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Moyen-Orient - Éclairage

Silwan, miroir grossissant de l’occupation israélienne à Jérusalem

Dans cette petite ville adjacente à la cité sainte, l’État hébreu déploie un arsenal législatif diversifié pour repousser la population palestinienne loin des frontières de la citadelle sacrée.

Silwan, miroir grossissant de l’occupation israélienne à Jérusalem

Des manifestants palestiniens se rassemblent devant les décombres d’un magasin démoli par les autorités israéliennes à Jérusalem-Est, annexé par Israël, le 29 juin 2021. Ahmad Gharabli/AFP

La famille Odeh est propriétaire de plusieurs maisons dans la région de Silwan. Vingt-et-une personnes éparpillées entre différents foyers, eux-mêmes situés dans trois quartiers distincts. Un chez-soi à al-Bustan, un autre à Wadi Yasoul – menacés, respectivement depuis 2004 et 2013, de démolition – et un logis à Batn al-Hawa, où la présence des habitants est en péril depuis 2015. Ici, ils risquent l’éviction forcée, au profit de colons juifs.

« Hier, la police a appelé mon frère Kader qui vit à Wadi Yasoul avec sa femme et ses six enfants dans une maison de 260 mètres carrés. Ils lui ont dit qu’il devait détruire sa baraque de ses propres mains au lieu de laisser la municipalité s’en occuper et devoir, de surcroît, en supporter les frais », témoigne Qutaïba Odeh, 26 ans, qui vit à al-Bustan et partage avec les siens depuis le début des années 2000 l’angoisse de la précarité, la peur d’être obligé de partir « à tout moment dans les jours qui viennent ».

Reflet condensé

Les images qui nous parviennent de cette localité depuis quelques semaines en disent long sur les choix difficiles auxquels sont confrontés les Palestiniens au quotidien. Là, on y voit un jeune homme détruire lui-même son magasin pour ne pas avoir à payer les 20 000 shekels (6 000 dollars) d’amende de démolition ordonnée par la municipalité de la Ville sainte. Ailleurs, ce sont les bulldozers de l’armée israélienne qui écrasent une boucherie à al-Bustan, quand dans le même temps gaz lacrymogènes et matraques se déchaînent pour repousser habitants et activistes qui protestent. Depuis le 29 juin, les résidents du quartier vivent sous la menace imminente du déplacement forcé. Car une organisation de colons a les yeux rivés sur ces terres, où demeurent 124 familles – près de 1 500 personnes – qu’elle souhaiterait transformer en parc national et le relier à la cité de David. Au cours du mois dernier, la justice a émis une série d’ordres allant dans ce sens et depuis mardi maisons et négoces dans les environs sont soumis à des démolitions. Treize familles sont directement visées, soit près de 130 personnes. Mais, pour des raisons notamment financières, beaucoup ont préféré elles-mêmes se charger de la besogne. En filigrane, Silwan se mue en reflet condensé de la stratégie israélienne à Jérusalem, de cette volonté d’asseoir démographiquement, politiquement, juridiquement, socio-économiquement et culturellement la supériorité de la population juive sur la population palestinienne. Depuis les années 90 et les accords d’Oslo, le nombre de colons israéliens dans les territoires palestiniens a été multiplié par cinq pour s’élever à presque 700 000 aujourd’hui.

Pour mémoire

Cheikh Jarrah ou l’histoire d’une interminable dépossession

Selon le discours dominant israélien actuel, la Ville sainte constitue la capitale « indivisible » de l’État hébreu, a contrario du droit international. La partie orientale de Jérusalem abrite aujourd’hui plus de 300 000 Palestiniens et près de 210 000 colons israéliens. Pour Israël, elle est source d’une profonde angoisse démographique, se traduisant par une chasse à ces « Arabes » qu’il ne saurait voir. «À Jérusalem-Est, les Palestiniens disposent d’un statut de résident permanent, qui peut être révoqué sur la base de critères très vastes. Ils doivent réussir à prouver que la ville constitue véritablement le centre de leur vie. Alors, lorsqu’ils sont évincés de force de leurs foyers, ils tentent d’assurer un moyen pour ne pas perdre leurs droits et trouver un logement dans les zones extérieures au mur d’annexion », explique Aseel al-Bajeh, chercheuse juridique et chargée de plaidoyer au sein de l’organisation palestinienne de défense des droits humains al-Haq. « Depuis la construction du mur en 2002, près d’un tiers des Palestiniens de Jérusalem-Est se sont retrouvés de l’autre côté de la barrière. Ils conservent ainsi leur statut, mais la municipalité ne fournit pas de services dans ces zones qui sont connectées à la Cisjordanie et coupées de Jérusalem. » Selon al-Haq, bien que les Palestiniens constituent la majorité de la population dans la partie orientale de la ville, 35 % de la superficie des terres ont été alloués à la construction de colonies illégales et 52 % sont considérés comme « zones vertes » ou « zones non planifiées » dans lesquelles la construction est interdite.

