Le tassement des cours internationaux a donné un répit aux consommateurs libanais, qui n’ont vu les prix à la pompe augmenter «que» de 400 livres cette semaine. Mais leur facture d’essence est en hausse de près de 49% depuis le début de l’année, et la tendance ne risque pas de s’inverser.

La portion non subventionnée du coût de l'essence pèse de plus en plus sur la prix à la pompe. AFP/Joseph Eid
La portion non subventionnée du coût de l'essence pèse de plus en plus sur la prix à la pompe. AFP/Joseph Eid

On pensait le prix des carburants à l’abri de l’inflation ambiante, protégé par les subventions à 90% de la Banque du Liban (BDL). Il n’en est rien, chaque semaine portant avec elle une nouvelle envolée du prix à la pompe. Ce dernier a atteint mercredi 39.300 livres libanaises (LL) pour les 20 litres d’essence 95 octanes, un chiffre en hausse de 48,86% par rapport au 5 janvier. La tendance s’explique en partie par le regain des cours du brut qui se négocie désormais autour de 61 dollars le baril, contre 27 dollars il y a un an, affichant une hausse de 121% en glissement annuel. Les prix internationaux de l’essence ont «connu une augmentation importante depuis le début de l’année», rappelle le président du syndicat des distributeurs d’essence, Fadi Abou Chakra.

Le «coût de la marchandise» qui entre dans le calcul du prix à la pompe, fixé chaque semaine par le ministère de l’Énergie et de l’Eau, est en effet «basé sur l’indice "Platts Unloaded Gasoline 10 ppm" développé par le cabinet de conseil S&P, qui donne la moyenne du cours sur les quatre dernières semaines», souligne Georges Fayyad, président de l’APIC, l’organisation qui représente les importateurs d’hydrocarbures au Liban. D’où le répit relatif observé cette semaine, avec une hausse de «seulement» 400 livres à la pompe. Les prix du pétrole se sont en effet repliés cette semaine après avoir atteint un pic à 70 dollars le baril il y a 10 jours.

48.86%
C'est l'augmentation du prix à la pompe depuis le début de l'année
 

Mais les cours de l’or noir ne se préparent pas pour autant à revenir au plus bas. Le Fonds monétaire international prévoit en effet une hausse de la demande mondiale dopée par la reprise économique dans certains pays où les campagnes de vaccination contre le Covid-19 vont bon train, mais aussi par la hausse des dépenses agrégées grâce aux plans de relance économique.

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Par conséquent, le prix CIF, incluant les coûts de transport et d’assurance, qui sert de point de départ au calcul du tarif au Liban, ne devrait pas baisser à terme, même si 90% du montant est subventionné par la BDL et donc payé par le consommateur au taux «officiel», tout comme la marge de 5% encaissée par les importateurs. «Notre commission n’a pas changé, et elle est plafonnée à 40 dollars la tonne, au taux de 1 507,5 livres pour le dollar», assure le président de l’APIC. La marge de profit des distributeurs (15.000 LL pour le kilolitre), le coût de transport (estimé 27.000 LL par kilolitre) et les droits d’accises imposés par l’État (253.000 par kilolitre) n’ont pas non plus été revus à la hausse. Seule la part des stations-services a été renégociée en février, passant de 96.000 à 150.000 LL.

Le coût de la dévaluation

Reste les 10% payés par les importateurs en dollars frais, qui varient selon le taux du marché noir et qui se répercutent, eux, sur le consommateur. La livre ayant perdu environ 35% de sa valeur depuis le début de l’année, le coût lié au différentiel de taux de change ne cesse de s’alourdir. Son montant est ainsi passé de 230.000 LL par kilolitre le 5 janvier, soit 17,1% de la facture payée par les clients, à 535.000 LL ce mercredi, représentant désormais 27,2% du prix affiché. «Le taux de change est le principal responsable de la flambée des prix de l’essence», affirme ainsi Fadi Abou Chakra.

Et avec la baisse annoncée des subventions, la facture devrait encore grimper. Le ministre sortant des Finances, Ghazi Wazni, a en effet déclaré il y a quelques jours au site d’information Bloomberg que le gouvernement envisageait de baisser la part du montant fourni aux importateurs, à travers la circulaires 530 de la BDL, de 90 à 85%.

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Une décision qui aurait un impact conséquent, à en croire Georges Brax, du syndicat des propriétaires de stations-service. «Selon nos simulations, si la part des subventions est réduite à 85%, les 20 litres d’essence 95 octanes passeraient à environ 45.000 livres. Ces estimations sont très conservatrices puisque nous avons considéré que le taux de change du marché parallèle serait de 12.000 LL pour un dollar. Or, la levée des subventions augmenterait la demande de billets verts sur le marché noir, ce qui affaiblira encore plus la livre face au dollar», craint-il. Et si les subventions étaient totalement levées ? «Le taux du dollar face à la livre monterait en flèche, jusqu’à au moins 20.000 LL, poussant le prix à la pompe des 20 litres de 95 octanes à 236.300 LL», prévoit Georges Brax.

 
«Selon nos simulations, si la part des subventions est réduite à 85%, les 20 litres d’essence 95 octanes passeraient à environ 45.000 livres»
 
GEorges brax
membre du syndicat des propriétaires de stations-service
 

Sans compter la marge des pompistes qui serait sans doute négociée aussi à la hausse. «Le coût d’entretien de nos équipements se fait en dollars et non pas en livres. Plus la livre perd de sa valeur, plus notre marge de profit s’effondre», dit-il.

Un tel scénario se traduirait à l’échelle nationale par une hausse du coût des transports et se répercuterait sur les prix à la consommation. «Étant donné que l’essence joue un rôle crucial dans la production de la quasi-intégralité des biens et des services, les coûts vont augmenter, et avec eux le taux d’inflation», craint Fadi Abou Chakra. «Il faut impérativement qu’un gouvernement capable de sortir le Liban de la crise soit formé et que ce gouvernement réforme entièrement le secteur des transports pour le rendre plus efficace», conclut-il.