Parce que le voile tarde à se lever sur les auteurs et les circonstances de l’assassinat, le 4 février dernier, de l’intellectuel et activiste Lokman Slim, farouche opposant au Hezbollah, trois rapporteurs spéciaux nommés par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, se sont donné pour mission, il y a quelques jours, « de faire pression sur les enquêteurs locaux pour qu’ils arrêtent les assassins et leurs commanditaires (…) et de rassembler des informations et des preuves » pour établir un dossier qui sera soumis au secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres.
Dans une volonté de promouvoir la reddition des comptes, Irène Khan, rapporteuse spéciale sur la liberté d’opinion et d’expression, Diego Garcia-Sayan, rapporteur spécial sur l’indépendance des juges et des avocats, et Morris Tindball-Binz, rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, comptent ainsi faire la lumière sur ce crime qui a muselé une voix libre.
Le Conseil des droits de l’homme est un organe intergouvernemental du système des Nations unies, composé de 47 États qui ont la responsabilité de renforcer la promotion et la protection des droits de l’homme autour du globe.
Rapporteurs de conscience
Le bureau de presse des trois rapporteurs n’était pas joignable pour préciser les moyens dont ils disposent pour mener les investigations et indiquer la nature de leur interaction avec la justice libanaise pour tenter d’identifier rapidement les tueurs de Slim et leurs instigateurs.
De source informée, on apprend cependant que, à l’instar de tous les rapporteurs spéciaux, Mme Khan et MM. Garcia-Sayan et Tindball-Binz sont mandatés par le Conseil des droits de l’homme, mais restent indépendants de l’ONU. Le rapport qu’ils établiront aura donc pour auteurs les rapporteurs eux-mêmes et non pas l’ONU en tant que telle. « Ce sont des experts qui ne font pas partie du personnel des Nations unies et ne perçoivent pas de salaire », confirme à L’Orient-Le Jour la sœur du chercheur assassiné, Rasha el-Ameer, elle-même éditrice et activiste. « Les rapporteurs spéciaux ne dépendent pas des gouvernements. Ils sont objectifs et se distinguent par leur impartialité, ce sont des rapporteurs de conscience, qui s’impliquent dans les causes exaltantes », poursuit-elle en évoquant leur haute moralité.
Selon Mme el-Ameer, les trois experts ont été naturellement intéressés par l’affaire de l’assassinat de son frère, qui était lui-même « un grand défenseur des droits de l’homme, mort pour sa cause ». Elle rappelle, à cet égard, que l’ONG Umam, fondée en 2004 par Lokman Slim et son épouse, la cinéaste Monika Borgmann, se consacre essentiellement aux droits de l’homme et aux problématiques de la mémoire.
Interrogée sur l’origine de la démarche des rapporteurs, l’activiste indique que « des amis et des ONG qui luttent partout dans le monde pour la liberté d’expression et les droits de l’homme ont, dès le départ, exprimé à l’ONU leur volonté de connaître la vérité sur le meurtre de Lokman ». L’adjointe du coordinateur spécial des Nations unies pour le Liban, Najat Rushdi, avait d’ailleurs elle-même appelé à des poursuites judiciaires « complètes, rapides et transparentes », et des voix de la société civile avaient réclamé une enquête internationale.
Dans cet ordre d’idées, un collectif composé notamment de Pyramid, Ana Khatt Ahmar, Thawra Ounsa, Journalistes contre la violence et Blouses blanches avait immédiatement appelé les organisations internationales concernées par les droits de l’homme, comme les Nations unies, à prendre « les mesures nécessaires » pour protéger les personnes qui expriment librement leur opinion au Liban. Les groupes d’activistes avaient ainsi déploré « l’impunité des attentats », accusant l’État d’être inactif en matière de protection des libertés.
Parvenir à la vérité
Entre autres facteurs qui ont pu inciter les rapporteurs spéciaux à donner suite aux diverses exhortations, Rasha el-Ameer mentionne le fait que Lokman Slim avait travaillé avec « peu d’argent et beaucoup de conscience », tout comme les rapporteurs. Qu’attend-elle du rapport qu’ils soumettront aux responsables de l’ONU ? « Il aura le mérite d’appeler les choses par leurs noms », souligne-t-elle, en référence à l’identité des meurtriers et aux circonstances du crime. Quant à la date de la publication du document, elle ne devrait pas être si lointaine : « Au plus tard 18 mois, selon le niveau de collaboration de la justice » locale, estime-t-elle.
« Pour parvenir à la vérité, la justice est disposée à coopérer avec quiconque (…) mais le sujet est compliqué quoique certaines données soient disponibles », indique, pour sa part, un proche du parquet d’appel du Liban-Sud qui, avec les services de renseignements des FSI, est en charge de l’enquête sous la houlette du parquet de cassation.
« Je voudrais tant avoir confiance dans notre justice, mais j’ai des réserves », rétorque Mme el-Ameer, avant d’ajouter : « Je souhaite tellement que cette justice me surprenne et me dévoile l’identité des assassins (…) Dans un pays normal, lorsqu’il s’agit d’un meurtre d’une telle importance, les meurtriers sont arrêtés en 24 heures. » L’activiste affirme compter davantage sur les rapporteurs spéciaux parce qu’ils « travaillent dans la lumière ».
Porté disparu plusieurs heures après avoir quitté le domicile d’un ami dans le village de Niha, Lokman Slim avait été retrouvé le corps criblé de balles, le 4 février dernier, dans la région d’al-Adoussiyé au Liban-Sud. Il avait reçu des menaces à plusieurs reprises, notamment sur des affiches collées aux murs extérieurs de sa maison dans la banlieue sud de Beyrouth. « Je fais assumer aux forces du fait accompli, représentées par Hassan Nasrallah et Nabih Berry, l’entière responsabilité de ce qui pourrait m’arriver et je me place, ainsi que ma famille et ma maison, sous la protection de l’armée libanaise », avait-il déclaré en décembre 2019.
Plus de deux mois après le drame, l’opinion publique n’est toujours pas tenue au courant des investigations. À l’annonce de la mort de Lokman Slim, les hauts responsables du pays, notamment le chef de l’État Michel Aoun, le chef du gouvernement sortant Hassane Diab et le ministre de l’Intérieur Mohammad Fahmi, avaient pourtant souligné la nécessité d’une enquête rapide.
Nous avons affaire à des assassins en série et,leurs méthodes sont toujours les mêmes donc facilement repérables alors qu’on ne vient pas nous raconter des salades puisque les renseignements de ce pays, les FSI et l’armée connaissent très bien les auteurs et font semblant de chercher les assassins. Des crimes continuent à avoir lieu tous les jours sur notre sol, des intimidations suivies d’arrestations et des accusations farfelues montées de toutes pièces que la justice et le tribunal militaire agrémentent de convocations pour dissuader en répondant aux demandes des vendus. Ils se paient tous nos têtes et si un organisme de cette chaîne refuse d’exécuter les ordres il sauvera le pays et ses citoyens. Mais c’est là où réside le mystère. Pourquoi cette obéissance aveugle pour anéantir le pays est toujours en marche malgré les discours qui contredisent leurs actions sur le terrain?
12 h 53, le 09 avril 2021