Rechercher
Rechercher

Société - Témoignages

Les longues nuits libanaises

Coupures d’électricité, anxiété, maux de tête... : quand le soleil se couche, le cauchemar commence pour de nombreux Libanais.

Les longues nuits libanaises

La crise économique affecte la santé mentale des Libanais. Photo João Sousa

Il est trois heures du matin et Khaled* n’arrive toujours pas à trouver le sommeil. Une fois la tête posée sur l’oreiller, la crise vampirise l’esprit de cet avocat libanais : la cherté de la vie, la course aux médicaments pour ses enfants, le plein de sa voiture… Khaled, 33 ans, ne parvient plus à dormir depuis des semaines. Et il est loin d’être le seul. La pénurie de carburants a été la goutte de trop. Nombreux sont ceux qui pensaient que le pays avait touché le fond. Or chaque jour montre que l’on pouvait encore creuser.

Khaled est constamment à cran à cause du manque de sommeil. « Je me comporte différemment avec ma famille, mes amis et mes enfants parce que je ne dors pas. Un collègue m’a dit que je suis devenu colérique alors que je suis de tempérament calme normalement. Cette situation nous fait perdre nos moyens », dit-il avec agitation. « Le soir, je suis inquiet : il y a toujours un nouveau problème qui guette et une nouvelle pression », ajoute-t-il.

Au niveau collectif, « la frustration de ne pas avoir accès aux droits les plus élémentaires, dans une totale indifférence de la classe politique, entraîne un état d’agressivité et une irritabilité nourris par le manque de sommeil. Au niveau sécuritaire, ça va déborder, nous allons arriver à une grande violence car la situation ne cesse de s’aggraver », explique Danielle Pichon, psychologue clinicienne et psychothérapeute. Le manque de sommeil affecte « notre mémoire, nos humeurs ainsi que notre capacité à prendre des décisions », renchérit le psychologue clinicien Karim Khalil, qui affirme que nombre de ses patients sont sujets à des troubles du sommeil.

Tandis que le quotidien est devenu un calvaire, les nuits se sont transformées en cauchemar éveillé pour beaucoup. Et davantage encore depuis que les Libanais comptent sur les doigts d’une main les heures pendant lesquelles Électricité du Liban (EDL) fournit de l’électricité. « Je ne fais qu’insulter Bassil, le gouvernement et même la vie », se moque Jean*. Ce jeune dentiste de 24 ans enchaîne les nuits d’insomnie. Il vit à Mansourieh, « et la chaleur y est étouffante ». EDL et les propriétaires de générateur rationnent sévèrement le courant en raison des retards de paiement de la part de la Banque du Liban pour l’achat de carburant subventionné.

Jean dort, dans le meilleur des cas, cinq heures par nuit, par intervalles… « Parfois, je me dis que ça ne sert à rien de dormir », lâche-t-il. « Je me réveille en sueur, j’étouffe. Comment peut-on retrouver le sommeil après ça ? » Mais le supplice ne s’arrête pas là. Le lendemain, il a les nerfs à vif, est constamment fatigué et n’est pas productif. « Que personne ne me parle pendant la journée. Et le soir, je mets du temps à trouver le sommeil parce que je suis sur les nerfs », poursuit-il.

« S’il va y avoir une guerre »

L’actualité, hyperanxiogène au quotidien, n’arrange pas les choses. Mercredi dernier, à Tripoli, des heurts ont eu lieu entre les habitants de Bab el-Tebbané et l’armée. Le père de Mira, 22 ans, tient un magasin dans le quartier. « J’ai peur pour lui », dit la jeune femme qui dort à peine trois heures à cause de la chaleur et de ses ruminations. « Je pense à tout. Je me demande tout le temps si le lendemain je vais pouvoir arriver au travail ou passer mes examens à cause des blocages de routes. Je me demande aussi s’il va y avoir une guerre… » explique l’étudiante en psychologie et sciences politiques. Le matin, elle se lève de mauvais poil, migraineuse et avec un poids sur la poitrine. Un état qu’elle tente tant bien que mal de ne pas montrer devant ses clients, ses amis et ses proches. « Mais ça demande un tel effort ! » En plus de ses études, elle est télévendeuse pour payer ses frais universitaires.

