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Campus - INITIATIVE

Un plan de secours en cas de catastrophe made in ALBA

Des étudiants de l’Institut d’urbanisme de l’Académie libanaise des beaux-arts (ALBA) ont conçu un mécanisme de réactivité dans l’urgence qui permettrait aux habitants de s’organiser face à une catastrophe telle que la double explosion au port de Beyrouth. 

Un plan de secours en cas de catastrophe made in ALBA

Proposer un plan d’action à adopter pendant et après la catastrophe, mais aussi repenser le quartier de façon à répondre aux différents besoins de la population et aux situations d’urgence, voilà les axes sur lesquels les étudiants se sont penchés. Crédit photo Guy Nehmé

Après les explosions du 4 août 2020, le chaos et l’état de panique ont régné dans les zones sinistrées où les habitants se sont retrouvés abandonnés à eux-mêmes, en l’absence de l’application d’un plan national de gestion de catastrophe. Pour les responsables de l’Institut d’urbanisme de l’ALBA (IUA), aucun doute : il fallait organiser un atelier dont le but serait de concevoir un mécanisme légal, urbain, social et paysager dont les habitants seraient les premiers acteurs, une sorte de plan de secours qu’ils devront respecter en cas de catastrophe. À ce moment-là, « les gens sauront à qui s’adresser, comment agir, comment réagir, quels sont leurs rôles respectifs. Au lieu d’hésiter, de paniquer et de prendre des initiatives inadaptées », souligne Paula Mitri Samaha, responsable administrative à l’IUA qui a suivi de près l’atelier.

Intitulé « Une approche participative - Gestion de crise suite à la catastrophe du 4 août », l’atelier s’est penché sur le cas de la rue Pasteur à Gemmayzé, l’un des quartiers les plus durement touchés. Parmi les objectifs affichés, la redynamisation de cette rue qui a subi des dégâts physiques et socio-économiques, la mise en place d’un plan de gestion de crise en cas de catastrophe future ainsi que la mobilisation de la communauté, en assurant un système de gouvernance efficace. « À l’IUA, nous pensons que ce genre d’initiative n’a encore jamais été abordé, et nous espérons que cette étude puisse éveiller nos responsables sur la nécessité de penser aussi, mise à part la reconstruction, à avoir un plan de gestion de catastrophe à l’échelle du pays », explique Paula Mitri Samaha.

L’atelier s’est déroulé au premier semestre, réunissant des étudiants de licence en architecture du paysage ainsi qu’en master de design urbain. « Ayant été affectée par l’explosion du port de Beyrouth, j’ai senti le besoin d’agir pour mon pays », confie Ingrid Assouad. Cette étudiante en 3e année d’architecture du paysage a dit espérer « comprendre un peu mieux ce qui aurait pu être fait pour minimiser au maximum la perte d’êtres chers et les dégâts physiques qu’a subis Beyrouth ». Quant à Carl Tohmé, en 2e année de master en architecture, c’est la frustration qu’il a ressentie après la catastrophe qui l’a incité à s’engager dans l’atelier : « Après avoir vécu la destruction de notre ville et en tant qu’architecte passionné par les problématiques territoriales, je ne pouvais que m’intéresser à trouver des solutions et des interventions réelles à appliquer à notre maille urbaine, à laquelle venaient de s’ajouter de nouvelles traces de sang », explique-t-il.


Les étudiants sont partis à la rencontre des habitants. Crédit photo Ingrid Assouad


Les habitants, acteurs incontournables dans l’approche participative

Proposer un plan d’action à adopter pendant et après la catastrophe, mais aussi repenser le quartier de façon à répondre aux différents besoins de la population et aux situations d’urgence, sont les axes de travail sur lesquels les étudiants ont planché. « En participant à l’atelier, mon objectif premier était d’initier un projet modèle qui serait appliqué par d’autres par effet boule de neige. De plus, ce projet permettrait non seulement de reconstruire la ville de Beyrouth, mais surtout d’encourager ses habitants à être plus organisés à travers des initiatives participatives », relève Michael Samaha, en 3e année en architecture du paysage.

