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Moyen-Orient - Disparition

Hassan Abbas, chantre de la citoyenneté syrienne

L’intellectuel avait fondé la maison d’édition Bayt al-Muwâtin dans le cadre de laquelle deux collections ont été lancées : une série d’éducation civique et une autre de témoignages syriens.

Hassan Abbas, chantre de la citoyenneté syrienne

Hassan Abbas, intellectuel syrien très estimé, est décédé dimanche 7 mars des suites d’un cancer. Photo tirée de sa page Facebook

Il fut l’un des intellectuels syriens les plus prolifiques, l’une des figures les plus estimées de l’opposition, le héraut du concept de citoyenneté, l’incarnation d’une ouverture à l’autre, de la perméabilité des cultures. Depuis l’annonce de sa disparition dimanche, les témoignages pleuvent sur les réseaux sociaux, vantent avec tristesse les mérites d’un homme d’érudition dont le savoir se doublait d’un goût certain pour la transmission et d’une grande modestie.

Hassan Abbas, 66 ans, est décédé le dimanche 7 mars à Dubaï aux Émirats arabes unis, des suites d’un cancer. Chercheur en littérature et en sciences humaines à l’Institut français du Proche-Orient (IFPO) à Damas, puis à Beyrouth, professeur d’arabe, Hassan Abbas a marqué toute une génération d’étudiants. En Syrie, il s’était saisi de cette liberté toute relative dont pouvait bénéficier l’IFPO pour y organiser des réunions et des lectures plutôt critiques envers le régime de Damas. En 2011, dans le sillage du soulèvement populaire syrien, il fonde une ligue syrienne de la citoyenneté, menée par une équipe de neuf personnes, puis, dans le cadre de celle-ci, une maison d’édition, Bayt al-Muwâtin, où deux collections furent lancées : une série d’éducation civique et une série de témoignages syriens.Pourquoi cette maison d’édition ? « Parce que nous avons pris conscience qu’il fallait à tout prix conserver la mémoire collective de ce qui se passait. Nous nous sommes dit que la guerre allait durer et que la révolution ne serait pas victorieuse demain. Dans une révolution, les gens sont dans le feu de l’action et ils oublient ce qu’ils ont vécu. Il fallait demander à ces jeunes qui participaient à la révolution de témoigner pour garder la mémoire des événements », répondait Hassan Abbas dans un entretien avec le projet Shakk en 2018. Il faudra attendre sa sortie de Syrie et son arrivée au Liban, en avril 2013, pour commencer à publier.

Au pays du Cèdre, cet homme au visage rond, à la moustache blanche et au regard bienveillant a été pour de nombreux jeunes Syriens exilés au Liban – artistes, chercheurs ou citoyens – un soutien précieux. « Il était un peu comme le père de la culture syrienne à Beyrouth, ou du moins des activités culturelles syriennes qui y ont eu lieu, durant la période où je vivais là-bas, entre 2012 et 2014 », confie à L’Orient-Le Jour Dellair Youssef, réalisateur et journaliste syrien, aujourd’hui basé à Berlin. « C’est grâce à lui que j’ai publié mon premier livre », dit-il.

« Qui est le Dr Abbas ? »

Au début des années 2000, l’intellectuel s’investit pleinement pour la réalisation de son rêve et celui de millions de compatriotes, un combat pour l’avènement d’une véritable citoyenneté syrienne, comme l’illustre entre autres sa participation à l’ouvrage collectif Moi, toi, eux (2002) ou encore sa publication du Guide à la citoyenneté en 2004, en partenariat avec l’artiste Ahmad Mualla. Son engagement avait ainsi débuté longtemps avant les premiers balbutiements du soulèvement. Il avait notamment participé activement aux forums du printemps de Damas, à ces activités culturelles ayant contribué sur une courte période au développement d’une pensée politique en Syrie. Il était derrière l’établissement de plusieurs forums de discussions ayant donné lieu à la formation des comités pour la renaissance de la société civile, un thème qui lui était particulièrement cher.

Né en 1955 dans la ville de Masyaf, dans la province de Hama, Hassan Abbas était issu d’une famille alaouite. Au journaliste du centre Haramon pour les études contemporaines, Ghassan Nasser, qui lui demandait au cours d’une interview « Qui est le Dr Abbas ? », il répondit qu’il fallait distinguer entre les éléments qui s’imposent à l’être humain et ceux qu’il peut choisir. Dans le premier cas, il se décrivait alors comme « un homme (sans devenir viriliste), un Arabe (sans devenir raciste) et un alaouite (sans devenir sectaire) ». Dans le second, comme un « combattant pour la citoyenneté, non religieux, laïc, humaniste, un travailleur dans le domaine de la culture, un transmetteur de savoir, mais surtout un étudiant ».

Hassan Abbas avait été jusqu’en 2009 professeur à l’Institut des études théâtrales de Damas, après avoir obtenu un doctorat de critique littéraire à la Sorbonne Nouvelle. Depuis 2016, il dirigeait un programme de recherche sur la culture comme résistance à l’Institut al-Asfari pour la société civile et la citoyenneté (Asfari Institute for Civil Society and Citizenship) de l’Université américaine de Beyrouth (AUB).

L’empreinte qu’il laisse n’est pas l’unique lot des Syriens mais aussi de nombreux arabisants français auxquels il avait transmis sa passion pour le théâtre, le cinéma, la peinture, ou encore la musique syrienne et arabe plus généralement. La musique justement, il en avait fait un livre intitulé La musique traditionnelle syrienne (2020) où il évoquait sa diversité, à l’image de la pluralité culturelle du pays, pratiques musulmanes soufies, rites chrétiens, traditions kurdes, assyriennes et bien d’autres encore. Son dernier ouvrage, Le corps dans la littérature de guerre syrienne (Presses de l’IFPO, 2020), a été publié quelques jours seulement avant sa disparition. À la veille des dix ans du soulèvement syrien, à l’heure où la société civile a le plus besoin de ses forces vives, Hassan Abbas laisse derrière lui des centaines d’orphelins.

Il fut l’un des intellectuels syriens les plus prolifiques, l’une des figures les plus estimées de l’opposition, le héraut du concept de citoyenneté, l’incarnation d’une ouverture à l’autre, de la perméabilité des cultures. Depuis l’annonce de sa disparition dimanche, les témoignages pleuvent sur les réseaux sociaux, vantent avec tristesse les mérites d’un homme...

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Il était aussi un exceptionnel professeur d'arabe à l'Ifpo. Chaque cours avec lui était un voyage.

Nicolas Nely

12 h 21, le 09 mars 2021

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Commentaires (1)

  • Il était aussi un exceptionnel professeur d'arabe à l'Ifpo. Chaque cours avec lui était un voyage.

    Nicolas Nely

    12 h 21, le 09 mars 2021

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