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Nos Lecteurs ont la Parole

Les idiots utiles

Vous souvenez-vous quand depuis Davos il affirmait à la chaîne américaine CNN que nous devrions peut-être apprendre à Washington ou à Londres comment gérer un pays sans budget, ou que l’économie libanaise pouvait fonctionner sans investissements étrangers  ? Eh bien, il a eu raison. Non seulement nous avons appris aux grandes capitales du monde comment gérer un pays sans budget, mais aussi nous leur avons donné une leçon de gestion publique sans institutions, sans économie, sans justice, sans lois, sans frontières, sans président, ni Parlement, ni gouvernement et sans prise de décision. Sauf qu’il ne s’agit plus d’un pays, mais d’un territoire de non-droit situé au bord d’un axe qui s’étend de l’Afghanistan à la Méditerranée, des frontières du fief taliban jusqu’au Liban, dont l’épicentre est Téhéran. L’économie, elle, n’aura pas besoin d’investissement étranger, l’argent des oligarques libanais qui a fait un aller simple vers les banques suisses avant et après le déclenchement de la crise fera son retour au pays et achètera tout, les biens et les êtres. Et ce ne sont pas les sanctions américaines ou européennes qui vont nous amener à rallier l’axe de la résistance, mais c’est notre ralliement à l’axe de la résistance qui a amené les sanctions. En tout cas le résultat est le même : la marginalisation internationale après l’appauvrissement national. Dans ce contexte-là, la main-d’œuvre saoudienne qui a émigré au Liban pour soutenir sa famille restée au pays devrait bien se tenir...

Parlant de main-d’œuvre, vous souvenez-vous quand l’autre a annoncé dans son dernier discours de Premier ministre la création de 900 000 emplois pour les Libanais  ? Eh bien, il a eu raison sauf qu’il a inversé le sens des mots, il s’agissait plutôt de destruction de 900 000 emplois. Destruction créatrice : destruction au Liban et création ailleurs. Probablement du côté de l’Arabie avec les projets de construction en cours dont la mégalopole futuriste Neom en est le fleuron. Les jeunes Libanais «  politiquement corrects  » se verront sûrement offrir des opportunités de travail. Les autres auront toujours l’opportunité de célébrer leur victoire divine contre leur propre pays, leur propre peuple et contre eux-mêmes et écouter les discours du guide suprême de la révolution, qui en bon représentant de Dieu, connaît tout sur n’importe quoi, avec, au bout du compte, le remplacement de la population.

Vous souvenez-vous quand les banquiers chantaient en chœur (car les banquiers chantent toujours en chœur) qu’il n’y a rien à craindre pour le système bancaire alors qu’ils étaient en train de siphonner le dollar frais de leurs propres banques  ? Eh bien, les banquiers ont eu aussi raison. Le système bancaire n’a rien à craindre, ce sont les déposants qui vont tout perdre à sa place. Les banquiers, en bons pères de famille, ont simplement financé un État corrompu jusqu’à la moelle avec l’argent des autres et si cet État irréformable ne s’est pas autoréformé, ce n’est pas leur problème, mais bien celui du peuple qui est allé jusqu’à monnayer son droit de vote. Les banquiers, eux, en bons gestionnaires de fortune, ont bien diversifié leur risque de portefeuille : une portion investie dans l’État, une autre portion investie dans l’État à travers la BDL, et ce qui reste investi dans les banquiers eux-mêmes. Bien évidemment, ce qui est resté, c’est la part des banquiers, mais elle n’est pas restée trop longtemps dans le pays.

Le dernier c’est «  la classe mondiale… Peut-être même le champion du monde ! » Tous les prix qui lui ont été attribués durant des années comme meilleur gouverneur sont incapables de récompenser son incroyable talent : faire croire à tout le monde qu’il gagnait de l’argent pendant 30 ans alors qu’il ne faisait que cacher des pertes, c’est vraiment extraordinaire. Mais ce n’est pas tout. Maintenir la parité de la livre libanaise fixe à un taux surévalué par rapport au dollar pendant des dizaines d’années pour reconnaître un jour, sereinement, mine de rien, que le dollar bancaire est en réalité de la fausse monnaie qu’il a lui-même imprimée pour permettre au peuple de vivre une vie de rentier bien au-dessus de ses moyens, cela relève du prodige. Ce génie de la finance n’a pas besoin de distinguer entre l’actif d’un bilan et son passif. Tout pour lui est sujet à ingénierie. Sa véritable prouesse est d’avoir fait croire à tout le monde qu’il est un gouverneur d’une banque centrale alors qu’il n’est resté qu’un courtier qui n’hésite pas à prendre des commissions sur le placement d’obligations qu’il place lui-même au nom de la banque centrale. Il n’a fait qu’une seule erreur de parcours pendant sa carrière, celle d’être resté gouverneur en 2017 alors qu’il pouvait partir et revenir aujourd’hui en tant que « l’homme providentiel ».

Khomeyni, lui, a su quand revenir et rafler toute la mise de la révolution. Au début des années 1980, quand il déclarait vouloir exporter la révolution iranienne islamique chiite en Orient, on se moquait de lui. Aujourd’hui, on ne se moque plus. La colonisation mentale, religieuse, armée chiite gagne le pays du Cèdre et prépare un bel Iran multiconfessionnel au bord de la Méditerranée. Les idiots utiles sont ceux qui, par ambition personnelle, aveuglement, cupidité ou par complaisance, refusent toujours de regarder en face cette réalité, et de la combattre. Ils forment un seul bloc qui a achevé la liquidation du pays, l’a fait basculer dans la misère, l’a marginalisé sur le plan international, pour ne lui laisser que l’extension iranienne (ou turque au nord) comme seule issue de survie.

Mais ces idiots utiles ne sont pas pour autant idiots. Ils sont au contraire intelligents, trop intelligents même. Les idiots utiles sont les idiots de ces idiots utiles qui, fidèles à eux-mêmes, continuent de baigner dans le déni. Le véritable idiot est l’auteur de ces lignes qui continue à croire que la mort du Liban n’est pas une fatalité et que tout peut être encore sauvé.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Vous souvenez-vous quand depuis Davos il affirmait à la chaîne américaine CNN que nous devrions peut-être apprendre à Washington ou à Londres comment gérer un pays sans budget, ou que l’économie libanaise pouvait fonctionner sans investissements étrangers  ? Eh bien, il a eu raison. Non seulement nous avons appris aux grandes capitales du monde comment gérer un pays sans budget,...

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