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Moyen-Orient - ÉCLAIRAGE

Face à la contestation, l’Autorité palestinienne multiplie les dérapages

Plusieurs femmes ont été agressées samedi par des agents de sécurité en civil lors de manifestations contre le pouvoir, dans le sillage du mouvement de contestation provoqué par l’assassinat de l’opposant politique Nizar Banat le 24 juin dernier.

Face à la contestation, l’Autorité palestinienne multiplie les dérapages

Les forces de sécurité palestiniennes déployées à Ramallah le 3 juillet 2021, lors d’une manifestation contre l’Autorité palestinienne dans le sillage de la mort du militant Nizar Banat. Abbas Momani/AFP

C’est l’histoire assez banale d’un pouvoir en déliquescence. Un pouvoir qui ne sait plus quoi échafauder pour enrayer sa propre décomposition et qui, à défaut d’innover, recycle de vieilles recettes. L’arrestation hier dans la matinée de plusieurs Palestiniens devant la cour de justice de Ramallah – l’avocat Mouhanad Karajeh et trois autres militants – est le dernier exemple en date des gesticulations de l’Autorité palestinienne (AP) afin d’intimider une opposition de plus en plus encombrante.

La veille, des centaines de manifestants étaient rassemblés sur la place al-Manara à Ramallah, siège de l’AP et l’un des centres de la contestation déclenchée le 24 mai par la mort du militant Nizar Banat. Son assassinat avait alors été attribué aux forces de sécurité qui avaient procédé à son arrestation quelques heures plus tôt. Comme au cours des dernières semaines, les protestataires ont réclamé que justice soit faite dans le cadre de l’affaire, tout en appelant à la démission du président Mahmoud Abbas et à la chute du régime. En plus des méthodes classiques de maintien de l’ordre (gaz lacrymogène, grenades assourdissantes), des hommes en civil – des fidèles du Fateh et des agents des services de renseignements – avaient également infiltré les rangs des contestataires, adoptant des pratiques allant de l’intimidation à l’agression physique (harcèlement, passage à tabac, arrestations) à l’encontre, notamment, des journalistes et des femmes. Sur internet, certaines de ces femmes à qui ils avaient confisqué le téléphone ont ensuite été accusées de « promiscuité » : le régime vient ainsi titiller la composante conservatrice et patriarcale de la société afin de mieux justifier cette nouvelle dimension sexiste du système répressif.

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Alors que les manifestations sont devenues régulières depuis le 25 juin à Ramallah, mais aussi à Hébron et à Bethléem, la stratégie de réponse des autorités s’est aussi précisée. Sur le plan judiciaire, le Premier ministre Mohammad Chtayeh avait annoncé l’ouverture d’une enquête au lendemain de l’annonce de la mort de Nizar Banat. Le dossier avait ensuite été transféré au procureur militaire, signe pour certains observateurs que les autorités avaient alors pris la mesure de ce qui était en jeu. Mais aucun des agents de sécurité impliqués dans l’arrestation du quadragénaire n’aurait été jusqu’à présent inquiété dans l’affaire.

En parallèle, c’est la méthode dure qui a été choisie pour gérer la rue en colère. « Le 27 juin, je regardais un groupe de jeunes – blessés, battus, et le cœur brisé – trouver refuge dans une église près de Ramallah : les loyalistes du Fateh et la police palestinienne ratissaient la ville, afin de rouer de coup les manifestants. Une question se pose alors : quelle est cette Palestine que l’AP prétend représenter et défendre si ses propres membres sont également à l’origine de violences ? » écrivait vendredi dans les pages du Washington Post Mariam Barghouti, chercheuse palestinienne basée à Ramallah.

Entre l’AP et Israël, « une distribution des rôles »

Les méthodes d’intimidation à l’encontre des opposants sont monnaie courante depuis plusieurs années, selon un scénario rodé : pressions en tout genre par des « militants » du Fateh puis arrestations par les forces de sécurité. Viennent ensuite les libérations, avant, parfois, de nouvelles arrestations. Mais un nouveau cap a été franchi, fin juin, avec l’assassinat de celui qui est rapidement devenu le « Khashoggi palestinien », en référence au dissident saoudien assassiné en 2018 par les autorités du royaume dans le consulat de son pays en Turquie. Les photos de Nizar Banat, son visage marqué par les coups, avaient alors confirmé le sentiment qu’ont certains que les autorités n’étaient plus que de vagues exécutants au service de l’occupation israélienne. Sur Twitter, un internaute s’interroge : « Arrestation de l’avocat Mouhanad Karajeh par l’AP. Arrestation du militant pour les droits de l’homme Farid el-Attrach par les forces de l’occupation. Convocation du journaliste Alaa el-Rimawi par l’AP. S’agit-il d’une coïncidence ou d’une distribution des rôles entre les deux ? »

Face à des critiques de plus en plus généralisées et l’image d’un Fateh qui harcèle sa propre population, les autorités de Ramallah se débattent pour sauver les apparences et tenter de s’imposer en défenseur de la nation palestinienne – par exemple en accusant certains militants de servir des intérêts étrangers ou bien en organisant une série de contre-rassemblements à travers la Cisjordanie afin de mettre en scène un soutien populaire de plus en plus fictif.

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Au-delà des agitations internes, l’AP joue aussi gros sur le plan international, alors que Mahmoud Abbas tente de se rapprocher de l’administration Biden qu’il espère plus conciliante que celle de son prédécesseur sur la question du conflit israélo-palestinien. Or, les propos du porte-parole du département d’État, Ned Price, qui affirmait être « profondément perturbé » par les méthodes de ces agents en civils dans les manifestations, ont de quoi inquiéter l’AP. Pour l’exécutif palestinien, cet épisode est d’autant plus alarmant qu’il fait suite à une longue série d’échecs qui se sont accumulés au fil des dernières années et, surtout, des derniers mois. Après avoir été accusé d’annuler le scrutin législatif du 22 mai – le premier en 15 ans – afin de préserver ses positions coûte que coûte, le gouvernement de Ramallah est sorti largement affaibli des multiples confrontations du mois de mai qui ont eu lieu à Jérusalem, à Gaza et dans les villes à majorité palestinienne d’Israël. Le Hamas, qui avait réagi aux violences de l’armée israélienne à Jérusalem par des tirs de roquettes en direction de l’État hébreu le 10 mai, s’était alors imposé comme le défenseur de la nation face à un leadership à Ramallah corrompu, conspué par la population et compromis par sa collaboration avec les autorités israéliennes.

C’est l’histoire assez banale d’un pouvoir en déliquescence. Un pouvoir qui ne sait plus quoi échafauder pour enrayer sa propre décomposition et qui, à défaut d’innover, recycle de vieilles recettes. L’arrestation hier dans la matinée de plusieurs Palestiniens devant la cour de justice de Ramallah – l’avocat Mouhanad Karajeh et trois autres militants – est le dernier exemple...

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