« La source du manque de sommeil est l’anxiété qui n’est pas une pathologie mais une réponse légitime à la situation socio-économique du pays qui est toxique », souligne la psychologue clinicienne et psychothérapeute Cosette Maalouf.

Lire aussi

À Tripoli, le « black-out » total est déjà (presque) une réalité

Nina, 59 ans, est revenue au Liban il y a 18 ans « pour profiter de la vie » et de ce que le pays avait à offrir. Aujourd’hui, elle passe son temps sur le chantier de son appartement soufflé le 4 août dernier par l’explosion du port de Beyrouth en face duquel il se trouve. Depuis, elle a des insomnies. Les somnifères qu’elle ingurgite l’aident à peine à dormir quatre heures, « dans le meilleur des cas ». Elle n’est pas la seule de sa famille à en prendre, « des plus jeunes aux plus âgés, tout le monde prend des cachets ».

La demande d’antidépresseurs est à la hausse, confirme le président de l’ordre des pharmaciens, le Dr Ghassan el-Amine. « Au Liban, les gens sont déprimés. Aujourd’hui, ils peuvent encore trouver ces médicaments, mais uniquement sur ordonnance », précise-t-il. Si, pour le moment, Nina parvient à se les procurer, elle a peur que ses somnifères soient bientôt en rupture de stock. Le syndicat des importateurs de médicaments a signalé que des centaines de médicaments étaient déjà en rupture de stock et que des centaines d’autres risquent d’être introuvables en juillet, si les dysfonctionnements du mécanisme de subvention ne sont pas réglés par l’État et la BDL rapidement.

« Pensées suicidaires »

Lola est insomniaque, anxieuse et dépressive depuis l’âge de 18 ans. Mais avec la crise, sa santé mentale s’est encore détériorée. Aujourd’hui, cette étudiante en littérature anglaise de 24 ans redoute d’aller se coucher. Elle pense à ses parents, se fait submerger par la peur de ne pas trouver leurs médicaments pour le diabète et l’hypertension. Elle pense, aussi, qu’il lui faut trouver un emploi pour aider sa famille, et à son avenir qu’elle ne parvient plus à envisager. « Je suis déprimée, je me demande ce que je vais faire, quel est mon but dans la vie, ce qui va arriver, et ça m’empêche de dormir. Une nuit, j’ai eu des idées tellement noires que j’ai appelé une ligne d’assistance pour les personnes ayant des pensées suicidaires. » Après ces nuits sans sommeil, elle carbure à la caféine pour tenir le coup. « Je n’ai jamais été aussi fatiguée. »

« Le sommeil est le premier indicateur de détresse psychologique. En être privé aggrave les symptômes dépressifs ou anxieux ou contribue à développer une détresse émotionnelle liée au contexte social et économique dans lequel nous vivons », explique Hala Kerbage, psychiatre et chargée d’enseignement à la faculté de médecine de l’Université Saint-Joseph.

« Tout mon entourage ne dort pas. Toute la journée, nous voulons dormir. Mais quand vient l’heure de se coucher, le sommeil nous échappe », raconte Maria*, 50 ans, qui vit à Saïda. Pendant toute une semaine, cette professeure d’anglais n’est pas parvenue à dormir. Pas une heure. « C’était l’enfer. Je m’allongeais juste pendant une ou deux heures, sans dormir. Les nuits étaient trop longues. J’ai tout essayé, j’ai prié même, mais rien ne m’aidait. » Cette insomnie violente est le résultat d’une accumulation, sur deux ans, des cours en ligne à cause de la pandémie de Covid-19, lors desquels elle avait l’impression de parler dans le vide ; de la peur de tomber malade et de ne pas être soignée à cause de la crise du secteur médical ; et de celle de la hausse du taux de criminalité. « J’ai peur des violences entre les gens, bientôt, ce sera la guerre pour se nourrir », estime-t-elle. Depuis, elle vit la boule au ventre : « Je ne veux plus revivre cette torture. » Si elle a trouvé un moyen de gérer cette « insomnie de l’extrême » en demandant l’aide d’une amie qui lui a conseillé de prendre des médicaments, elle endure toujours des troubles du sommeil. Pour s’endormir, elle marche le soir dans sa maison.

