Rechercher
Rechercher

Économie - Réglementation

Les recommandations de l’ONU pour un nouvel ordre financier

Le rapport fait état d’une hausse de la pauvreté extrême de 7 % dans le monde lors du pic de la pandémie entre avril et juillet derniers, pendant qu’au même moment, la fortune des milliardaires grimpait de 27,5 %.

Les recommandations de l’ONU pour un nouvel ordre financier

Les pertes fiscales représentent une perte de revenus pour les pays. Infographie Mark Mansour.

C’est un petit événement pour l’ONU, mais peut-être un pas de géant pour l’intégrité financière dans le monde. Le groupe d’experts de haut niveau venus de 17 pays – dont le Liban, représenté par l’avocat fiscaliste Karim Daher – et choisis pour participer à ce projet baptisé Facti Panel a publié jeudi soir un rapport de 85 pages contenant une série de recommandations orientant l’élaboration de normes qui renforcent la transparence fiscale et l’intégrité financière dans le monde de manière harmonisée et pérenne. Le rapport est disponible en ligne depuis hier matin. Le Facti Panel avait été formé dès le printemps dernier par l’ONU via la résolution 74/206.

Selon les experts, qui ont révélé leurs conclusions hier lors d’une visioconférence organisée pour l’occasion, ces recommandations s’articulent autour de trois piliers : un premier rassemblant les valeurs de responsabilité, de légitimité, de transparence et d’équité ; un deuxième centré sur les institutions et leurs capacités ; et un troisième focalisé sur le rôle et la protection des acteurs non étatiques.

Chacun de ces thèmes rassemble des recommandations plus spécifiques et concrètes sous 14 grands titres qui tendent à servir l’objectif visé et qui ont été définis à l’issue d’une trentaine de conférences, d’ateliers et de rendez-vous divers programmés depuis mars dernier avec des participants du monde entier. « Ce sont les bases d’un pacte universel pour l’intégrité financière », résume Karim Daher. Il souligne l’importance des enjeux de cette initiative, particulièrement pour un pays comme le Liban qui traverse une grave crise et où les pertes fiscales s’élèvent à 5 milliards de dollars par an, selon une estimation de 2019, soit plus de deux fois le montant nécessaire à la couverture médicale complète (médicaments compris) de tous les Libanais (2,47 milliards de dollars par an, selon des données relayées en 2018). Un pays en crise où le niveau de corruption peut laisser pantois, comme l’a démontré récemment le scandale lié au programme de vaccination contre le coronavirus financé par la Banque mondiale.

Développement durable

Si ce type de démarche n’est pas une première en soi, l’originalité du Facti Panel réside dans sa dimension inclusive. Selon Karim Daher, l’un des problèmes majeurs qui ont été identifiés lors des différents échanges est lié au fait que les normes actuelles en matière d’intégrité financière et de transparence fiscale ont été majoritairement créées selon les critères définis par les pays développés. Ce qui provoque une réaction de rejet de la part des pays pauvres et en développement qui ont moins de moyens pour les mettre en œuvre ou qui les perçoivent comme des atteintes à leur souveraineté. Une méfiance qui est particulièrement palpable dans certains pays africains. Ce caractère inclusif est de fait l’une des meilleures garanties, selon les experts impliqués, pour que les pistes définies par le Facti Panel ne restent pas lettre morte.

Autre facteur potentiellement décisif : le fait que le monde, à l’exception des plus riches, s’est considérablement appauvri depuis le début de la pandémie de Covid-19. Sur ce point, le rapport fait état d’une hausse de la pauvreté extrême de 7 % dans le monde lors du pic des contaminations entre avril et juillet derniers, pendant qu’au même moment la fortune des milliardaires grimpait de 27,5 %. « Beaucoup d’États n’ont plus d’autre option que de trouver les moyens d’améliorer la collecte fiscale sans alourdir les impôts, ce qui renforce la probabilité que les grandes orientations définies par le panel soient effectivement suivies d’effets dans le monde à moyen et long terme », expose encore Karim Daher.

Les objectifs visés par le Facti Panel doivent enfin servir, à terme, à « assurer les ressources nécessaires au développement durable dans le cadre des Objectifs de développement durable (ODD) fixés par le Programme d’action d’Addis-Abeba, ou Agenda du même nom à l’horizon 2030 ». Les experts partent en effet du postulat qu’une amélioration de la transparence et de l’intégrité financière permettra d’augmenter drastiquement les recettes fiscales des États qui la mettraient en œuvre, et donc d’optimiser leur redistribution de manière à favoriser « le développement, l’équité et la lutte contre la criminalité ». Les États doivent enfin comprendre que « la lutte contre la corruption et les pratiques financières illicites est un problème systémique qui nécessite des solutions et réformes systémiques », expliquent les experts dans un document de questions-réponses publié en marge du rapport. D’où la nécessité d’une action coordonnée à l’échelle planétaire.

