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Pour une égalité des genres - Japon

Comment s'attaquer aux stéréotypes liés au congé paternité au Japon

L'archipel du Japon dispose de l’un des systèmes de congé paternité les plus généreux du monde, mais peu d’hommes en profitent réellement, en raison de stéréotypes sexistes tenaces. Certains gouvernements locaux et certaines entreprises tentent d’inverser la tendance.

Comment s'attaquer aux stéréotypes liés au congé paternité au Japon

Noboru Hosokawa, un employé de Sekisui House qui travaille au parc de maisons témoins du quartier de Setagaya, à Tokyo, a pris un mois de congé paternité. Credit: Suguru Takizawa

Le système de congé parental japonais est considéré comme l’un des plus avantageux au monde. Permettant à la fois aux hommes et aux femmes de rester à la maison jusqu’à ce que leurs enfants atteignent l'âge d’un an, tout en continuant à percevoir 50 à 65% de leur salaire chaque mois, le dispositif est arrivé en tête du classement dans la catégorie des congés payés réservés aux pères, sur les 41 premiers pays offrant de tels avantages, selon une enquête réalisée par l’UNICEF en 2019. Ce congé peut également être prolongé jusqu’au deuxième anniversaire de l’enfant. Pourtant, moins de 8 % des pères actifs dans le pays en ont profité en 2019 – contre 83 % des mères en activité – en raison des stéréotypes qui planent toujours sur ce congé..

Noboru Hosokawa, qui gère à 46 ans un parc de maisons témoins à Tokyo pour une multinationale du BTP, était initialement contre l’idée de prendre un congé paternité, car il craignait que cela suscite la consternation de ses collègues. « J’avais beaucoup de travail et pensais que c’était impossible de prendre ce congé », confie-t-il. « En tant que manager, je me devais d’améliorer les ventes et croyais à tort qu’un congé paternité nuirait à mon image auprès de mes subordonnés ».

Le stéréotype du mari qui ramène l’argent au foyer et de la femme qui assume les charges domestiques et s’occupe des enfants reste prégnant au Japon. Beaucoup d’hommes ne savent pas que prendre le temps de participer pleinement à l’éducation de leurs enfants peut avoir un impact positif sur le taux d’emploi des femmes et contribuer à atteindre l’égalité femmes-hommes – un enjeu pour lequel le Japon se hisse péniblement à la 120ème place sur 156 nations, selon le rapport mondial sur l’écart entre les genres de 2020 du Forum économique mondial. D’autres doivent faire face à des supérieurs hiérarchiques qui pensent que la priorité principale des hommes doit être le travail, qui accusent leurs employés d'être gênants lorsqu’ils demandent des congés pour s’occuper de leurs enfants, ou qui les menacent sournoisement de leur retirer d’éventuelles promotions. Près de 70% des quelque 3000 entreprises interrogées l’été dernier par les Chambres de Commerce et d’Industrie du Japon et de Tokyo sont toujours « totalement ou plutôt opposées » à toute disposition qui obligerait les employeurs à rendre le congé parental obligatoire chez leurs employés masculins. Mais le gouvernement national et les autorités locales, ainsi que certaines entreprises, tentent d’y remédier.

Parmi les fonctionnaires de la préfecture de Gifu, les pères dont les femmes sont enceintes doivent obligatoirement présenter un plan de garde pour l’enfant. Credit: Yoshinobu Matsunaga

Il y a deux ans, M Hosokawa passait peu de temps avec son fils de 5 ans et sa fille de bientôt 3 ans, en dehors des vacances. Il devait quitter la maison pour partir au travail à 7h30 tous les jours et rentrait souvent après 20h, quand les enfants étaient déjà au lit. Lorsque ses enfants sont nés, il ne savait pas qu’une famille comme la sienne – avec une femme au foyer à temps plein – était eligible au congé parental. Et quand il a fini par l’apprendre, il est resté sur sa faim : aucun autre cadre autour de lui n’ayant pris de congé parental.

