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Société - Réfugiés syriens au Liban

« Ils m’ont frappé en me disant que j’étais un terroriste »

Amnesty International publie aujourd’hui un rapport sur la détention arbitraire et la torture infligées par les forces de sécurité libanaises à des dizaines de réfugiés syriens accusés de terrorisme.

« Ils m’ont frappé en me disant que j’étais un terroriste »

Des réfugiés syriens emportent les biens qui leur restent après l’incendie du camp de Minieh, dans le nord du Liban, le 27 décembre 2020. Ibrahim Chalhoub/AFP

Ils sont aujourd’hui âgés de 21 à 55 ans mais certains d’entre eux n’avaient que 15 ou encore 16 ans lorsqu’ils ont été arrêtés. Dans leur grande majorité, ils sont issus de la ville syrienne de Qousseir, à environ 8 km au nord de la frontière septentrionale du Liban, et de Homs et sa banlieue. Tous font partie des 1,5 million de réfugiés syriens arrivés au Liban depuis le déclenchement de la guerre dans leur pays, en 2011. Ce mardi, Amnesty International publie un rapport, auquel L’Orient-Le Jour a pu avoir accès, sur le sort de 24 réfugiés syriens accusés de terrorisme, actuellement ou anciennement détenus dans les geôles libanaises. L’ONG révèle que ces derniers ont « subi des détentions arbitraires, des actes de torture aux mains des forces de sécurité libanaises ainsi que des procès inéquitables ». Selon les investigations conduites par Amnesty International entre juin 2020 et février 2021, les motifs réels de ces arrestations auraient été dissimulés sous couvert de terrorisme. « Les réfugiés ont été accusés de crimes liés au terrorisme en raison de la confusion entre affiliation politique et/ou religieuse et terrorisme ou parce qu’ils vivaient dans des zones proches de batailles impliquant des groupes considérés comme des groupes terroristes », explique l’organisation.

Selon les entretiens réalisés par Amnesty auprès des détenus, la plupart des accusations « remontent aux événements de 2014 lorsque l’armée libanaise et le Hezbollah (...) ont lancé deux opérations militaires dans la ville frontalière de Ersal ». En juillet 2012, des groupes armés syriens opposés au gouvernement de Bachar el-Assad prennent le contrôle de la ville de Qousseir, située dans la province de Homs. La ville constitue une zone stratégique, reliant la capitale syrienne au littoral, dont dépendent plusieurs routes d’approvisionnement en armes pour l’armée régulière comme pour les rebelles. Près d’un an plus tard, l’armée syrienne, appuyée par les combattants du Hezbollah, parvient à reprendre la ville.

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Des milliers de Syriens affluent alors vers la localité sunnite de Ersal, dans le nord du Liban. À l’été 2014, des combattants syriens de groupes islamistes lancent des attaques contre les forces de sécurité libanaises et le parti de Dieu à Ersal et prennent brièvement le contrôle de la ville. Plusieurs soldats et policiers libanais sont tués et 36 autres sont pris en otages. En représailles, l’armée syrienne et le Hezbollah lancent deux opérations militaires contre le front al-Nosra – ex branche d’el-Qaëda en Syrie – et l’État islamique (EI), ayant traversé la frontière, leur permettant de chasser le gros des jihadistes de la ville et des régions avoisinantes. Alors que les autorités libanaises estiment que la région pourrait encore abriter des terroristes, l’armée y effectue depuis 2014 « des raids réguliers sur les installations informelles des réfugiés syriens », observe Amnesty. « Les responsables de sécurité libanais ont assimilé toute opposition au gouvernement (syrien) à du terrorisme et ont supposé que les Syriens vivant dans le nord du Liban sont hautement susceptibles d’avoir été impliqués dans la bataille de Ersal », poursuit l’ONG.