Imposition plancher pour les entreprises

Dans un rapport intermédiaire diffusé en septembre dernier, les auteurs avaient estimé entre 500 à 600 milliards de dollars par an le manque à gagner lié à l’optimisation fiscale pratiquée par des entreprises multinationales qui transfèrent leurs profits dans les pays à la fiscalité plus avantageuse. Ils avaient également souligné que 7 000 milliards de dollars de richesses personnelles étaient dissimulés dans des paradis fiscaux, tandis que les actifs financiers off-shore représentaient 10 % du PIB mondial, contre 2,7 % pour le blanchiment d’argent, entre autres enseignements. Des chiffres conséquents qui permettent aussi de justifier l’intérêt de la création de ce comité d’experts et de la démarche qu’ils ont contribué à mener. Le rapport définitif reprend ces chiffres et inclut également des données propres à un certain nombre de pays membres de l’ONU développés, comme l’Allemagne, ou en voie de développement, comme le Bangladesh, entre autres.

Parmi les mesures définies figurent notamment un appel lancé aux pays à adapter leurs législations pour mieux poursuivre les crimes financiers en dehors de leurs frontières ; un deuxième appel adressé à la communauté internationale pour définir de nouveaux standards pour régler les affaires de corruption transfrontalières ; le renforcement de la responsabilité légale des dirigeants d’entreprises qui se rendent coupables ou tolèrent des crimes financiers, ainsi que pour certains facilitateurs malveillants (enablers), à l’instar de certains banquiers, financiers, notaires, intermédiaires, avocats et commissaires aux comptes/comptables qui ont l’obligation de rapporter et de refuser les transactions illicites ; la mise en place d’une convention fiscale estampillée par l’ONU et qui rassemble une palette de normes définies au terme d’un débat universel ; la création de registres nationaux rassemblant les informations sur les bénéficiaires réels des droits et par la suite sur les biens patrimoniaux; l’obligation pour les multinationales de publier leurs informations financières dans chacun des pays où elles sont présentes ; la mise en place d’un consensus sur une imposition plancher pour les entreprises ; la mise en place de standards minimum pour protéger les lanceurs d’alerte, les défenseurs des droits de l’homme ou encore les journalistes d’investigation ; ou la mise en place d’un dispositif permettant de financer le renforcement des capacités des États les plus vulnérables en matière de transparence fiscale et d’intégrité financière. Certaines recommandations seront particulièrement utiles pour le Liban. Le rapport prévoit ainsi l’adoption de mesures visant à faciliter la confiscation et la récupération des biens mal acquis aussi bien par la création d’un mécanisme de médiation approprié neutre qui garantira la compensation des victimes que par l’utilisation à l’effet du développement durable. Dans l’intervalle, les biens devraient être déposés dans des comptes de séquestre (escrow) gérés par des banques de développement régionales.Les recommandations du Facti Panel n’ambitionnent toutefois pas de faire table rase de la réglementation existante. « Le rapport a identifié des failles et les écueils des normes actuelles. Toutefois, il ne s’agit pas de créer des doublons avec ces normes actuelles (celles du Groupe d’action financière, par exemple), mais de voir où elles pèchent et de les aménager pour qu’elles puissent fonctionner tout en garantissant que les flux financiers illicites traqués et rapatriés soient employés pour le bien de la population », expose encore Karim Daher. « Tout le monde y trouvera son compte : les gouvernements obtiendront une reconnaissance certaine et une plus grande légitimité nationale et internationale, la société civile une reconnaissance de son rôle comme partie prenante au chantier et la réalisation de nombreux objectifs pour lesquels elle lutte, et, enfin, les grandes entreprises trouveront un cadre sain et accueillant pour leurs investissements qui s’inscriront dans la durée et la productivité (…) Il est grand temps de mettre fin au double pillage des populations par une infime élite sans scrupules qui détourne illicitement les fonds et les ressources nécessaires, et les prive d’un avenir meilleur », plaident encore les experts. « Nous sommes tous pris dans la même tempête, même si nous ne sommes pas tous dans le même bateau. Il ne faut pas ramer à contre-courant ni ramer ensemble dans des directions différentes, car cela annihilera nos efforts et empêchera toute avancée », conclut Me Daher.

C’est un petit événement pour l’ONU, mais peut-être un pas de géant pour l’intégrité financière dans le monde. Le groupe d’experts de haut niveau venus de 17 pays – dont le Liban, représenté par l’avocat fiscaliste Karim Daher – et choisis pour participer à ce projet baptisé Facti Panel a publié jeudi soir un rapport de 85 pages contenant une série de recommandations...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut