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Politique - Analyse

Comment expliquer la résilience de la classe politique libanaise

Trois pistes de réflexion peuvent permettre de mieux comprendre cette situation des plus paradoxales.

Comment expliquer la résilience de la classe politique libanaise

Le président du Parlement libanais, Nabih Berry. Photo d’archives AFP

Sur elle, tout semble glisser. La chute libre de la livre, l’explosion du port, la crise du coronavirus, l’assassinat de Lokman Slim… C’est comme si, quelles que soient l’ampleur et la nature de la catastrophe, rien ne pouvait réellement venir perturber la classe politique libanaise. Des régimes survivants aux situations les plus chaotiques, c’est du déjà-vu. L’exemple du voisin syrien est à ce titre éloquent. Mais le pouvoir libanais – quel oxymore – ne peut être assimilé à un régime, bien que le terme soit désormais fréquemment utilisé par facilité intellectuelle. On ne verrait pas dans un régime une situation dans laquelle le chef de l’armée et l’une des plus importantes institutions religieuses, qui a toujours eu un rôle au niveau national, critiquent frontalement le pouvoir. Tout comme l’on ne verrait pas dans un régime un bras de fer permanent entre différentes forces politiques allant jusqu’à empêcher ne serait-ce que la formation d’un gouvernement, un outil censé pourtant être vital pour tous ceux qui ont le désir de préserver leur pouvoir. Comment la classe politique parvient-elle alors à être aussi résiliente, ce mot aujourd’hui honni par les Libanais tant il leur rappelle tout ce qu’ils ont dû accepter par le passé par peur d’un retour de la guerre ? Comment expliquer que, malgré la colère de la rue et la pression exercée par le patriarche Béchara Raï, quoi que l’on pense du personnage, par Joseph Aoun et par la communauté internationale, la classe politique paraisse toujours aussi inébranlable? Trois pistes de réflexion peuvent permettre de mieux comprendre cette situation des plus paradoxales.

La pression ? Quelle pression !

Les Libanais sont privés depuis la fin de l’année 2019 d’un accès libre à leurs dépôts bancaires. Ils ont été victimes, le 4 août dernier, de l’une des pires explosions de l’histoire, qui a fait plus de 200 morts et 6 500 blessés. Alors que le pays entier est en train de s’écrouler, le gouvernement n’a toujours pas été formé depuis sept mois. Lokman Slim, opposant notoire au Hezbollah, a été assassiné, dans des circonstances qui laissent peu de doutes quant aux exécutants de cette ignominie. Malgré cela, ajouté à toutes les raisons qui avaient poussé des centaines de milliers de personnes à exprimer leur colère en octobre 2019, le peuple, dans son ensemble, reste très… sage. Certes, Tripoli s’est embrasée durant une grosse semaine au mois de janvier ; certes, on assiste à des manifestations quotidiennes, mais de très faible intensité depuis quelques jours ; certes, la crise du coronavirus est un facteur extrêmement contraignant qui éclaire l’absence de mobilisations populaires de masse – l’histoire aurait-elle été différente si le Liban n’avait pas été touché par la pandémie ? – mais tout cela ne suffit pas à justifier la léthargie actuelle.

L'édito de Issa GORAIEB

Pire que les fléaux

Deux facteurs semblent être ici déterminants : d’une part, la fragmentation politique de la rue (au-delà de la question partisane) qui complique l’émergence d’un mouvement national de grande ampleur, malgré le fait que la population devrait se sentir plus unie que jamais compte tenu des conditions de vie générales ; d’autre part, l’absence d’une véritable force d’opposition politique dans laquelle pourrait se reconnaître une majorité de Libanais et qui tracerait un chemin concret pour une sortie de crise. La pression exercée contre la classe politique est finalement assez faible d’autant plus qu’elle est diluée dans des discours simplistes et des demandes trop générales pour être véritablement gênantes. La communauté internationale ne fait pas beaucoup mieux même si ses attentes sont nettement plus claires. Elle ne se donne pas les moyens d’exercer une pression directe contre la classe politique par exemple en sanctionnant chacun de ses membres – ce qui ne donnerait pas nécessairement de résultats, les sanctions américaines contre Gebran Bassil ont au contraire eu l’effet inverse – ou en décidant de la boycotter complètement – ce qui est compliqué en l’absence d’alternative. Pas de quoi vraiment ébranler le pouvoir. On en vient au deuxième point.