L’une des particularités du projet, c’est justement l’approche participative qui implique en premier lieu les locaux. « C’est une approche qui prend en compte l’opinion des habitants, qui sont des acteurs incontournables de la “ville”. Sans eux, et précisément dans ce cas de figure, les projets risquent d’être abstraits, théoriques, et surtout sans aucune dimension ou portée pratique. Ce qui serait un exercice totalement inutile à garder dans les tiroirs de l’administration », assure Paula Mitri Samaha. Selon Carl Tohmé, ce projet propose « une nouvelle manière de concevoir notre ville. Une approche “bottom-up” (ascendante) qui est nécessaire pour instaurer une nouvelle conception de nos quartiers et pour renforcer la démocratie dans notre ville. La ville appartient au peuple, et on oublie souvent cela dans notre pays », rappelle-t-il.

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Dispensé par des spécialistes locaux et étrangers enseignant des disciplines variées, l’atelier a exploré le cas de la rue Pasteur sous différents angles. « Nous avons eu la chance d’assister à une présentation, en ligne pour la plupart, d’un professionnel qui est en rapport avec notre projet, qu’il soit architecte, urbaniste, sapeur-pompier, avocat ou autre, raconte Ingrid Assouad. Cela nous a permis d’avoir une vision plus générale de la gestion de crise pour pouvoir avancer dans notre projet », estime-t-elle.

« Les étudiants ont donc travaillé sur les multiples couches de la ville », comme le souligne Carl Tohmé. « Une ville ne se limite pas aux bâtiments, elle est aussi constituée d’une économie, d’une société, d’une mémoire, d’un patrimoine, de traumatismes, d’une gouvernance… Et toute intervention en ville devrait prendre en compte ces facteurs-là », insiste-t-il.

Signalétique et code QR indispensables à l’évacuation

Le groupe d’étudiants a d’ailleurs identifié les trois phases qui ont lieu après une crise : durant la phase d’urgence, ce sont les secouristes qui sont les acteurs principaux, collaborant avec des habitants du quartier. Nommée par les étudiants « posturgence », la deuxième phase constitue un moment de soutien et d’accompagnement envers la population. La troisième phase est celle du retour à la normale, s’étalant sur quelques mois ou quelques années. « L’accompagnement de la population affectée est tout le temps de mise pour pouvoir se remettre à reconstruire le quartier. C’est à ce moment-là que les services de l’État et du conseil général apportent leurs aide et solutions afin de pouvoir sortir totalement de cette crise », explique Carl Tohmé.

Le projet préconise en effet la coordination entre les différents acteurs d’un quartier. Les habitants, l’élu (le moukhtar), la municipalité de Beyrouth, les ONG, la Défense civile et la Croix-Rouge seraient ainsi tous impliqués dans la gestion de l’évacuation. Le projet définit aussi des zones de rassemblement loin du danger et accessibles aux secours. Il prévoit également la mise en place d’un centre communautaire géré par une association du quartier que les habitants auraient créée. Ce centre serait responsable des prises de décision et de la diffusion d’informations, d’alertes et d’actions, de même que des sorties d’urgence. Les étudiants ont travaillé également sur les procédés de communication qu’ils ont voulus disponibles dans les lieux publics et les maisons, à l’instar de la signalétique et des codes QR (Quick Response en anglais, réponse rapide, NDLR) qui facilitent le processus d’évacuation. « En utilisant la technologie récente présente dans nos vies, le QR Code, on peut obtenir la carte d’évacuation, les points de rencontre et leur statut, c’est-à-dire s’ils sont en bon état, s’ils acceptent les personnes ou si la limite est atteinte », explique Guy Nehmé, étudiant en 7e année, effectuant un double master en design urbain et en architecture. « Ceci est indispensable pour une meilleure organisation de l’évacuation d’une zone dans n’importe quelle circonstance et n’importe quelle crise », poursuit-il.


