En matière de sanctions contre ceux qui entravent la formation du gouvernement, les Européens semblent très sérieux. Impatients de voir le Liban se doter d’une équipe ministérielle, ils accordent leurs violons avant de traduire en actes les derniers propos du chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, devant l’Assemblée nationale, dans lesquels il avait laissé entendre que des mesures seront prises à l’encontre de ceux qui « ont abandonné l’intérêt général au profit de leurs intérêts personnels ». Les sanctions que l’Union européenne entendrait donc infliger à ceux qui, selon elle, bloquent la formation du gouvernement seraient parmi les sujets que M. Le Drian et ses homologues européens devraient discuter lors de leur prochaine réunion prévue le 19 avril à Bruxelles. Une source diplomatique européenne explique toutefois à L’Orient-Le Jour que le fait d’examiner le dossier – que Jean-Yves Le Drian pourrait soulever en dehors de l’ordre du jour de la réunion – ne signifie pas que les mesures en question entreront incessamment en vigueur. Cela requiert du temps, précise la source, qui croit savoir que la réunion du 19 avril devrait être une occasion pour les participants de plancher sur un texte de loi qui régirait les décisions de sanctionner les politiciens libanais. Toujours selon la même source, le texte de loi en question devrait faire l’unanimité des 27 pays membres de l’UE, et pourrait bien stipuler que des mesures telles que l’interdiction de voyage ou le gel des avoirs soient prises à l’encontre des personnalités concernées. Refusant naturellement de divulguer des noms de certaines personnalités actuellement dans le viseur de l’Europe, la source précise que le fait de bloquer sciemment le processus gouvernemental ne suffit pas à lui seul pour sanctionner une partie quelconque. Les accusations de corruption pourraient donc constituer un paravent pour expliquer le possible recours aux sanctions à l’encontre de ceux qui ont fait du mal à leurs peuples, croit-elle savoir. Pour sanctionner quelqu’un, l’UE a besoin de solides preuves, explique-t-elle. Il s’agirait d’une rare décision pour l’Europe, et contrairement à Washington, d’opter pour un système de sanctions contre des personnalités politiques libanaises. « Nous avons besoin de voir un changement du comportement (politique) », commente un diplomate européen qui a requis l’anonymat.
De son côté, la France, dont le président Emmanuel Macron fait du dossier libanais un de ses chevaux de bataille depuis le cataclysme du 4 août 2020, n’attendra pas le 19 avril pour tancer les personnalités qu’elle juge responsables de l’impasse. Une source politique française confie à L’OLJ qu’un communiqué français qui devrait être rendu public lundi est actuellement en cours de préparation. On s’attend à ce que ce texte mette les points sur les i en nommant ceux vers lesquels Paris pointe un doigt accusateur. Une façon pour la France de prouver que les propos tenus par Jean-Yves Le Drian mercredi dernier ont réellement introduit une nouvelle approche française du dossier libanais, qui est désormais entre les mains du chef du Quai d’Orsay.
Samy Gemayel : « Ils sont conscients de la stérilité de la classe politique »
Cette nouvelle vision française prévoit aussi que Paris ouvre des canaux avec « ceux qui portent l’espoir et l’avenir de ce pays (le Liban) », pour reprendre les termes du chef de la diplomatie française. Des propos qui peuvent être interprétés comme un clin d’œil aux parties hostiles au pouvoir en place. C’est dans ce cadre que s’inscrit une réunion tenue mercredi entre les Kataëb, qui se veulent le fer de lance de l’opposition, et près d’une trentaine de députés européens, regroupés sous le label du Parti populaire européen (droite modérée), avec qui la formation chrétienne est liée par un partenariat depuis novembre 2016. Contacté par L’OLJ, le leader des Kataëb, Samy Gemayel, se félicite du bilan de la réunion tenue en visioconférence. « Des représentants de tous les partis européens ont pris part à la rencontre, qui fera l’objet d’un suivi dans la prochaine phase, dans la mesure où les Européens sont intéressés par les développements politiques au Liban », souligne le député démissionnaire du Metn, sans s’attarder sur les modalités de ce suivi, toujours entourées de flou. Pour M. Gemayel, la réunion reflète surtout un intérêt international de plus en plus croissant pour les protagonistes hostiles à la classe dirigeante. « Je crois qu’ils (les pays concernés par le dossier libanais) ont perdu tout espoir en la classe politique actuelle. Ils sont même conscients de sa stérilité, et de la nécessité de soutenir ceux qui luttent pour présenter aux Libanais une alternative politique sérieuse et viable », estime-t-il, rappelant que les diplomates qui se sont rendus à Beyrouth récemment ont tenu à se faire une idée de la position de l’opposition.
