2021

  • HONTE AUX FORCES DE L’ORDRE DE RÉPRIMER SAUVAGEMENT DES FAMILLES BLESSÉES AU PLUS PROFOND DE LEUR CHAIR ET ÂME. Et dire que le salaire de ce barbouze de ce régime fasciste et policier est de 60$ par mois au maximum… il est vraiment doublement c… Je conseille vivement a nos dirigeants de lire les paroles de La Marseillaise (pour ceux qui savent lire le français) en ce 14 juillet et qu’ils commencent à craindre la révolte populaire car à la violence policière ne répondra que la violence des révolutionnaires, c’est ainsi que l’Histoire a été façonnée depuis 1789 jusqu’à nos jours. Tous les régimes fascistes sont tombés et tous les dictateurs suivront

    Lecteur excédé par la censure

    13 h 27, le 14 juillet 2021

  • Les mots sont inutiles. La douleur incommensurable, la détresse inouïe et la rancoeur à son paroxysme sont incapables d’émouvoir cette oligarchie, cette ploutocratie et toute la racaille qui tient en otage les enfants de notre pays exsangue !!!

    Citoyen Lambda

    12 h 00, le 14 juillet 2021

  • Pour commencer, deux erreurs sont passées inaperçues dans l’article. La commémoration d’au moins un an et non un mois, deuxième, depuis quand İbrahim a été promu général? Quand à la barbarie des forces de l’ordre et de leur trahison du pays, leur réputation de vendus n’est plus à faire. Ils sont la honte de ce pays et devraient répondre de leurs actes barbares dignes d’une autre époque et d’un autre régime. Nous sommes dans un pays démocratique qu’ils le veuillent ou pas et nous aurons leur peau aussi ces traitres très peu cher payés pour saper le pays et maltraiter son peuple. Libanais il est temps de vous bouger pour apporter ne serait ce qu’un soupçon de réconfort aux familles par votre présence auprès d’eux pour que leur voix ne soient pas étouffer comme toutes celles des libanais meurtris, plus on est nombreux et plus on arrivera à les affronter. Cette peur viscérale doit changer de camp

    Sissi zayyat

    11 h 00, le 14 juillet 2021

  • Nous Somme tous “Le 4 Aout”

    Sarkis Dina

    10 h 41, le 14 juillet 2021

  • Down with this fascist police state and the septuagenarian and octogenarian ministers and leaders in charge of our government. These people will not be around in ten years and should not be involved in shaping its future. Let’s get rid of them all in the next elections.

    Mireille Kang

    09 h 31, le 14 juillet 2021

  • CET ENTETEMENT OU CETTE PEUR A NE PAS REVELER APRES PRESQUE UN AN LE NOM DU PROPRIETAIRE ET DE OU DES UTILISATEURS DE CE NITRATE NOMS ECRITS SUR LE MANIFE4STE DU NAVIRE ET SUR LES DOCUMENTS DE STOCKAGE PAR LES DOUANES ET LE PORT, DONC BIEN CONNUS MEME SI CELUI DU MANIFESTE COMPORTE UN NOM FICTIF QUE VIENNENT ECLAIRER LES QUANTITES PRELEVEES PAR LE OU LES UTILISATEURS. MINISTERE ET JUSTICE ONT PEUR DE QUOI OU DE QUI POUR NE PAS REVELER CES NOMS ET COMMENCER LEUR POURSUITE URGEMMENT AU LIEU DE PERDRE LEUR TEMPS EN POURSUIVANT LA QUEUE QUI PEUT SE DETACHER ET ILS N,AURONT QUE DES POILS LOOSE ENTRE LES MAINS. JUGE BITAR, QUI SONT LE PROPRIETAIRE ET LE OU LES UTILISATEURS ? SI VOUS NE POUVEZ REPONDRE A CETTE QUESTION APRES UN AN ALORS VAUT MIEUX DEMISSIONNER !

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 39, le 14 juillet 2021

  • “La justice sans la force est impuissante, la force sans la justice est tyrannique.” Blaise Pascal.

    Sabri

    05 h 03, le 14 juillet 2021

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