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Culture - Entretien

« Sans ses quartiers historiques, sans ses créateurs, Beyrouth ne serait plus Beyrouth »

La nouvelle directrice du Bureau régional de l’Unesco pour l’éducation dans les États arabes et représentante de l’Unesco au Liban et en Syrie, Costanza Farina, partage les priorités de sa mission, tout en revenant sur l’initiative Li Beirut enrichie récemment de la donation italienne d’un million d’euros pour la réhabilitation et la réouverture du musée Sursock.

« Sans ses quartiers historiques, sans ses créateurs, Beyrouth ne serait plus Beyrouth »

Costanza Farina, directrice du Bureau régional de l’Unesco pour l’éducation dans les États arabes et représentante de l’Unesco au Liban et en Syrie. Photo DR

Le gouvernement italien vient d’octroyer un million d’euros au musée Sursock dans le cadre de l’initiative Li Beirut lancée par l’Unesco après la tragédie du 4 août. Pouvez-vous nous parler en détail de cette initiative, de ce qu’elle a accompli jusque-là et de ce qui reste à accomplir ?

Le soutien italien à la réhabilitation et à la réouverture du musée Sursock fait en effet partie intégrante de l’initiative Li Beirut, lancée par la directrice générale de l’Unesco Audrey Azoulay lors de sa visite à Beyrouth en août 2020 au lendemain des explosions du port. L’initiative a été mise sur pied en tant que soutien de l’Unesco au relèvement et à la reconstruction de la ville au bénéfice de tous ses citoyens.

Beyrouth est habitée depuis toujours par la littérature et la culture. La ville est une ville d’artistes et de créateurs. Six musées ont été touchés, neuf théâtres et cinémas, des dizaines de galeries d’art et bibliothèques – la culture, l’éducation et l’information doivent être au cœur des efforts pour le redressement de la ville. C’est l’âme de Beyrouth qui est en jeu. Sans ses quartiers historiques, sans ses créateurs, Beyrouth ne serait plus Beyrouth. L’Unesco est particulièrement bien placée pour coordonner les efforts internationaux dans ce domaine, et préserver la mémoire de la ville, après des décennies d’expérience dans le soutien aux systèmes éducatifs, la sauvegarde et la promotion du patrimoine culturel, la protection des médias et de la liberté d’expression.

L’Unesco va réhabiliter plus d’une centaine d’écoles et centres de formation, 3 universités, 7 bibliothèques, 2 musées et une centaine de bâtiments à caractère historique. À ce jour, plusieurs chantiers de stabilisation, de reconstruction des charpentes et de sauvetage des matériaux à réutiliser sont avancés. Il reste encore beaucoup à faire, et c’est une course contre la montre dans laquelle nous sommes engagés avec tous nos partenaires.

Le musée Sursock, gravement endommagé par la double explosion du 4 août, bénéficie donc de cette généreuse donation. S’agit-il de la plus grande donation dans le cadre de Li Beirut ?

L’Italie s’est jointe à d’autres États membres de l’Unesco et a répondu positivement à l’appel au soutien de l’initiative Li Beirut. Il faut souligner qu’avec le soutien au musée Sursock, l’Italie a décidé d’investir, au-delà des interventions d’urgence, dans un projet à grande échelle avec une perspective à long terme et avec un fort élément de durabilité pour la récupération du patrimoine culturel et de ses institutions. Cela constitue une valeur ajoutée majeure de ce financement de 1 million d’euros. Je tiens également à souligner qu’il s’agit de la plus grande contribution financière aux activités liées au patrimoine culturel de Li Beirut à ce jour et la plus importante au musée lui-même. Nous sommes profondément reconnaissants à l’Italie de s’être jointe a cette initiative et de la priorité qu’elle accorde au patrimoine culturel. Cela représente la confirmation d’un partenariat durable et solide entre l’Italie et l’Unesco au niveau institutionnel, qui va même au-delà du Liban et de la région arabe, pour la sauvegarde et la promotion de la culture et du patrimoine.

Comment va être allouée cette somme et pour quelles fins ?

Le musée Sursock fait partie des bâtiments et institutions patrimoniales les plus emblématiques de Beyrouth. Le projet vise à réhabiliter le musée et à réparer les dommages causés par l’explosion aux équipements afin que le musée puisse rouvrir le plus rapidement possible. Le projet fournira des conditions adéquates pour préserver le patrimoine et les collections. Il viendra compléter le soutien antérieur reçu par le musée ; il optimisera les ressources et créera des synergies. Sa réhabilitation et sa réouverture au public sont très symboliques pour la récupération et la reconstruction des zones endommagées. C’est plus qu’une réhabilitation d’un bâtiment, nous traitons ici le cœur et l’âme de la ville – nous avons une responsabilité que nous ne pouvons ignorer.

