b En quelques années seulement, le Hezbollah est passé d’un statut de parti à la marge de la scène politique à celui d’arbitre de celle-ci. Malgré la spécificité libanaise, qui fait qu’aucune partie ne peut dominer seule le jeu politique, c’est lui qui dicte le tempo, qui décide de la coloration du futur gouvernement et des rapports de force au sein de l’arène. Et c’est essentiellement en fonction des relations qu’ils entretiennent avec lui que se positionnent tous les autres acteurs.
Dernier exemple en date : le discours du 16 février du secrétaire général Hassan Nasrallah dans lequel il compte les points dans la guerre des prérogatives que mène son allié le président de la République Michel Aoun face à son partenaire obligé, le Premier ministre désigné Saad Hariri, avant de faire pencher la balance en faveur de… ce dernier. S’il a proposé un cabinet de 22 ou 24 ministres, contrairement aux 18 que souhaitait Saad Hariri, Hassan Nasrallah a surtout affirmé que personne ne devait bénéficier du tiers de blocage au sein du futur gouvernement, un message clair adressé au chef du Courant patriotique libre (CPL) Gebran Bassil, accusé par tous ses adversaires de paralyser les tractations tant que sa demande n’est pas satisfaite.
Comment le Hezbollah s’est-il retrouvé à prendre le parti de Saad Hariri contre Gebran Bassil ? C’est le fruit d’une longue évolution au cours de ces dernières années qui fait que la formation chiite considère aujourd’hui que la couverture sunnite que lui apporte Saad Hariri est plus importante que la couverture chrétienne du CPL. Bien sûr, il souhaite maintenir un équilibre entre ses bonnes relations avec le courant du Futur qui permettent, selon lui, d’éviter tout conflit sunnito-chiite, et son alliance avec le CPL qui lui fournit la plus large couverture politique chrétienne depuis sa création. Mais après l’effondrement du compromis présidentiel de 2016 entre Saad Hariri et Michel Aoun, il se trouve contraint de choisir. Si bien que le temps où son alliance avec la formation de Michel Aoun était privilégiée aux dépens de toutes les autres forces, notamment le courant du Futur et les sunnites en général, allant jusqu’à irriter parfois son allié Nabih Berry, semble révolu.
Pourquoi ? Tout d’abord parce que la relation entre le Hezbollah et le CPL n’est plus aussi bonne que par le passé. L’alliance fait désormais débat au sein même du Hezbollah, et des responsables du parti ne cachent plus leur irritation à l’égard de certaines « provocations » de figures du CPL, selon une source proche de la formation chiite. Alors que sa base est de plus en plus critique vis-à-vis du Hezbollah, le courant aouniste assure qu’il est temps de renégocier les termes du partenariat (l’accord de Mar Mikhaël de 2006) qui ne lui aurait pas permis, selon lui, de mener comme il le souhaitait la lutte contre la corruption. « Lorsqu’un conflit éclate entre le Hezbollah et le CPL, Gebran Bassil ouvre des fronts contre le parti, en agitant plusieurs dossiers, dont la normalisation et la paix (avec Israël), la lutte contre la corruption, le fédéralisme et la décentralisation, jusqu’à la question des armes illégales », estime la source proche du Hezbollah. Tout cela provoque une crise de confiance entre les deux parties, et se répercute sur le public du Hezbollah, qui sait cependant que Gebran Bassil ne peut concrétiser ses menaces. Dans le même temps, le Hezbollah craint que Michel Aoun et son gendre ne soient disposés à faire des concessions à ses dépens dans l’espoir d’obtenir une levée des sanctions américaines. Le chef du CPL a été lourdement sanctionné le 6 novembre dernier par les États-Unis pour corruption. « Bassil pense qu’il peut utiliser le Hezbollah pour parvenir à la présidence, mais le parti ne peut donner aucun engagement à quiconque aujourd’hui à ce sujet parce qu’il est encore trop tôt », souligne encore le proche de la formation chiite.
