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Nos Lecteurs ont la Parole

Mes yeux sur Beyrouth

Avant, j’avais les boyaux qui se tordaient et le cœur qui se serrait, rien qu’à penser à tout ce temps loin de toi. Toutes ces années occupées par autre chose, par la vie, ses aléas, ce long chemin, jonché d’épines, d’épreuves et de joies aussi. Des années perdues, pour moi, sans toi. Sans te voir au soleil couchant, sans entendre les mélodies de tes rues, sans sentir tes odeurs délicieuses, sans te goûter, sans toucher ton sable, ton sol, tes murs, ton eau.

Maintenant, j’ai les boyaux qui se tordent et le cœur qui se serre quand je pense que je pourrais venir jusqu’à toi, mais que je ne sais pas ce que je reconnaîtrais de toi.

Pourquoi faut-il que ce mot prenne tant de place dans ma vie ? Pourquoi faut-il que je le connaisse si bien et qu’il continue de me tourmenter parfois ? À tel point qu’il est devenu un traumatisme latent, une bombe à retardement, justement.

« Explosion. »

Celle des bombes, celle de notre maison, celle de ton port, celle de mon cœur. Celle qui détruit tout, qui engloutit et ne laisse que des miettes. Celle qui terrifie, celle qui ne cicatrise jamais.

Tu te nommes Beyrouth et depuis le 4 août tu n’es plus qu’un souvenir… un souvenir que je ne reverrais sans doute jamais, que je ne pourrais ni actualiser ni me rappeler sans amertume, sans boule au ventre, sans lame dans le cœur.

Le 4 août 2020, à 18h07, le port de Beyrouth a explosé.

Rien ne sera plus jamais pareil.

Tout est différent et, pourtant, on dirait que rien ne va changer.

Sauf si…

Sauf si demain, nous posons sur toi un nouveau regard…

Puisque tu es si souvent détruite, et autant de fois reconstruite, pourquoi ne pas t’imaginer, de sorte que tu vives à tout jamais ?

Tu as une histoire passée envahissante, qui t’a menée à un présent insoutenable, mais, Beyrouth, peux-tu avoir un avenir qui ne soit pas éphémère ?

Peux-tu réellement renaître pour ne plus jamais mourir sous nos yeux ?

Alors, je me prête à l’imaginer et je glisse un instant vers le rêve.

Si tu étais la ville de demain, tu serais…

Tu serais des centaines de bras puissants, dressés vers le ciel. Des gratte-ciel miroitants, des monstres de ferraille capables de protéger des balles, des vents, des flammes. Tes vitres blindées offriraient des pertes de vue. Tes murs protecteurs seraient d’impressionnants gardes du corps et en eux chacun trouverait la chaleur d’un foyer, pour que plus personne ne soit jamais vulnérable dehors.

Tu serais des jambes fermes et fuselées, des jambes en béton, tes routes lisses et sûres. Celles qui traverseraient tes quartiers cosmopolites, courant de l’un à l’autre pour les entremêler, les rassembler, mais sans brusquer leur intimité.

Ton port serait ton buste majestueux, fier et droit. Un buste attirant et que l’on aurait plaisir à admirer, comme celui des athlètes aux muscles dessinés, qui se pavanent sur ta corniche. Un buste en pleine santé et toujours en activité.

Et tu serais un ventre aussi, la Méditerranée, essentielle avec son eau translucide, scintillante, ourlée de vagues qui nous berceraient.

Ton dos serait musclé, un appui fidèle et solide, tes montagnes.

Et puis, si tu étais Beyrouth du futur, alors tu serais une tête pensante et importante. Tu serais estimée par les autres capitales, envieuses de ta résilience, cette fameuse force, car tu ne souffres pas de maux climatiques, pourtant tu essuies des cataclysmes terrifiants.

Tu serais des milliers de visages et de sourires. Des mines harmonieuses et accordées, car dans un corps sain se trouve un esprit sain.

Ta tête, Beyrouth, serait une démocratie. J’ai donc peine à la décrire, même si je la visualise parfaitement.

Et si ta tête est dans les nuages, c’est parce qu’elle se nourrit de ses rêves… Alors c’est ta voix que tu dois faire entendre ! Celle de ton icône qui te chante, traversant le temps, qui nous arrache des larmes et nous gonfle d’espoirs. Et ta voix propre aussi, celle de ton peuple. Un mot singulier, derrière lequel se cachent beaucoup de femmes et d’hommes qui croient en toi.

Tu te nommes Beyrouth et on te surnomme la ville qui refuse de disparaître, parce que tu auras toujours un lendemain.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Avant, j’avais les boyaux qui se tordaient et le cœur qui se serrait, rien qu’à penser à tout ce temps loin de toi. Toutes ces années occupées par autre chose, par la vie, ses aléas, ce long chemin, jonché d’épines, d’épreuves et de joies aussi. Des années perdues, pour moi, sans toi. Sans te voir au soleil couchant, sans entendre les mélodies de tes rues, sans sentir tes...

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