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Culture - Roman

« Je viens de m’acheter une tombe, ça te dit de partager ? »

Dans son nouvel opus, « Ce qui reste des hommes » (Actes Sud, 2021), Vénus Khoury-Ghata déploie toute sa passion du verbe, et une exploration dense et loufoque d’un imaginaire qui emmène son lecteur très loin, dans les mystères de l’au-delà.

« Je viens de m’acheter une tombe, ça te dit de partager ? »

Vénus Khoury-Ghata : « L’écriture permet de rompre la solitude. » © Catherine Helie

Malgré les rayons crus qui percent l’air glacial du jardin parisien de Vénus Khoury-Ghata, l’auteure reconnaît la tristesse dans laquelle la plongent certains après-midi, surtout en fin de journée. Néanmoins, le ton enjoué qui l’habite lorsqu’elle évoque la genèse de son dernier roman, Ce qui reste des hommes (Actes Sud, 2021), dément sa mélancolie, et esquisse la truculence et la singularité d’un texte magistralement mené. La grande dame rousse relate avec une transparence nimbée de mystère les tribulations d’une écriture vivante et foisonnante qui superpose aux interrogations funéraires de Diane, son héroïne, son propre cheminement existentiel, rugueux, lucide et esthétique. « Je viens de m’acheter une tombe dans un beau cimetière, ça te dit de partager ? » C’est en ces termes que Diane s’adresse tour à tour à ses anciens amants afin de trouver un partenaire pour l’au-delà, dans la tombe en marbre rouge qu’elle vient de s’offrir. Ce qui l’invite à effectuer un inventaire sentimental et une série d’enquêtes rocambolesques pour retrouver les candidats. « Trop jeune, Raphaël, pour te tenir compagnie dans sa tombe. Trop égoïste, imbu de sa personne et manipulateur, le sinologue. Réduit à un tas de cendres, l’historien membre de l’institut. Perdu dans les airs, l’Inca. »

L’auteure met en garde ses lecteurs contre une identification entre Diane et elle. « J’ai choisi d’utiliser la deuxième personne pour maintenir une certaine distanciation avec mon héroïne. Si je n’étais pas allée m’acheter une concession au début du confinement et que l’employé ne m’avait pas demandé si mon achat était pour deux, déclenchant en moi une série d’interrogations, le livre n’aurait jamais existé. Ensuite, c’est Diane qui prend le relais, elle a mon âge, et, comme Hélène, son amie excentrique, elles veulent oublier qu’elles sont vieilles et elles croient qu’elles sont toujours séduisantes.

Dans L'Orient littéraire

Un jeu de la mort et du hasard

Finalement, Diane et moi sommes tellement mélangées que je ne sais plus ce qui relève de ce que j’ai vécu et ce qui est inventé. Lorsqu’elle se confie sur son expérience de l’écriture, je ressurgis : elle n’a de bonheur que devant son ordinateur, les personnages de ses romans sont ses seuls amis, et les plus fréquentables. Lorsqu’elle se lance à la recherche d’un de ses amants, académicien, et qu’elle finit pas récupérer ses cendres, qu’elle les range sous son évier avec l’eau de Javel, on est dans l’imaginaire pur », confie l’écrivaine avant de lancer : « Et puis, je n’ai pas eu tous ces amants ! » « En fait, comme Diane, j’étais une femme qui voulait plaire, je devais avoir des complexes, car je voulais séduire, d’où une réputation de vie agitée, mais elle ne l’était pas tant que ça.

Et j’ai toujours transformé mes malheurs par l’humour, même dans La Femme qui ne savait pas garder les hommes que j’ai écrit le lendemain de l’enterrement de mon dernier compagnon. C’est ce qui permet de rendre le malheur supportable », poursuit Vénus Khoury-Ghata, dont l’écriture trépidante et décomplexée est pétrie d’un humour décapant.

« Tes morts pètent la vie »

« Inséparables mais si dissemblables, Hélène et toi.

Elle cherche un homme pour son lit.

Tu cherches un mort pour te tenir compagnie dans ta tombe.

Les morts éparpillés dans tes romans sont plus vivants que les vivants, plus loquaces.

Tes morts pètent la vie. »


Le dernier opus de Vénus Khoury-Ghata publié chez Actes Sud – L’Orient des livres.

Hélène est le contrepoint littéraire de son amie, ajoutant une dimension policière à la trajectoire romanesque. « Elle est inspirée d’une femme que j’ai rencontrée sur la Côte d’Azur, dont le mari a été tué par la mafia corse et qui avait une grande maison en bord de mer. Mon imagination a fait le reste, avec le couple homosexuel qui occupe la maison de manière illicite, jusqu’à ce qu’ils deviennent tous amis, et qu’ils aillent danser ensemble et jouer au casino. Hélène est tranquille parce qu’elle n’est pas romancière, elle aime la vie. Diane, elle, aime transformer le vécu en mots, elle ne supporte la réalité que transposée dans un texte littéraire. »

« L’écriture permet de rompre la solitude, ajoute Mme Khoury-Ghata, et lorsque je suis en train de rédiger une histoire, je passe trois ou quatre mois en robe de chambre et plus rien ne m’intéresse. Dès que je me retrouve devant mon ordinateur, j’ai l’impression qu’il y a quelqu’un dedans, il me raconte une histoire, et je n’ai plus qu’à l’écrire, je suis une copiste. Les mots ne sont pas prudes, mon imaginaire va très loin avec eux, et il n’y a pas de limites. Quelle liberté, personne ne vous juge ! » explique la romancière qui aborde dans son récit la beauté féminine à l’épreuve du temps.