Un effort qui vient d’en haut

2018 a constitué un tournant pour lui : son entreprise, Sekisui House Ltd., s’est mise à inciter ses employés ayant des enfants de moins de trois ans à prendre un congé de paternité d’un mois ou plus. Le président de l’entreprise, Yoshihiro Nakai, a lancé une réforme par le haut, qui a entraîné des changements progressifs dans l’attitude de l’entreprise à l’égard du congé paternité. Elle prévoit notamment de payer intégralement le salaire du premier mois de congé pour apaiser les inquiétudes éventuelles des employés quant à la perte de revenus. À l’époque, la fille de M. Hosokawa allait avoir 3 ans, mais il était toujours réticent à prendre un congé. Il a finalement accepté de participer au programme de congé paternité qu’offrait l’entreprise quand son supérieur et d’autres collègues lui ont promis de reprendre ses fonctions et de soutenir son équipe.

Pendant son congé, M. Hosokawa a cuisiné, fait la lessive et passé tellement de temps avec ses enfants qu’il a développé un lumbago. La douleur lui a fait réaliser à quel point il avait jusque-là peu contribué aux tâches ménagères et à l’éducation de ses enfants. Aujourd’hui, il est de retour au travail et aide à préparer le congé paternité d’un jeune membre de son équipe. Il conseille à présent à ses collègues plus jeunes « de profiter pleinement de leur temps et de le passer avec leurs enfants pour les voir grandir ».

Gifu, une localité favorable aux pères

La préfecture de Gifu, dans le centre du pays, à l’est de Kyoto, a également adopté une approche descendante pour tenter d’augmenter le taux de congé paternité parmi ses fonctionnaires. La préfecture a aujourd’hui le meilleur ratio du pays, selon une enquête menée par le ministère des affaires intérieures japonais – mais uniquement dans les services du gouvernement préfectoral directement supervisés par le gouverneur de Gifu. Sur les 93 fonctionnaires éligibles au sein de ces services, 48 - soit 51,6 % - ont pris leur congé paternité au cours de l’exercice 2019, soit 17,1 points de plus que les 34,5 % de l’année précédente. Un chiffre bien au-dessus de la moyenne nationale : 16,8 % des fonctionnaires prenant leur congé paternité.

« Une nouvelle ambiance de travail a émergé [à Gifu], où prendre un congé de paternité est désormais considéré comme normal » dit un représentant du bureau chargé de l'autonomisation des femmes et de la diversité du ministère des affaires intérieures. « Dans certains endroits, et pour certaines raisons, cela restera difficile de se passer du personnel, mais nous espérons que la mise en place des mesures de la préfecture de Gifu aideront les municipalités et entreprises privées de la préfecture à améliorer la situation ».

Depuis 2015, le gouvernement préfectoral oblige ses employés pères en devenir à soumettre des plans de garde d’enfants, détaillant les dates d’accouchement prévues et indiquant s’ils prendront un congé paternité. S’ils déclarent qu’ils ne le feront pas, le département des ressources humaines encourage leurs superviseurs à ajuster l’emploi du temps de leurs collaborateurs et pousser ces derniers à libérer du temps pour leurs enfants.

La préfecture de Gifu prévoit aujourd’hui de faire passer son taux de congé paternité à 90 %, mais des défis restent à relever. Dans les secteurs qui ne relèvent pas directement de la compétence du gouverneur, Gifu se classe en fait au deuxième rang national, avec un taux de congé paternité de 13% chez les employés éligibles, derrière la préfecture de Tottori, qui affiche 26 %. Ainsi, au sein du département de police de la préfecture, le taux atteint seulement 5%, et celui du conseil préfectoral de l’éducation, 4,9 %. Les entreprises privées et les municipalités de Gifu peinent aussi à améliorer leur taux de congé.

Des exemples comme ceux-là montrent que, même s'il semble difficile de briser des stéréotypes de longue date, le Japon évolue lentement mais sûrement vers une société plus favorable aux familles. D’ici 2025, le gouvernement central espère hisser le taux de congé paternité des fonctionnaires régionaux et des entreprises privées à au moins 30 %. Une mesure qui profiterait non seulement aux pères actifs, mais qui aiderait aussi à réduire les inégalités entre les sexes.

Cet article est publié dans le cadre de “Towards Equality”, une opération de journalisme collaboratif rassemblant 15 médias d’information du monde entier mettant en lumière les défis et les solutions pour atteindre l’égalité des genres.


Le système de congé parental japonais est considéré comme l’un des plus avantageux au monde. Permettant à la fois aux hommes et aux femmes de rester à la maison jusqu’à ce que leurs enfants atteignent l'âge d’un an, tout en continuant à percevoir 50 à 65% de leur salaire chaque mois, le dispositif est arrivé en tête du classement dans la catégorie des congés payés réservés...

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