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Pour une égalité des genres - Espagne

En Espagne, un réseau de militants, d'avocats et de sages-femmes brise le silence sur les violences obstétricales

Le gouvernement espagnol a récemment annoncé qu'il allait inscrire les violences obstétricales en tant que forme de violence à caractère sexiste. Cette mesure intervient après que des dizaines de femmes aient fait pression pour sensibiliser l'opinion publique à ce problème, soutenir celles qui en ont été victimes et faire changer les protocoles hospitaliers.

En Espagne, un réseau de militants, d'avocats et de sages-femmes brise le silence sur les violences obstétricales

Virginia Murialdo, anthropologue et militante de "El Parto es Nuestro". Crédit : Patricia Garcinuño

Elles pensaient toutes que cela ne leur était arrivé qu'à elles et sans savoir pourquoi. C'est ce sentiment partagé par un petit groupe de femmes espagnoles qui a lancé, il y a vingt ans, une chaîne d’e-mails pour parler des expériences négatives qu'elles avaient toutes vécues pendant leurs grossesses et leurs accouchements. Peu de temps après, elles ont commencé à recevoir d'autres témoignages de femmes partout en Espagne, qui mettaient en évidence un problème féminin méconnu, mais systématique et mondial : la violence obstétricale. Mille personnes se sont rapidement abonnées à leur chaîne d’e-mails, qui a depuis donné naissance à l’association espagnole pionnière, El Parto es Nuestro ("L'accouchement nous appartient"). Avec l’aide de groupes locaux dans plus de vingt villes du pays, elle offre un espace aux femmes pour s’écouter, se soutenir et obtenir des conseils.

Comptant aussi avec des avocats, des sages-femmes, des activistes et d'autres groupes, l'association constitue un réseau national d'initiatives, dont le travail a commencé à porter ses fruits sur le plan législatif ces dernières années. Récemment, le ministère espagnol de l'Égalité a annoncé qu'il allait inclure les violences obstétricales dans la loi et qu’elles seraient caractérisées comme un type de violence contre les femmes. Cette mesure a été saluée par les organisations militantes, qui espèrent qu’elle permettra de mettre fin à ces violences dont les conséquences physiques et émotionnelles affectent les mères comme leurs bébés.

Selon Virginia Murialdo, anthropologue et militante de l'association El Parto es Nuestro, les expériences négatives dont les femmes ont été le plus souvent victimes sont les épisiotomies (coupure de la peau, des muscles, des nerfs et des fascias qui entourent le vagin) injustifiées et non consenties pendant l'accouchement, l'administration excessive de médicaments, la tendance croissante aux césariennes et à la "manœuvre de Kristeller". Fortement remise en question par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), cette intervention consiste à exercer une pression sur l'abdomen pour pousser le bébé dans le canal pelvi-génital. Au-delà de ces pratiques, "les femmes subissent aussi des attitudes abusives, des commentaires humiliants" ainsi que "des actions qui ne respectent pas leur intimité", selon Mme Murialdo. Elles vont de la présence d'étudiants sans aux examens vaginaux sans le consentement de la patiente, à l'impossibilité de choisir la position d'accouchement, en passant par des commentaires sexistes visant à intimider celles qui refusent une péridurale.

Ces cas sont loin d’être inhabituels. Les Nations Unies ont décrit en 2019 les violences obstétricales comme un "phénomène répandu". De son côté, l'OMS les considère comme "une violation des droits des femmes”. Pourtant, celles qui en sont victimes s’expriment rarement sur leurs expériences, par honte, peur d’être stigmatisées ou parce qu'elles minimisent leur importance. "Beaucoup ont normalisé ce qui leur est arrivé, alors la première étape consiste à briser le silence et à sensibiliser le public", souligne Mme Murialdo.

Spécialisée dans les violences obstétricales depuis 18 ans, l'avocate espagnole Francisca Fernández Guillén est allée jusqu'à l'ONU pour défendre les cas de quatre femmes espagnoles dont les plaintes avaient été rejetées par les tribunaux du pays. Depuis qu'elle a commencé à travailler dans ce domaine, elle dit avoir constaté "une évolution encourageante” grâce à des décisions judiciaires importantes, qui laissent espérer que ces violences ne resteront plus impunies. "J'obtiens de bons jugements dans les tribunaux. Avant, il était beaucoup plus difficile de faire reconnaître, par exemple, la nécessité d'obtenir le consentement éclairé du patient pour pratiquer une épisiotomie ou pour déclencher l’accouchement”, explique-t-elle.