La classe politique ? Mais qu’est-ce que ça veut dire !

La nature multicéphale du pouvoir libanais le rend à la fois faible dans l’exercice du pouvoir et fort dans sa capacité à ne pas en être évincé. Les différentes forces qui le forment ne constituent une « classe politique » que dans le sens où elles sont collectivement responsables de la débâcle actuelle et de l’absence de réformes, pourtant essentielles à la survie du pays. Mais dans tout le reste, elles se comportent plutôt comme des chefs de clans rivaux qui, entre deux conflits, trouvent des compromis précaires à partir du plus petit dénominateur commun.

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Puisque le pouvoir est morcelé, chacun a ensuite beau jeu de remettre la faute sur les autres et même de se considérer comme une force révolutionnaire. Les Forces libanaises prétendent être l’un des moteurs du changement. Le Courant patriotique libre argue qu’il a été empêché de faire les réformes qu’il souhaitait. Le courant du Futur avance à peu près les mêmes arguments, bien que de façon moins vulgaire. Même Amal tente de faire croire à l’occasion qu’il est un parti qui lutte pour un Liban plus moderne. Le kellon yaane kellon ! (Tous ça veut dire tous !) s’arrêtant là où commence la sympathie partisane, la rue est aussi divisée que la scène politique. Sans passer par des élections, qui doivent être avalisées par les partis et notamment par ceux qui ont le plus à y perdre, il semble impossible de leur ôter le pouvoir, essentiellement d’inaction, qu’il leur reste. Sauf à le prendre par la force. On en vient au troisième point.

Et avec le Hezbollah, on fait quoi ?

Certains révolutionnaires ont considéré dès le départ qu’il était préférable de s’accommoder du Hezbollah compte tenu du fait qu’il était impossible, dans les conditions actuelles, d’en venir à bout. Mauvais pari. Le parti chiite aurait pu avoir intérêt à appuyer un mouvement populaire qui ne le mettait pas directement en danger, au moins dans un premier temps, mais il a préféré se positionner comme la principale force contre-révolutionnaire au service du statu quo. À partir de là, comment faire bouger les lignes? En admettant que les révolutionnaires soient prêts à prendre le pouvoir par tous les moyens possibles, comment peuvent-ils combattre une milice armée et surentraînée, composée de plusieurs dizaines de milliers d’hommes ? Même si l’armée venait à s’effriter, en raison de la crise économique qui la frappe elle aussi de plein fouet, à rester neutre, ou à prendre parti en faveur des insurgés, comment répondre à l’équation insoluble que pose le parti chiite ? Il a suffi que ce dernier déploie ses chemises noires dans les rues de Beyrouth pour éteindre la révolution. Il lui suffit de menacer, sans même essayer de s’en cacher, le pays d’une nouvelle guerre civile si ses requêtes ne sont pas entendues pour garder le contrôle sur toute la situation. Quand on part du constat que le Hezbollah n’est prêt à faire aucune concession – ce qu’il a parfaitement démontré dans sa réaction à l’initiative française en faveur du Liban – quelle stratégie adopter pour en finir avec la classe politique? À cette question, personne n’a encore apporté de réponse digne de ce nom.

Sur elle, tout semble glisser. La chute libre de la livre, l’explosion du port, la crise du coronavirus, l’assassinat de Lokman Slim… C’est comme si, quelles que soient l’ampleur et la nature de la catastrophe, rien ne pouvait réellement venir perturber la classe politique libanaise. Des régimes survivants aux situations les plus chaotiques, c’est du déjà-vu. L’exemple du voisin...

commentaires (23)

Un criminel et/ou voyou qui n'a jamais été jugé ce n'est pas d e la résilience

CBG

21 h 55, le 14 mars 2021

Tous les commentaires

Commentaires (23)

  • Un criminel et/ou voyou qui n'a jamais été jugé ce n'est pas d e la résilience

    CBG

    21 h 55, le 14 mars 2021

  • Corrections qui s'imposent : classe et politique ne s'applique pas à notre situation. Prière de les remplacer par mafia et criminelle. Résilience aussi devrait être remplacé par connivence et corruption. Mais...une fois ces corrections faites l'article devient inutile car notre quotidien est le meilleur article et la meilleure analyse...

    Wlek Sanferlou

    19 h 43, le 14 mars 2021

  • Il semble bien que l’auteur de l’article se méprenne sur le sens- ou la valeur- de “ résilience “. Concernant nos politiques,ne faudrait-il pas parler plutôt d’entêtement borné et de déconnection totale avec la réalité? La résilience est positive. L’entêtement de nos mules ne l’est pas!

