Le patriarche maronite Béchara Raï s’est une nouvelle fois ouvertement opposé aux appels à la tenue d’une Assemblée constituante qui modifierait le régime politique actuellement en vigueur au Liban, principalement axé sur la parité islamo-chrétienne consacrée par la Constitution. Le prélat maronite a mis en garde dans ce cadre contre les tentatives de remplacer cette parité par un système de partage communautaire par tiers (sunnite-chiite-chrétien), y voyant une « menace pour l’entité libanaise ».
Les propos du chef de l’Église maronite sonnent comme une critique à l’encontre du Hezbollah et de son allié chrétien, le Courant patriotique libre, qui brandissent régulièrement la question du changement du système libanais, dans un pays plongé dans une crise en profonde.
« Je ne sais pas ce que veut dire une Constituante, ni quels seraient ses objectifs. Et quand une idée nous est inconnue, nous nous y opposons », a lancé le chef de l’Église maronite jeudi soir, lors d’une table ronde avec des étudiants de l’Université Saint Joseph (USJ). « Par contre, la conférence internationale pour laquelle nous plaidons a des buts clairs et connus », a-t-il ajouté, dans une allusion au combat qu’il mène depuis des mois pour la tenue d’une conférence internationale pour le Liban sous les auspices de l’ONU. Selon Mgr Raï, cette conférence devrait examiner des sujets épineux tel que l’arsenal « illégal » du Hezbollah.
Que veut dire « le chrétien le plus fort » ?
Évoquant la question d’un éventuel recours au partage par tiers en lieu et place de la parité islamo-chrétienne, le patriarche a déclaré : « Le partage par tiers porte atteinte à l’équilibre politique et menace l’entité libanaise ». Il a aussi appelé au respect du pacte national de 1943. Et dans une critique implicite au président de la République, Michel Aoun, et son camp, Mgr Raï a confié « ne pas comprendre » ce que veut dire la notion du « chrétien le plus fort ». Le chef de l’État et le parti qu’il a fondé, le Courant patriotique libre (CPL), brandissent ce slogan depuis 2016. « Que veut dire être le premier parmi les chrétiens ? Qui décide de cela ? » s’est interrogé le patriarche, appelant à ce que soit élu un président qui soit « le premier sur le plan libanais, sans allégeances extérieures ». « Le Liban est en danger du fait de la mauvaise pratique politique et des allégeances extérieures », a encore déploré le patriarche réitérant son appel à consacrer le principe de la neutralité du Liban par rapport aux conflits des axes régionaux. Une demande réclamée sans relâche depuis des mois par Mgr Raï et qui lui a valu des critiques, notamment de la part du Hezbollah et de ses alliés.
Interrogé par L’OLJ sur le timing et la portée des propos du patriarche sur la Constituante et le partage communautaire, Antoine Sfeir, avocat à Beyrouth et à Paris, maître de conférences à l’USJ, note que « le discours patriarcal n’est pas nouveau ». « Le patriarche maronite est attaché à la Constitution du point de vue du partage du pouvoir entre les communautés, poursuit-il. Il est essentiel pour lui que la diversité soit respectée dans l’exercice du pouvoir, vu que le Liban est porteur d’un message de diversité dans une démocratie consociative (système politique démocratique dans les sociétés très divisées, NDLR). S’il y a des failles, elles devraient être examinées ultérieurement. Actuellement, nous passons par une crise aiguë de pouvoir et de régime, et le patriarcat, en pareil contexte, est naturellement contre toute atteinte aux principes constitutionnels relatifs à l’équilibre entre les communautés et à la modification de l’esprit de la Constitution. » Selon le juriste, la portée de ce discours est « générale, relative à cette interaction entre les communautés ». « Le patriarche a peur pour ce Liban démocratique, et réagit aux dangers imminents qui pèsent sur toutes les institutions libanaises et sur le mécanisme même du fonctionnement de l’État », ajoute-t-il.
Boukhari à Bkerké
Également au cours de cet échange avec les étudiants, Mgr Raï s’est prononcé sur la crise gouvernementale, exhortant les responsables à former « le plus rapidement possible » un cabinet qui se fait attendre depuis bientôt dix mois. « Je suis sûr que le pape a reporté sa visite au Liban à cause de l’absence de gouvernement », a-t-il affirmé, alors que le souverain pontife a exprimé son désir de se rendre à Beyrouth, sans toutefois donner de date précise pour un tel déplacement.
Le patriarche maronite multiplie les appels à la mise en place du cabinet et prend part aux contacts allant dans ce sens. C’est dans ce cadre qu’il s’est entretenu hier à Bkerké avec l’ambassadeur d’Arabie saoudite au Liban, Walid Boukhari. « J’étais honoré de m’entretenir avec le patriarche aujourd’hui, à travers qui se dévoilent l’identité du Liban-message et la sagesse dans le maintien des équilibres dans l’intérêt de la population libanaise », a écrit M. Boukhari sur Twitter. Selon l’Agence nationale d’information (ANI, officielle), le diplomate saoudien a également souhaité que « l’intérêt national suprême prime sur tout autre intérêt personnel qui empêche le retour à la stabilité, la sécurité et le développement au Liban ».
La réunion entre les deux hommes intervient à l’heure où le Premier ministre désigné, Saad Hariri, qui semble avoir été lâché par son parrain saoudien, ne parvient pas à former la nouvelle équipe ministérielle. Selon les sources de l’agence al-Markaziya, l’ambassadeur d’Arabie saoudite était venu remercier le patriarche pour le rôle qu’il a joué dans la solution « diplomatique » au problème causé par les propos irrespectueux envers le royaume, tenus par l’ancien ministre des Affaires étrangères Charbel Wehbé, le 17 mai dernier, à la chaîne al-Hurra. M. Wehbé avait demandé à être démis de ses fonctions deux jours plus tard et a été remplacé par la ministre de la Défense Zeina Acar. Les deux hommes auraient également parlé, toujours selon al-Markaziya, de la manière de réhabiliter la relation dégradée entre le Liban et l’Arabie saoudite, ainsi que de la levée de l’interdiction d’importer des produits agricoles du Liban, depuis la saisie de tonnes de Captagon dans des grenades en provenance de Beyrouth, le 25 avril dernier. Toujours selon ces sources, Riyad demande au Liban de prendre une décision politique en faveur d’un contrôle efficace de ses frontières (les grenades, en l’occurrence, ont probablement été introduites frauduleusement de Syrie, NDLR), et de juger les responsables de cette opération.
commentaires (5)
Si j'étais à la place de Mgr Raî, je me serai défroquée pour me consacrer à mon plat préféré celui de la politique . Notre patriarche accapare ,tous les jours que Dieu a créés , les colonnes de toute la presse écrite . Quel Liban aurons nous si les autres communautés religieuses lui emboiteraient le pas ?
Hitti arlette
14 h 28, le 31 mai 2021