Agriculture et tourisme

Située aux pieds de la Vieille ville de Jérusalem, Silwan abrite près de 33 000 Palestiniens et suscite depuis des années la convoitise des colons. Comme à Cheikh Jarrah, là aussi, certaines familles palestiniennes ont été forcées de partager leurs maisons avec eux. Depuis 2001, l’organisation Ateret Cohanim vise à acquérir des terres et à accroître la présence juive dans la partie orientale de la cité, à travers notamment la prise de contrôle d’une fiducie foncière, dont les racines remontent au XIXe siècle. À l’époque, elle avait acheté des terres dans les environs pour y reloger la communauté juive yéménite.

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La population palestinienne de Silwan a été au cours du temps doublement lésée. D’abord spoliée de ses terres et privée d’agriculture, c’est ensuite du tourisme que l’on a voulu l’exclure. « Nous habitons à Silwan de père en fils. Ma famille, des agriculteurs, y réside depuis près de 900 ans », confie Jawad Seyam, 51 ans, activiste. Selon lui, l’occupation israélienne a confisqué en 1967 près de 73 000 dounoms de terre, qui se sont ajoutés aux 40 000 accaparés dans le sillage de la Nakba. « Aujourd’hui, Silwan ne fait que 5 600 dounoms, sur lesquels vivent 55 000 personnes », avance M. Seyam. « Comme la région se trouve à deux pas du mur, il ne nous restait plus que le tourisme puisque toutes nos terres ont été saisies par l’occupation. Mais les colons, avec l’aide du gouvernement d’occupation, ont mis la main sur presque tous les sites touristiques dans la région, ils sont en train de construire de grands projets immobiliers et touristiques, coupant presque complètement nos ressources », dit-il.

Selon Qutaïba Odeh, il existe deux sortes de politiques israéliennes vis-à-vis des Palestiniens. « D’une part, la municipalité ordonne la destruction des maisons sous prétexte qu’elle n’en avait pas autorisé l’établissement. Depuis 1967, seules 13 % des demandes de construction palestinienne ont été accordées », explique le jeune homme. « Lorsqu’elle n’arrive pas à clore un dossier de la sorte, la municipalité le confie alors aux organisations de colons comme Ateret Cohanim qui œuvrent activement à Cheikh Jarrah ou à Silwan et font valoir un droit de propriété sur les terrains où sont construites nos maisons. » Ainsi, en vertu de la loi israélienne, si des juifs parviennent à prouver leur héritage pré-1948 à Jérusalem-Est, ils peuvent alors réclamer la restitution de leurs biens, même si des familles palestiniennes y vivent depuis des décennies. En revanche, il n’en va pas de même pour les Palestiniens, empêchés par la loi et le fusil de retrouver leurs propriétés à Jérusalem-Ouest.

Pour mémoire

À Cheikh Jarrah, le droit au service du pire

L’attention portée actuellement à la petite ville de Silwan s’inscrit dans la continuité de la séquence ouverte en mai dernier à Cheikh Jarrah, à travers les menaces d’expulsion planant sur plusieurs familles palestiniennes au profit de colons. Celle-ci avait permis de replacer la question coloniale au cœur des discussions autour de la Palestine, grâce notamment aux réseaux sociaux. Dana Rweidi, 24 ans, participe activement à la campagne #SaveSilwan. « Le but de cette campagne, c’était de faire parvenir nos histoires aux gens sur l’injustice que l’on subit au quotidien, mais aussi de mettre en avant le fait que l’on tient bon », dit-elle. « Aujourd’hui, nous parlons aux gens et nous leur disons que nous ne voulons pas de leur solidarité et de leurs caméras une fois que nos maisons auront été détruites, nous ne voulons pas que vous veniez prendre des photos d’enfants assis sur des ruines. C’est maintenant, quand on organise des sit-in et des activités hebdomadaires pour Silwan, qu’il faut se manifester. »

La famille Odeh est propriétaire de plusieurs maisons dans la région de Silwan. Vingt-et-une personnes éparpillées entre différents foyers, eux-mêmes situés dans trois quartiers distincts. Un chez-soi à al-Bustan, un autre à Wadi Yasoul – menacés, respectivement depuis 2004 et 2013, de démolition – et un logis à Batn al-Hawa, où la présence des habitants est en péril depuis...

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