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Pour une égalité des genres - Maroc

Au Maroc, « Machi Rojola » pour une nouvelle masculinité inclusive

Un nouveau podcast marocain met en évidence les effets nocifs de certains idéaux traditionnels des comportements masculins. Selon ses promoteurs, les hommes doivent faire partie de la solution pour atteindre l’égalité hommes-femmes.

Au Maroc, « Machi Rojola » pour une nouvelle masculinité inclusive

Docteur en biologie moléculaire, Soufiane Hennani a choisi une voie éloignée de son cursus, guidé par son militantisme pro-féministe. Crédit : Soufiane Hennani

Masculinité toxique versus masculinité positive, ou comment repenser la masculinité dans une société patriarcale telle que celle du Maroc. Tel est l’objectif ambitieux du podcast « Machi Rojola », lancé par le collectif marocain Elille en novembre 2020. Un projet qui n’est pas destiné, selon ses promoteurs, à diaboliser les hommes, mais plutôt à mettre en évidence les effets nocifs et socialement destructeurs de certains idéaux traditionnels des comportements masculins tels que la domination violente, la misogynie, l’autosuffisance, la compétition…

C’est pendant le confinement, avec une situation sanitaire et sociale qui a exacerbé les facteurs de discrimination et accentué la vulnérabilité des femmes et des minorités, que le collectif Elille est né. Il regroupe une dizaine d’hommes et de femmes qui veulent reconsidérer la place des hommes dans notre société, mais également donner la parole aux groupes minorisés (communauté LGBT, personnes âgées, personnes à mobilité réduite…). Le podcast est la première action du collectif, qui annonce la mise en ligne en juillet 2021 d’une plateforme d’échange et de diffusion de contenus-académiques et culturels à travers le podcast, la photographie, la vidéo et l’écriture.

« Si les circonstances exceptionnelles liées à la Covid-19 mettent à nu et exacerbent les mécanismes des violences faites aux femmes et aux groupes minorisés, nous considérons que la situation est bien antérieure à la crise. Les différentes formes de violences sont bien ancrées dans nos sociétés patriarcales. Elles sont le fait des hommes qui sont en grande partie responsables de la situation. Il nous semble important qu’ils fassent également partie de la solution », soutient Soufiane Hennani, cofondateur du collectif et initiateur de la série de podcasts. L’objectif affiché étant d’allier, par le biais d’un débat constructif, les hommes (qui ne le sont pas encore) à l’égalité pour toutes et tous en faisant la promotion de masculinités nouvelles.

L’homme de demain est-il féministe ?

« Machi Rojola » est une expression populaire qui signifie « ce n’est pas de la masculinité » (et qui sous-entend « tu n’es pas un homme »). Elle est utilisée pour signifier le manque de courage, d’honneur, de force… autant d’attributs supposés masculins. Dans cette plateforme alternative, « nous nous réapproprions l’expression pour revendiquer une masculinité plurielle et inclusive au lieu d’une masculinité exclusive et toxique », précise le trentenaire fraîchement titulaire d’un doctorat en oncologie et biologie moléculaire. « La biologie c’est mon domaine de compétence, mon intérêt pour les Droits Humains c’est mon engagement en tant que citoyen et humaniste, que j’ai entamé d’abord auprès d’Amnesty international, puis avec le collectif Elille, qui peut signifier la nuit en arabe, mais qui est surtout une contraction ou un jeux de mots entre les pronoms Elle et Ille », explique Soufiane.

La masculinité est-elle forcément toxique ? Comment avoir plus de représentativité des femmes et sortir de la représentativité traditionnelle des hommes dans les arts ? L’homme de demain est-il féministe ? Quelle place occupent les masculinités dans l’Islam ? Peut-on libérer la parole des hommes ? Quelle place pour les identités sexuelles et genres multiples dans nos sociétés ? Autant de questions auxquelles ont répondu des intervenants tels que l’essayiste Asma Lamrabet, l’écrivain Abdellah Taïa, la chercheuse intersectionnelle Françoise Vergès ou encore l’acteur Fayçal Azizi et le réalisateur Hicham El Asry. Les interventions sont ponctuées de témoignages de personnes concernées et de citoyens et citoyennes lambda.

60.000 écoutes et beaucoup d'engouement

La première saison du podcast, contenant huit épisodes de 45 minutes chacun, a été diffusée sur les réseaux sociaux et les principales plateformes de son, Spotify, Anchor, Soundcloud… Essentiellement en Darija (arabe marocain), la série a accumulé quelque 60.000 écoutes et a suscité un grand engouement auprès des jeunes depuis son lancement. « L’adhésion des jeunes au projet a été l’un des points les plus positifs du projet », se félicite Soufiane. En effet, ce sont les 18/35 ans qui représentent la grande majorité des personnes touchées (+80%). Quand à la répartition par genre: 54% du public se définit comme « femme », 40% comme « homme », alors que 13% ne donne pas de définition ou se définit comme « non binaire ».

Audacieuse et innovante, l’initiative a surtout eu le mérite d’instaurer un débat nouveau sur les masculinités auprès des jeunes et au sein même des familles. « Les intervention de Fatna El Bouih [militante et ex détenue politique] et de Asma Lamrabet [essayiste et féministe musulmane] m’ont beaucoup touché et nous ont permis d’avoir des discussions intéressantes avec mon père et mon frère sur l’attitude du prophète envers les femmes et le rôle de chacun au sein de la famille », témoigne Hajar, 21 ans, sur la page Facebook de Machi Rojola.

Le projet a été très largement couvert par la presse nationale et internationale, qui a été extrêmement favorable à son égard. Au Maroc, il a bénéficié de plusieurs passages à la télévision nationale en prime time, dont certains totalisant quelque 3 millions de téléspectateurs. L'initiative a également fait l’objet d’émissions dans les principales radios publiques et privées et a été relayée dans la majorité de la presse écrite et en ligne. Au niveau international, plusieurs médias se sont fait l’écho du podcast, mais le plus important, selon Soufiane Hennani, ce sont les multitudes de débats dans les lycées, collèges et universités auxquels il a été invité dans des villes comme Casablanca, Rabat ou Tanger ainsi que les webinars et autres conférences en ligne auxquels il a pu participer.

« Que ce soit avec les élèves du Lycée Regnault à Tanger, les anciens jeunes détenus de l’association Relais-prison à Casablanca, les étudiants de l’Université Internationale de Rabat ou celle d’Al Akhawayne à Ifrane… Les préoccupations sont les mêmes. J’ai constaté, chez la majorité des jeunes, un questionnement constant avec un désir d’émancipation et une volonté de redistribuer les cartes au sein des sociétés conservatrices. Les questions d’égalité homme/femme, de religion, de la mixité dans les espaces publiques et même de respect des traditions, sont abordées avec beaucoup plus de bon sens que chez leurs aînés. Une attitude qui donne beaucoup d’espoir », conclut Soufiane Hennani.

Cet article est publié dans le cadre de “Towards Equality”, une opération de journalisme collaboratif rassemblant 15 médias d’information du monde entier mettant en lumière les défis et les solutions pour atteindre l’égalité des genres.


Masculinité toxique versus masculinité positive, ou comment repenser la masculinité dans une société patriarcale telle que celle du Maroc. Tel est l’objectif ambitieux du podcast « Machi Rojola », lancé par le collectif marocain Elille en novembre 2020. Un projet qui n’est pas destiné, selon ses promoteurs, à diaboliser les hommes, mais plutôt à mettre en évidence les effets...

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