Vous venez d’être nommée au poste de directrice de l’Unesco à Beyrouth. Quelles sont les priorités de votre mission ? Y a t-il des domaines en particulier qui vous intéressent ? Pourquoi ?

J’ai été nommée directrice du Bureau régional de l’Unesco pour l’éducation dans les États arabes et représentante de l’Unesco au Liban et en Syrie depuis moins de deux mois. Ma vision est centrée sur le fait que l’Unesco puisse mieux servir les États membres dans des domaines stratégiques qui sont au cœur des sociétés d’aujourd’hui : l’éducation, la connaissance, la recherche scientifique et l’information. Telles sont les compétences fondamentales nécessaires pour faire face aux incertitudes et aux nouveaux défis. Et c’est précisément ce qu’est l’Unesco, en tant qu’institution spécialisée des Nations unies. Pour le Liban en particulier, l’Unesco augmentera et élargira son engagement dans l’éducation, la culture et le patrimoine et le développement des médias. Nos actions visent non seulement à cibler les besoins immédiats de relèvement et de reconstruction, mais auront également une perspective à plus long terme, conformément aux engagements du cadre de réforme, de relèvement et de reconstruction du Liban.

La culture au Liban est frappée de plein fouet par les multiples crises qui secouent le pays. À part le projet de reconstruction de Li Beirut, pensez-vous établir des projets de soutien aux artistes et aux institutions culturelles pour les aider à survivre ?

Absolument, c’est un aspect fondamental. La culture, ce ne sont pas que les palais et les monuments historiques. Ce sont toutes les institutions, lieux culturels, les artistes et créateurs qui font la renommée de Beyrouth à travers le monde et qui se retrouvent inactifs, fermés à cause de la pandémie ou ravagés par les explosions affectant plus de 80 % de l’infrastructure de la ville. À Beyrouth, l’économie créative comptait 1 250 entreprises créatives offrant des emplois à au moins 5 000 personnes. En 2015, les industries culturelles et créatives ont contribué pour près de 5 % au PIB du Liban et 4,5 % à l’emploi national, avec un taux de croissance annuel moyen de plus de 8 %. Nous devons agir maintenant, pour éviter un exode massif d’artistes et autres effets de gentrification qui changeraient la nature de la ville.

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C’est pourquoi l’Unesco s’engage dans la sauvegarde des tissus du patrimoine urbain et des moyens de subsistance de ses habitants, en soutenant de manière ciblée la vie culturelle, les artistes, les créateurs, les artisans, les producteurs culturels et les prestataires de services, les détenteurs du savoir-faire traditionnel. En retour, cela déclenchera le redémarrage des activités créatives en tant qu’élément essentiel de la guérison communautaire et un sentiment de normalité.

Avec les premiers fonds mobilisés auprès du Fonds d’urgence pour le patrimoine de l’Unesco (HEF), du Koweït et d’Islande, l’Unesco a pu soutenir des artistes et des associations culturelles dans la mise en œuvre d’un programme de formation partagé qui aboutira à un événement culturel public, en ligne et en présentiel, un événement baptisé TERDAD en arabe (« Résonances » en français), prévu pour début juillet 2021. C’est la première fois que des artistes libanais expérimentent la coproduction et offrent une formation. De plus, l’Unesco soutient la réparation et récupération de 17 chefs-d’œuvre d’artistes libanais modernes et contemporains, gravement endommagés par l’explosion. Ce sont les toutes premières étapes, mais, bien sûr, des ressources bien plus importantes sont nécessaires, étant donné les besoins critiques du secteur culturel.

Un message, pour conclure, à la communauté artistique libanaise au Liban et à l’étranger ?

L’Unesco est à vos côtés et s’engage pleinement à soutenir Beyrouth en tant que phare culturel de la Méditerranée – et au-delà. La communauté internationale et les artistes libanais à l’étranger ont un rôle important à jouer dans le renforcement des liens et la rénovation de la vie culturelle au Liban. Des progrès sont réalisés, principalement par les Libanais eux-mêmes, et l’Unesco et ses partenaires sont engagés à soutenir ce mouvement.

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