    Citoyen Lambda

    18 h 15, le 14 mars 2021

  • Ce n'est que la peur d'être assassiné , s'ils sortent des directives des criminels historiques. Dans l'histoire du Liban aucun criminel aucun corrompu aucun grand voleur type ministres présidents et députés n'a été jugé par contre ceux qui n’obéissaient pas aux criminels ont toujours été assassiné . Certains sont devenus présidents ministres et députés après avoir été criminels....la liste est longue Tant que la justice est faible , il y aura du sang

    CBG

    13 h 34, le 14 mars 2021

  • Le mot résilience ne colle pas pour nos mafieux, en voici la définition : Aptitude d'un individu à se construire et à vivre de manière satisfaisante en dépit de circonstances traumatiques. Or aucun des mafieux qui gouverne ce pays ne vit une situation traumatique, les circonstances traumatiques touchent uniquement et exclusivement le simple citoyen.

    Zeidan

    11 h 59, le 14 mars 2021

  • Le mot résilience n'est pas exact et beaucoup trop gentil pour décrire le comportement de notre classe politique libanaise. Un seul convient: CORRUPTION, du premier au dernier de nos dirigeants ! - Irène Saïd

    Irene Said

    08 h 52, le 14 mars 2021

  • Le peuple et l’armée DANS LA RUE du Nord au Sud de la Bekaa à Beyrouth !!!! Descendez en masse qu’attendez-vous ??? Personne ne pourra alors accepter que l’on tire sur un peuple et son armée ! Même pas le Hzb n’osera le faire

    KARAM Peter

    08 h 11, le 14 mars 2021

  • Kafka et Machiavel , bof ! Des enfants de chœur au Liban.

    Darwiche Jihad

    23 h 10, le 13 mars 2021

  • parler de résilience c'est flatter. Cela est plutôt du "ba3ed hmaré ma yinbot hachich".

    PPZZ58

    19 h 08, le 13 mars 2021

  • "Quelle stratégie adopter pour en finir avec la classe politique?" La seule stratégie est de déguerpir tous les politiciens et tous les banquiers un à un par la force, en descendant par millions dans la rue et y rester jusqu'à ce qu'ils fuient, qu'ils se suicident ou qu'ils remboursent ce qu'ils ont volé. La REVOLUTION est la seule solution pour bâtir un nouveau pays.

    Achkar Carlos

    19 h 05, le 13 mars 2021

  • MONSIEUR SAMRANI N,AVEZ-VOUS ENCORE REALISER QU,IL S,AGIT D,UN BORDEL ? POUR FERMER UN BORDEL ET L,ELIMINER IL FAUT ARRETER ET JUGER AVANT TOUT SA PATRONNE ET RENVOYER TOUTES LES CATINS QUI Y FONT PROFESSION. DEBLAYER LES PLACES, EN L,OCCURENCE ES INSTITUTIONS CHAOTIQUES, ET Y BATIR DU NOUVEAU MAIS CETTE FOIS-CI BATIR UN ETAT ET UN PAYS !

    LA LIBRE EXPRESSION

    14 h 22, le 13 mars 2021

  • L'usage du mot résilience dans le titre est flatteur, ce qui me révolte, car ses synonymes sont endurance et résistance. NON ce n'est pas de la résilience, il faut chercher et trouver le mot exact pour les décrire, comme: entêtement, folie, inconscience, inconsistance, ignorance. Bon article quand même !

    Shou fi

    14 h 13, le 13 mars 2021

  • Analyse objective et claire dont le constat est triste et inquiétant. Il devrait attirer l'attention de tous les pays amis du Liban, principalement la France, et les amener en priorité, avant même de chercher à protéger leurs propres intérêts statégiques avec la République Islamique d'Iran, à crever l'abcès des armes du Hezb. par tous moyens et sans peur ni appréhension, et ce avec le soutien international, sinon ils seraient tous responsables de la déstabilisation générale du M.O. et risqueraient de voir le monde déraper vers des dangers graves et incontrôlables!!!

    Salim Dahdah

    13 h 21, le 13 mars 2021

  • Kafkaïen vous connaissez?