« Dès que je suis entré, j’ai compris que j’allais en enfer »

Plusieurs détenus interrogés par Amnesty International semblent le confirmer. « Mon interrogateur m’a dit : “Je sais que tu as participé à la bataille d’Ersal. Nous avons des informations selon lesquelles tu étais infirmier.” J’ai répondu que j’avais suivi une formation mais que je n’étais pas un infirmier certifié. Il a répondu : “Tu as aidé des gens pendant la bataille d’Ersal.” J’ai dit que c’était mon devoir médical et que j’avais uniquement aidé les personnes qui en avaient besoin », confie Bassam, 28 ans. Accusé lui aussi de terrorisme, Hassan, âgé de 16 ans au moment de son arrestation, a initialement été arrêté pour un tout autre motif. Des officiers des renseignements militaires l’ont amené au bureau général des services de sécurité de Beyrouth pour possession de drogue, alors même que le jeune homme suit un traitement spécial pour l’épilepsie. Une information qu’Amnesty a pu confirmer en consultant l’avis de son médecin. Le jeune homme se souvient du jour de son interrogatoire : « Dès que je suis entré, j’ai compris que j’allais en enfer. Tout ce dont je me souviens, c’est qu’ils ont commencé à me frapper. » Hassan apprend alors qu’il est détenu pour terrorisme. « Je me souviens que le premier coup que j’ai reçu était au ventre. Ils m’ont frappé en me disant que j’étais un terroriste et que je devais mourir », poursuit-il.

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Tout comme lui, Karim, ancien journaliste en Syrie, a été torturé pour son appartenance supposée au Front al-Nosra. « Ils m’ont demandé si j’étais avec ou contre Bachar el-Assad. J’ai dit que j’étais contre lui. Ils m’ont battu plus fort. » « Le jour suivant, ils m’ont demandé : “De quoi est-ce que tu manques ? Pourquoi es-tu contre le gouvernement de Bachar el-Assad ?” », poursuit Karim. Il se voit transféré au ministère de la Défense où un agent des renseignements militaires le torture en lui demandant ce qu’il a fait en Syrie. « J’ai répondu avoir documenté les crimes du régime Assad. À chaque fois que je disais “crimes de Assad”, il tendait la chaîne à laquelle j’étais attaché pour que mon corps s’étire et me fasse mal. »

Plusieurs centaines

Selon Amnesty International, ces actes de torture ont notamment été perpétrés par les autorités libanaises pour obtenir des aveux forcés. « Les enquêteurs m’ont forcé à admettre que j’étais un membre du Front al-Nosra et de Daech. Puis ils m’ont forcé à mettre mes empreintes digitales sur la déclaration. Puisque j’étais menotté et que j’avais les yeux bandés, ils ont pris ma main. Ils m’avaient battu avant, afin que je ne résiste pas. Ils ne m’ont pas laissé lire la déclaration et m’ont envoyé à la prison de Roumié », confie Nasser, qui sera condamné à trois ans d’emprisonnement. Tout comme lui, les détenus arrêtés au cours des sept dernières années avec lesquels Amnesty s’est entretenue ont été privés de leurs droits. « Les autorités libanaises ont violé le droit des réfugiés à prétendre à une procédure régulière. Les Syriens n’ont pas été informés du motif de leur détention et n’ont pas été autorisés à informer leurs proches de leur emplacement ni à contacter un avocat dans les premiers jours et semaines de détention », dénonce l’ONG. De plus, la majorité d’entre eux ont été retenus en captivité pendant une durée pouvant aller jusqu’à des années avant le procès. Sur les 24 réfugiés interviewés, six se trouvent encore en prison. Des centaines d’autres Syriens subiraient cependant le même sort. « Depuis 2011 jusqu’à maintenant, je défends deux ou trois Syriens (accusés de terrorisme) par semaine devant le tribunal. Le chiffre s’élève à plusieurs centaines de personnes au total et comprend une vingtaine de mineurs », relève à Amnesty Alia Chalha, une avocate libanaise. Contactées par l’ONG, les autorités libanaises n’ont pas répondu.

Ils sont aujourd’hui âgés de 21 à 55 ans mais certains d’entre eux n’avaient que 15 ou encore 16 ans lorsqu’ils ont été arrêtés. Dans leur grande majorité, ils sont issus de la ville syrienne de Qousseir, à environ 8 km au nord de la frontière septentrionale du Liban, et de Homs et sa banlieue. Tous font partie des 1,5 million de réfugiés syriens arrivés au Liban depuis le...

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DRAGHI Umberto

11 h 22, le 23 mars 2021

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    DRAGHI Umberto

    11 h 22, le 23 mars 2021

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