Cependant, certains refusent encore de reconnaître, médicalement et judiciairement, le préjudice que ces pratiques causent à de nombreuses femmes. L'une des quatre plaintes déposées par l'avocate devant la Commission des droits de l'homme de l'ONU en 2018, concernait le cas d'une femme qui a accouché à l'hôpital de Cruces, au Pays basque espagnol, en 2012. "Elle s'est mal comportée", "elle ne mérite pas d'enfant", "je devrais vous enlever l'enfant, vous vous êtes très mal comportée", sont quelques-uns des commentaires qu’elle a entendus pendant l'accouchement de la part de sa sage-femme, qui a également pratiqué une épisiotomie non indiquée et non consentie. La mère n'a pas été autorisée à boire quoi que ce soit depuis son admission à l'hôpital et a été contrainte de rester sur le dos sans bouger, seule en permanence, sans même qu’on laisse entrer le père de l’enfant. Cette épisiotomie a par la suite entraîné une incontinence urinaire et des répercussions "graves" sur ses relations sexuelles et de couple.

En 2020, la Commission des Nations unies a finalement réprimandé l'Espagne pour les violences obstétricales commises à l'encontre de l'une des clientes de Francisca Fernández Guillén. Dans sa résolution, la Commission a indiqué que la femme avait été soumise à plusieurs pratiques “sans justification apparente” comme le déclenchement de l’accouchement et a qualifié ces événements de violencse sexistes. Selon l’avocate, l'introduction de la violence obstétricale dans le droit espagnol ne servira toutefois à rien s'il n'y a pas un véritable engagement à respecter les protocoles et les règlements pour un 'accouchement respectueux, lesquels déconseillent déjà nombre de ces pratiques et exigent que les femmes soient informées.

De nombreux hôpitaux s’y attèlent déjà. Soledad Carreguí, sage-femme depuis plus de 20 ans à l'hôpital universitaire de La Plana situé dans la province de Castellón (dans l’est de l'Espagne), affirme que beaucoup de choses ont changé depuis qu'elle a commencé à y travailler. Une évolution menée par un groupe de professionnels ayant commencé à remettre en question la "médicalisation excessive" des accouchements et à chercher, sur la base de nouvelles données médicales, de nouvelles pratiques qui humaniseraient cette expérience.

"De nombreuses pratiques cliniques ont été remises en question sur le plan scientifique, mais elles sont difficiles à changer à cause de la routine propre à l’hôpital", explique-t-elle. L'hôpital dispose désormais d'un protocole d'accouchement dans lequel le personnel applique ce qu'il a appris : "Nous encourageons la mobilité des femmes pendant la dilatation. Nous veillons également à ce qu'elles accouchent dans la position la plus confortable, nous leur permettons de manger, de boire et d'être accompagnées de qui elles veulent. Nous évitons les médicaments, l'ocytocine, les épisiotomies et le déclenchement de l’accouchement lorsqu'ils ne sont pas nécessaires, et les césariennes sont décidées au cas par cas." Selon Carreguí, il s'agit de "ne pas travailler sur un coup de tête ou selon des protocoles anciens et rigides, mais de se concentrer sur les femmes et leurs besoins.Une naissance humanisée est absolument compatible avec une naissance sûre".

Cet article est publié dans le cadre de “Towards Equality”, une opération de journalisme collaboratif rassemblant 15 médias d’information du monde entier mettant en lumière les défis et les solutions pour atteindre l’égalité des genres.


Elles pensaient toutes que cela ne leur était arrivé qu'à elles et sans savoir pourquoi. C'est ce sentiment partagé par un petit groupe de femmes espagnoles qui a lancé, il y a vingt ans, une chaîne d’e-mails pour parler des expériences négatives qu'elles avaient toutes vécues pendant leurs grossesses et leurs accouchements. Peu de temps après, elles ont commencé à recevoir d'autres...

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