Mais M. Gemayel paraît conscient que tout appui à l’opposition ne pourrait donner de résultat concret si ses composantes ne parviennent pas à s’unir. Il se dit donc favorable à la formation d’un front d’opposition unifié qui regrouperait tous ceux qui veulent « présenter un autre choix aux Libanais », selon les termes du chef des Kataëb, qui fait savoir que des contacts sont actuellement en cours entre sa formation et plusieurs groupements et factions ne faisant pas partie de la classe dirigeante.
« L’obstruction délibérée par les forces politiques doit cesser », affirme Paris
Paris a une nouvelle fois dénoncé hier « l’obstruction délibérée de la part des forces politiques » du pays, les appelant à mettre un terme à un tel comportement. Le Quai d’Orsay a également estimé que l’audit de la Banque du Liban devait être mené, cette réforme étant l’une des conditions de la communauté internationale pour débloquer des aides financières au Liban en crise. « Le ministère libanais des Finances et la Banque centrale obstruent délibérément le processus d’audit bancaire afin de laisser impunis les responsables du retrait illégal de fonds de comptes bancaires à l’extérieur du pays, avait déclaré mercredi soir le président libanais Michel Aoun. Il avait souligné que l’échec de l’audit de la Banque centrale serait “un coup dur pour l’initiative française” de résolution de la crise au Liban. Comment réagissez-vous à cette situation ? » a-t-on demandé à la porte-parole du Quai d’Orsay, Agnès von der Mühll, lors d’un point de presse jeudi soir. « Comme le ministre (français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, NDLR) l’a rappelé au Sénat hier, la prolongation de la crise que traverse le Liban est le résultat de l’obstruction délibérée de la part des forces politiques libanaises qui refusent de s’entendre sur la composition d’un gouvernement. Cette obstruction doit cesser. Il est attendu de tous les acteurs politiques libanais sans exception qu’ils permettent au Liban de sortir de la crise », a fait savoir la porte-parole de la diplomatie française. « L’audit de la Banque du Liban doit être mené à son terme de manière effective, de même que l’ensemble des réformes auxquelles aspire le peuple libanais », a-t-elle ajouté. « Face à cette situation, le président de la République et le ministre ont indiqué aux principaux responsables libanais que la France n’hésiterait pas à agir à l’encontre de ceux qui ont abandonné l’intérêt général au profit de leurs intérêts personnels. Nous continuons de nous tenir aux côtés du peuple libanais et de travailler avec ceux qui portent l’espoir et l’avenir de ce pays », a conclu Mme von der Mühll.
"De son côté, la France, dont le président Emmanuel Macron fait du dossier libanais un de ses chevaux de bataille depuis le cataclysme du 4 août 2020, n’attendra pas le 19 avril pour tancer les personnalités qu’elle juge responsables de l’impasse. Une source politique française confie à L’OLJ qu’un communiqué français qui devrait être rendu public lundi est actuellement en cours de préparation." On est mardi et toujours rien. Mr Macron, un petit faible pour la croissanterie chiite sortie de l'accord viennois ?
08 h 15, le 13 avril 2021