Pour mémoire

Qu’est-ce qui a dévoré la vie de l’auteure rousse aux yeux brillants ?

« La mort fait peur aux jolies femmes », constate l’employée de l’agence funéraire. « Diane est une grande séductrice, comme j’ai pu l’être les quelques années de vie mondaine que j’ai eues au Liban, au début des années 70. J’allais dans des dîners et je faisais des efforts inouïs pour être séduisante malgré une éducation ascétique. Quand j’étais enfant, ma mère ne cessait de me répéter de ne pas me regarder dans le miroir : un jour, elle a même arraché la porte de mon armoire pour le faire disparaître. Lorsque je suis arrivée à Paris, une vie de labeur a commencé, et je me suis mise à fréquenter un milieu d’écrivains et de chercheurs scientifiques où la séduction n’avait pas sa place, j’ai créé d’autres types de liens », raconte Vénus Khoury-Ghata, qui prépare un recueil de poèmes qui paraîtra en juin, aux éditions Mercure de France. « Éloignez-vous de ma fenêtre évoque un mort qui s’occupe de son habitacle et qui vit des bruits qui viennent du dehors : un crissement de cailloux, le bruissement des feuilles qui tombent... J’ai souhaité éprouver ses sensations et savoir ce qu’il pense, ce qu’il attend. Je viens de terminer aussi un long poème de douze pages, intitulé Résurrection, que l’artiste Ernest Pignon-Ernest va illustrer, et qui sortira chez Actes Sud dans une collection qui réunit des peintres et des poètes », annonce celle qui a déjà publié vingt-six romans et vingt recueils de poèmes. Les paroles de Vénus Khoury-Ghata créent des spirales de récits qui s’emboîtent les uns dans les autres ; son cheminement d’écrivaine n’est pas épargné. « J’aime ma maison parisienne, je l’ai embellie pour oublier celle de mon enfance, qui était très laide, dans un quartier modeste d’Achrafiyé. Il y avait des voisins étranges, des prairies d’amandiers et un bassin où flottaient des poissons à moitié morts. Tous mes cauchemars s’y déroulent : j’y attends mes amis et je me demande comment ils vont faire pour enjamber les orties environnantes. » Vénus Khoury-Ghata a beau avoir été traduite dans seize langues et recevoir tous les matins du courrier de ses lecteurs, originaires du monde entier, elle dit « garder cette fêlure de l’enfance et celle de mon frère sacrifié qui m’a donné la poésie. L’écriture est contagieuse, je l’ai transmise à deux de mes enfants », conclut celle à qui une Bédouine avait prédit, il y a plus de 75 ans, qu’elle aurait trois langues et que la troisième était dans les livres. 

Malgré les rayons crus qui percent l’air glacial du jardin parisien de Vénus Khoury-Ghata, l’auteure reconnaît la tristesse dans laquelle la plongent certains après-midi, surtout en fin de journée. Néanmoins, le ton enjoué qui l’habite lorsqu’elle évoque la genèse de son dernier roman, Ce qui reste des hommes (Actes Sud, 2021), dément sa mélancolie, et esquisse la truculence et...

commentaires (1)

Selon la poétesse : ""« Tes morts pètent la vie »"", ou comme hier soir dans une émission littéraire : ""le bonheur, c’est d’avoir quelqu’un à perdre"". Mais que c’est beau tout cela, quand on tient à quelqu’un et qu’on est malheureux de le perdre. Mais qui peut se permettre d’exprimer des pensées tellement élaborées, et s’ils ""pètent la vie"", qu’ils sont toujours vivant parmi nous, et qu’on n’oublie pas, c’est qu’on a bien entendu l’orage à travers les cloisons du cercueil. Ecoutez, la mémoire vivante des morts est puante qu’on préfère ne pas passer à côté pour sentir cette bouffée d’air.

L'ARCHIPEL LIBANAIS

12 h 54, le 25 février 2021

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Commentaires (1)

  • Selon la poétesse : ""« Tes morts pètent la vie »"", ou comme hier soir dans une émission littéraire : ""le bonheur, c’est d’avoir quelqu’un à perdre"". Mais que c’est beau tout cela, quand on tient à quelqu’un et qu’on est malheureux de le perdre. Mais qui peut se permettre d’exprimer des pensées tellement élaborées, et s’ils ""pètent la vie"", qu’ils sont toujours vivant parmi nous, et qu’on n’oublie pas, c’est qu’on a bien entendu l’orage à travers les cloisons du cercueil. Ecoutez, la mémoire vivante des morts est puante qu’on préfère ne pas passer à côté pour sentir cette bouffée d’air.

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    12 h 54, le 25 février 2021

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