Pendant l’atelier, les étudiants ont visité régulièrement la rue Pasteur, effectué des relevés de l’état des bâtiments, opéré une classification des dégâts et un repérage photographique, et interviewé les habitants et les commerçants. Crédit photo Ingrid Assouad


Enquête de terrain entre émotions et pragmatisme

Le projet prévoit, en outre, la gestion paysagère du quartier. « L’architecture du paysage est une discipline peu connue des Libanais et peut-être sous-estimée », affirme Michael Samaha, évoquant la création « d’espaces communautaires qui pourraient être utilisés non seulement en cas de catastrophe, mais aussi dans la vie de tous les jours ». Constituant un lieu public, ces espaces communautaires – dont les espaces verts – accueilleraient un marché pour les agriculteurs ou des événements culturels, alors que, lors des catastrophes, ils se transformeraient en lieux de regroupement des habitants. « Aussi basique que cela puisse paraître, des espaces comme cela, il n’en existe que très peu dans la capitale », déplore cet étudiant en architecture du paysage. Le projet recommande également l’aménagement de pistes cyclables et de trottoirs pour faciliter le déplacement, ainsi que des axes permettant une meilleure circulation des ambulances et camions de pompier en cas d’urgence. « Le but de notre projet est, au final, non seulement de pouvoir guider efficacement les habitants du quartier en temps de crise, mais aussi de pouvoir leur procurer un bénéfice au quotidien grâce à des initiatives et des espaces communautaires », estime Michael Samaha.

Pendant l’atelier, les étudiants ont visité régulièrement la rue Pasteur. L’objectif : effectuer des relevés de l’état des bâtiments ou de potentiels espaces pour un futur projet d’aménagement, opérer également une classification des dégâts, un repérage photographique, ainsi que des entrevues avec les habitants et les commerçants qui ont livré leur témoignage ou répondu au questionnaire préparé pour l’occasion. « La sensation de travailler sur l’un des quartiers les plus proches du site de l’explosion évoque en soi un sentiment de douleur », se souvient Guy Nehmé. Pour son camarade Carl Tohmé, le travail sur le terrain, tout en restant pragmatique, n’était d’ailleurs pas évident : « Il fallait analyser comment les gens ont pu s’échapper ou pas de ce moment apocalyptique. Il fallait analyser “les clusters de morts” (foyers de morts, NDLR) sans laisser nos émotions intervenir. Et cela pour mieux comprendre comment la rue et nos équipements urbains ont interagi avec un moment tellement extrême », indique-t-il. Comme le résume Ingrid Assouad, « le plus grand défi auquel nous avons fait face était d’être le plus objectif et scientifique possible dans notre projet ».

Ce qui a poussé les étudiants à aller de l’avant, c’est la possibilité de pouvoir donner de l’espoir aux habitants de la ville. « Savoir que des solutions sont présentes ne fait que me motiver encore plus à les appliquer. Le chemin est très long, mais il commence par un pas en avant, et je trouve que ce projet en est un », assure Ingrid Assouad. Ce qui a compté aussi pour eux, c’est le désir d’accomplir leur « tâche pour élaborer une stratégie complète, suffisante pour redonner aux habitants de la région la confiance en des jours meilleurs », souligne Guy Nehmé. Pour ces jeunes Libanais, voir leur pays « se dégrader à petit feu sans pouvoir rien y faire » est source de honte et de tristesse, avoue Michael Samaha. Dans ce contexte, cet atelier a constitué un moyen « de montrer que notre génération veut redonner espoir à son pays et à son peuple, et de reconstruire sur de bonnes bases, ce qui nous a été arraché des mains », avance-t-il. Pour lui, il s’agit de contribuer au renouveau du pays, et à la protection des citoyens, des valeurs et du patrimoine. Bref, un projet pour « apprendre de nos erreurs et espérer retrouver un Liban meilleur », conclut-il.

En plus de Michael Samaha, Ingrid Assouad, Guy Nehmé et Carl Tohmé, les étudiants qui ont pris part à ce projet sont Marie-Joe Bassil, Peroulla Chidiac, Paola Faddoul, Sehag Kibinian, Eloy Mansour, Alia Mohsen, Georges Najem et Reine N. Traboulsi.



Après les explosions du 4 août 2020, le chaos et l’état de panique ont régné dans les zones sinistrées où les habitants se sont retrouvés abandonnés à eux-mêmes, en l’absence de l’application d’un plan national de gestion de catastrophe. Pour les responsables de l’Institut d’urbanisme de l’ALBA (IUA), aucun doute : il fallait organiser un atelier dont le but serait...

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