Pour faciliter le sommeil, Cosette Maalouf préconise d’aller au lit uniquement lorsque l’on est fatigué, de ne pas utiliser les écrans avant de se coucher, de faire des exercices de respiration, de garder la même position pendant quinze minutes, de boire des tisanes, une douche chaude ou tiède, du magnésium. « Mais il est nécessaire de traiter la source qui est l’anxiété », souligne-t-elle. Malgré ses efforts, le sommeil de Maria n’est pas réparateur. « Même quand nous prenons soin de nous, il y a toujours quelque chose qui nous hante l’esprit. Ici, c’est la misère. Nous vivons en enfer », continue la quinquagénaire qui avoue être déprimée et ne plus supporter les endroits clos comme l’ascenseur qu’elle ne prend plus. « Nous allons finir par perdre totalement la tête. »

*Les prénoms ont été modifiés.

Il est trois heures du matin et Khaled* n’arrive toujours pas à trouver le sommeil. Une fois la tête posée sur l’oreiller, la crise vampirise l’esprit de cet avocat libanais : la cherté de la vie, la course aux médicaments pour ses enfants, le plein de sa voiture… Khaled, 33 ans, ne parvient plus à dormir depuis des semaines. Et il est loin d’être le seul. La pénurie de...

commentaires (1)

Edifiant, prenant, affolant, et triste en même temps. Merci pour ce reportage à Lyana Alameddine. Le cœur serré exacerbé par la colère qui m’envahit en voyant le joyau qu’était mon pays, devenir l’enfer qu’on voyait dans les journaux télévisés d’il y a cinquante ans. Quelle déchéance ! ce peuple patient et généreux, noyé dans la misère, toujours prêt à donner tout ce qu’il possède et il possède très peu. Mais la patience a des limites, et les limites ont été dépassées depuis belles lurettes. Les responsables sont nombreux, de tous bords, de toutes confessions, se cachent comme des rats, chacun dans un abri bunkérisé, craignant la lumière pour ne pas être aveuglé par la vérité qui jaillit de partout. Dans la rue, les maisons, la douleur des mères en pleurs, des enfants criant famine, dans l’indifférence de tout ce beau monde hautain et méprisant. Ils nous toisent d’un regard suffisant. Comment imaginer que les responsables puissent fermer les yeux en sachant pertinemment qu’ils sont la cause de tout ce marasme humain. Que Dieu tout- puissant les maudisse pour l’éternité dans les bas fonds de l’enfer. Amen ! N.B. Le Syrien commence à payer le mal qu’il nous a fait, chacun son tour, suivez mon regard…personne n’échappera à la colère de Dieu.

Le Point du Jour.

22 h 45, le 07 juillet 2021

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • Edifiant, prenant, affolant, et triste en même temps. Merci pour ce reportage à Lyana Alameddine. Le cœur serré exacerbé par la colère qui m’envahit en voyant le joyau qu’était mon pays, devenir l’enfer qu’on voyait dans les journaux télévisés d’il y a cinquante ans. Quelle déchéance ! ce peuple patient et généreux, noyé dans la misère, toujours prêt à donner tout ce qu’il possède et il possède très peu. Mais la patience a des limites, et les limites ont été dépassées depuis belles lurettes. Les responsables sont nombreux, de tous bords, de toutes confessions, se cachent comme des rats, chacun dans un abri bunkérisé, craignant la lumière pour ne pas être aveuglé par la vérité qui jaillit de partout. Dans la rue, les maisons, la douleur des mères en pleurs, des enfants criant famine, dans l’indifférence de tout ce beau monde hautain et méprisant. Ils nous toisent d’un regard suffisant. Comment imaginer que les responsables puissent fermer les yeux en sachant pertinemment qu’ils sont la cause de tout ce marasme humain. Que Dieu tout- puissant les maudisse pour l’éternité dans les bas fonds de l’enfer. Amen ! N.B. Le Syrien commence à payer le mal qu’il nous a fait, chacun son tour, suivez mon regard…personne n’échappera à la colère de Dieu.

    Le Point du Jour.

    22 h 45, le 07 juillet 2021

Retour en haut