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Culture - Performance

« Cette année, j’ai eu l’impression, par moments, que l’art ne servait plus à rien »...

La chorégraphe, danseuse et actrice Khouloud Yassine présente ce soir* « Heroes-Surface of a Revolution », qui interroge le rapport de nos corps au pouvoir et prend, cette année, une autre dimension...

« Cette année, j’ai eu l’impression, par moments, que l’art ne servait plus à rien »...

Dans « Heroes – Surface of a Revolution », Khouloud Yassine questionne le corps comme médium d’influence, le corps médiatisé, l’image du corps. Photo Greg Demarque

Khouloud Yassine, vous présentez ce vendredi 21 mai au soir au musée Sursock, dans le cadre du Festival Bipod, la performance « Heroes – Surface of a Revolution », initialement proposée en 2017. Qu’est-ce qui change par rapport à la version précédente ?

Cette performance, présentée pour la première fois il y a voilà quatre ans, a été conçue sous une forme qui lui confère le caractère d’un work in progress, d’une œuvre évolutive. À chaque présentation, à chaque rencontre avec le public, ce spectacle se développe et se transforme d’une certaine manière, même si le contenu est quasiment le même et que le thème abordé, qui est le rapport du corps avec le pouvoir – et plus précisément la question de savoir si c’est le pouvoir qui crée en nous son image ou si, plutôt, ce sont nos corps qui recherchent et entretiennent la notion de chefs –, n’a pas changé non plus. Au départ, j’ai employé le terme révolution (dans le titre de cette performance) dans les deux sens du mot : le soulèvement populaire, le refus, mais aussi l’idée d’un mouvement circulaire.

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Même si je ne suis pas du genre à aborder l’actualité dans mon art, parce que je pense qu’il est extrêmement difficile – voire impossible – de mettre des mots sur quelque chose par rapport auquel nous n’avons pas de recul, cette performance doit sans doute trouver un nouvel écho, un écho particulier, chez le public libanais après ces deux années chargées. À mes yeux, ce thème-là, cette lutte permanente avec le pouvoir et le rôle que nos corps y jouent, a toujours existé, autant chez Hitler que Michael Jackson. C’est à travers ce prisme que j’aborde cette œuvre.

Qu’est-ce qui vous a incitée à créer une œuvre autour de ce thème ?

Je pense que nous sommes noyés, du matin jusqu’au soir, à travers les médias, les publicités et nos rapports humains, dans cette rivalité avec le pouvoir et dont nos corps sont le médium. C’est cette question-là que j’ai voulu soulever à travers Heroes. En fait, je me suis longtemps demandée si le pouvoir employait nos corps ou si, au contraire, ces derniers étaient à la recherche constante d’un symbole auquel s’accrocher. L’idée était de traduire ces questions par le biais de la danse. Ce qui m’a frappé, c’est que ce jeu de pouvoir, bien que très différent dans sa finalité, s’appliquait à toutes les personnalités influentes qui usent de leur corps comme outil pour asseoir leur influence. De Hitler qui se faisait photographier pour travailler sa posture à Beyoncé dont le moindre mouvement suffit à soulever les foules, cette mécanique est toujours la même.

Comment est-ce que la question du rapport du corps au pouvoir résonne-t-elle aujourd’hui, avec tout ce que le monde et la région plus particulièrement traversent en ce moment ?

Il m’est très difficile de sous-titrer mon propre travail, surtout que Heroes a été pensé dans l’optique de réfléchir à notre subordination à nos corps, notre image, et comment nous nous rattachons à d’autres corps auxquels nous aspirons, ce qui selon moi est une thématique qui transcende la notion du temps. La symbolique de ce travail dans le présent, c’est à travers le regard du public qu’elle se traduit, et les questions actuelles que cette œuvre soulève dans le présent. Si mes références, comme je le disais, ne sont pas limitées à notre époque, c’est la représentation et le ressenti du public au moment présent qui leur attribue un autre sens, et une autre dimension.

Au terme de cette année où les corps ont été mis sous chape, qu’est-ce que cela symbolise pour vous de continuer à produire de la danse ?

Cette année, j’ai eu l’impression, par moments, que l’art ne servait plus à rien. Que ce que je faisais n’avait plus de sens. Il y a eu beaucoup d’angoisse. En ce qui me concerne, j’ai du mal à m’inscrire dans la tendance du digital, et d’autant plus quand il s’agit de la danse. Mon travail ne vit pas à travers un écran, simplement parce que je suis persuadée que le public a besoin de ressentir l’énergie de la scène, de voir la sueur des danseurs. Il a besoin de vérité en fait, pour pouvoir vivre l’œuvre dans sa totalité. Mais, heureusement, j’ai l’impression que la transformation digitale du monde n’aura pas lieu, en tout cas en ce qui concerne l’art de la scène. Les artistes ont encore beaucoup à dire, et comme toutes les crises, celle que nous avons vécue cette année aura une fin. On y est presque.

Quel est, à votre avis, le rôle de la danse dans le Liban de 2021 ?

Malheureusement, la danse n’a toujours pas la portée qu’elle mérite au Liban, et encore moins avec les crises que nous traversons depuis deux années. Les initiatives semblables à Bipod restent très limitées, mais savoir que des spectacles pareils ont encore le pouvoir de transporter le public, ou j’espère de les pousser à se poser des questions, est déjà rassurant. Ce pays est très contradictoire.

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En même temps, on touche le fond, et les gens trouvent encore la volonté de continuer à organiser des évènements culturels, aussi minimes soient-ils, et y assister. C’est comme si les moments difficiles que nous vivons ont, paradoxalement, créé une force en nous qui nous pousse à continuer de faire des choses, et de rêver aussi. On ne peut pas se distancer des circonstances actuelles, elles nous contaminent sans même qu’on ne s’en rende compte, mais toutefois on doit continuer. À l’instar d’un boucher, un chauffeur de taxi ou un boulanger, je me dois de poursuivre mon travail, comme je continue de m’occuper de ma fille. Pour trouver un sens à ma vie. Pour ne pas mourir, en fait.

*« Heroes – Surface of a Revolution »de et avec Khouloud Yassin, ce soir vendredi 21 mai, à 20h, sur l’esplanade du musée Sursock, rue Sursock (places limitées) et en live streaming sur la plateforme https://www.citerne.live/

Par ailleurs, l’artiste participe à une discussion matinale le lendemain de sa performance, samedi 22 mai, à 9h CET (10h heure de Beyrouth), diffusée en direct sur Citerne.live

Khouloud Yassine, vous présentez ce vendredi 21 mai au soir au musée Sursock, dans le cadre du Festival Bipod, la performance « Heroes – Surface of a Revolution », initialement proposée en 2017. Qu’est-ce qui change par rapport à la version précédente ?Cette performance, présentée pour la première fois il y a voilà quatre ans, a été conçue sous une forme qui lui...

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