Comme s’il avait conscience que son (seul) allié était en train de courtiser un autre partenaire, Gebran Bassil a expliqué hier dans sa conférence de presse que les chrétiens étaient en faveur d’un rapprochement sunnito-chiite dans la région, dont les prémices se dessinent, qui se traduirait au Liban par un renforcement du modus vivendi entre le Hezbollah et le courant du Futur. « Mais, il est dans l’erreur celui qui pense pouvoir ressusciter l’accord quadripartite (en référence à l’entente entre Nasrallah/Berry/Hariri/Joumblatt après le retour de Michel Aoun au Liban en 2005) et affaiblir les chrétiens », a-t-il toutefois ajouté. Avant de considérer, comme pour avertir tout le monde qu’il a conscience des tractations actuelles, que le Hezbollah ne va pas s’allier aux musulmans aux dépens des chrétiens, car la formation chiite « ne fait pas des alliances sous la table ». L’alliance entre le Hezbollah et le CPL s’est dégradée au fil du temps au point que les deux partis s’envoient régulièrement des piques par presse interposée, sans toutefois dépasser certaines limites.
Comme Bachar el-Assad
Entre le courant du Futur et le Hezbollah, c’est presque tout l’inverse. Malgré les divergences stratégiques majeures entre les deux parties (le Hezbollah est tout de même accusé d’être derrière l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri), Saad Hariri est dans une logique de modus vivendi avec la formation chiite depuis déjà des années. En cas de divergences, il évite les dossiers conflictuels et cherche des points d’accord tactiques, fondés sur le fait que chaque partie a besoin de l’autre, alors que Saad Hariri a besoin de l’appui du Hezbollah pour arriver au Sérail et que la formation chiite a besoin de lui puisqu’il est le seul à pouvoir lui fournir une couverture sunnite. Une façon d’agir qui rassure le Hezbollah, selon le proche de la formation chiite. Le Hezbollah estime d’ailleurs que Saad Hariri ne lui a jamais porté préjudice au cours des dernières années et a changé d’attitude à son égard depuis le coup de force du parti chiite le 7 mai 2008 et la réconciliation syro-saoudienne de 2009 qui l’avait conduit à se rendre à Damas. Et surtout, il apprécie son attitude au sujet du Tribunal spécial pour le Liban qui a incriminé un membre du Hezbollah dans l’assassinat de son père, puisqu’il a assuré vouloir à tout prix préserver la paix civile. Dans son dernier discours, le 14 février, le Premier ministre désigné s’est abstenu comme à l’accoutumée d’attaquer le parti, toujours dans l’optique d’éviter un conflit sunnito-chiite.
Du côté du courant du Futur, on est convaincu que le Hezbollah a aujourd’hui moins besoin du CPL que par le passé. « Lorsqu’il était isolé politiquement au cours des dernières années, le Hezbollah avait besoin d’une couverture chrétienne, notamment pour s’engager en Syrie où il a contribué à changer l’équilibre des forces, sous le prétexte de faire face aux terroristes et aux takfiris. Désormais, il sait qu’il ne peut pas continuer sans un compromis et une entente avec les sunnites », estime un proche du Premier ministre désigné. Cette analyse ne fait pas toutefois l’unanimité dans les rangs sunnites où certaines figures hostiles à la politique prônée par Saad Hariri estiment que le Hezbollah ne cherche une entente avec les sunnites qu’après les avoir affaiblis et soumis, comme l’a fait Bachar el-Assad en Syrie. « L’entente entre le Hezbollah et le CPL est faite pour durer. Elle offre au Hezb une couverture chrétienne sans laquelle il n’aurait pas une telle force et un tel rôle dans la région, même si à un moment donné elle a revêtu l’apparence d’une alliance des minorités », confie pour sa part un responsable du CPL sous couvert d’anonymat, qui affirme que le rapprochement avec Hariri n’inquiète pas le parti.
Le Hezbollah est dans un moment où il a stratégiquement besoin d’une entente avec les sunnites, mais veut tactiquement maintenir son alliance avec les aounistes. Il laisse les deux parties batailler, tout en sachant qu’aucune n’aura l’avantage et qu’en fin de compte c’est lui qui en sortira vainqueur.
Mr. Hariri donnez votre démission ne soyez pas lache...
21 h 10, le 09 juin 2021