    Chammas frederico

    13 h 07, le 13 mars 2021

  • Le dilemme est le suivant: quitter le pays et déclarer forfait, ou rester et se battre contre le hezbollah, mano a mano, dans les rues. On va probablement perdre, mais au moins on leur aura fait payer cher leur mainmise sur le pays. Très cher. Quand on n’a plus rien à perdre, on peut devenir méchant, très méchant...

    Gros Gnon

    12 h 49, le 13 mars 2021

  • Une proposition simple: tous les politiciens et hauts fonctionnaires depuis 1990 qui ont pillé, pour ne pas dire volé, l’argent public doivent être mis aux arrêts (et pas dans un hôtel de luxe) par l’armée nationale jusqu’à ce que chacun rembourse au Trésor Public ce qu’il a volé. Il pourra par la suite être remis à la justice civile qui le jugera selon les lois en vigueur. Est ce tellement difficile à mettre en œuvre ?

    Lecteur excédé par la censure

    12 h 30, le 13 mars 2021

  • D’après Forbes, trois libanais sont le top des PDG du moyen orient et nous avons les larbins les plus incultes et incompétents qui occupent les postes les plus sensibles au pouvoir pour diriger ce pays. Chercher l’erreur.

    Sissi zayyat

    12 h 06, le 13 mars 2021

  • On peut croire aussi que cette crise reste insoluble à cause du manque d’intérêt des pays puissants concernant le sort du libanais et des libanais. C’est là où on peut dire que le COVID a joué radicalement contre notre cause. Tout ce que ces pays trouvent comme solution intermédiaire c’est de distribuer des dollars pour libérer leur conscience sans aucune condition, soit disant pour sauver le peuple, alors que ces sommes ne font que renforcer ces corrompus qu’ils ont pris mille fois la main dans le sac et sur la gâchette sans leur demander des comptes. A chaque fois qu’ils se retrouvent démunis face à leurs partisans, ils utilisent ces aides pour se refaire une santé et passer pour les bons samaritains comme si cet argent provenait de leurs poches. FAUX ET ARCHI FAUX la politique adoptée par les pays amis. Il faut en premier obtenir des résultats concernant leurs exigences avant de leur dérouler le tapis rouge pour donner des millions de dollars qu’ils bénéficieraient personnellement avant tout le monde tout comme le vaccin. Quant à la rue, les gens écoutent et suivent leurs nourriciers tant que les aident transitent par ces mêmes voleurs il n’y aura pas de peuple uni. Pour finir le plus essentiel qui manque à cette révolution pour qu’elle soit suivie par tous est l’absence de la relève qui ne pourra avoir lieu qu’une fois le pays libéré des armes des milices vendues. Pour contrer une dictature il faut des armes, or ni l’armée ni le peuple n’en possède seul HB l’ont.

    Sissi zayyat

    11 h 54, le 13 mars 2021

  • bonne analyse mais seulement descriptive qui n'a pas explique leur resilience aux mafieux ! par contre la Conclusion est tout ce qu'il faut dire en si peu de mots : IMPOSSIBLE DE FAIRE BOUGER LES CHOSES TANT QUE HEZB RESTE OMNIPRESENT & INVINCIBLE

    Gaby SIOUFI

    10 h 52, le 13 mars 2021

  • Très bien écrit et répond directement à l'impossibilite de changer tant que le parti de Dieu contrôle. Comment le battre sans armes pour amorcer un changement? Pas de réponse.

    Onaissi Antoine

    07 h 21, le 13 mars 2021

  • Excellente analyse, qui, malheureusement, ne laisse guère d'espoir. Mais si la résilience de la classe politique est incommensurable, celle du peuple libanais, ne l'est pas.

    Yves Prevost

    07 h 20, le 13 mars 2021

  • "Certains homme politiques se vantent d'etre des hommes tout court. Ne les croyez pas. S'ils n'etaient que des hommes, la politique les ecourerait." Vous avez degoute le monde entier et trahi les citoyens, le pays et toutes les valeurs humaines!

    Sabri

    04 h 29, le 13 mars 2021

  • TROPPO TARDI...SAUVE QUI PEUT, C'EST UNE QUESTION DE TEMPS POUR QUE LE HEZBOLLAH POSE SES DEUX MAINS ET SES PIEDS SUR TOUT LE LIBAN IRANIEN. C'EST FINI LES LIBANAIS QUE VOUS ÊTES, CHACUN POUR SOI.....ÇA NE SERT À RIEN DE PLEURER. FINITO

    Gebran Eid

    02 h 35, le 13 mars 2021

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