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Politique - Éclairage

Ces militants chiites menacés pour avoir critiqué le Hezbollah

Les membres de la communauté qui osent s’en prendre au parti de Dieu sont immédiatement assimilés à des agents à la solde de l’ennemi.

Ces militants chiites menacés pour avoir critiqué le Hezbollah

Des combattants du Hezbollah participent à un défilé militaire marquant la « Journée du martyr » le 12 novembre 2019. Archives AFP

« Je suis avec tous les candidats opposés au Hezbollah. Parce que je ne pourrai jamais questionner le futur député du Hezb, une fois qu’il sera élu, sur ce qu’il a accompli, lui qui accuse déjà ses adversaires politiques de traîtrise et d’appartenir à Daech. »

La scène se passe en 2018, en pleine campagne pour les élections législatives. Mohammad Awad, journaliste et vice-rédacteur en chef du site International Network News (INN), est invité dans une émission télévisée à s’exprimer sur les candidats chiites qui se présentent dans la région de Jbeil. Cet activiste de la première heure ne mâche pas ses mots pour critiquer « la prise en otage de toute une communauté » par le Hezbollah. Alors que la campagne du parti de Dieu met en avant la solidarité communautaire, le sacrifice des martyrs et la dénonciation des traîtres, le journaliste multiplie les textes au vitriol sur sa page Facebook dénonçant « le lavage de cerveau effectué dès le plus jeune âge sur la population chiite dans les régions sous le contrôle du Hezbollah ». En juillet 2018, après les élections, il publie un article intitulé « le mini-État qui gouverne les pauvres » dans lequel il explique comment le parti chiite assoit sa domination sur sa communauté. Trois jours après, il est arrêté dans la région de Aïn el-Remmaneh par la Sûreté générale. On lui prend son téléphone et son ordinateur portable et on l’interroge sur ses activités et sur ses articles. Puis on lui demande, avant de le relâcher, d’être moins virulent dans ses prises de position. « J’ai alors compris qui était derrière mon arrestation », dit Mohammad Awad à L’OLJ.

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Les arrestations contre des activistes critiquant les hommes politiques se sont multipliées au Liban depuis la révolution du 17 octobre 2019. « Les forces de sécurité et l’armée libanaises ont convoqué, interrogé et tenté d’intimider des dizaines de personnes qui avaient critiqué les autorités sur les réseaux sociaux », s’était alarmé Amnesty International en juillet 2020. Les militants profitent de la liberté que leur offrent les réseaux sociaux pour exprimer leurs points de vue, de façon plus ou moins provocatrice, sur la classe politique et ses dérives. Mais cette façon de faire ne passe pas auprès d’une grande partie de la classe politique, en particulier au sein de la communauté chiite, où le Hezbollah laisse très peu d’espace à l’expression de voix dissidentes.

« Il y une spécificité chiite liée à la situation politique très particulière au sein de cette communauté, explique Ayman Mhanna, directeur exécutif de la Fondation Samir Kassir. Entre le Hezbollah et ses partisans, il y a une allégeance instinctive, une discipline de parti, une uniformité d’esprit. Cela déclenche des comportements de masse, aussi bien dans les manifestations que sur les réseaux sociaux. »

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En cas de malheur

Les chiites qui osent critiquer frontalement le parti sont très vite associés à des agents au service des ambassades étrangères, des traîtres à la communauté qui font le jeu de « l’impérialisme américano-sioniste ». Ils deviennent en quelque sorte des cibles pour les partisans du Hezbollah qui tentent par tous les moyens de les décrédibiliser. « Personne ne le fait de façon aussi systématique et déterminée au Liban. Il y a même des comptes qui sont créés pour l’occasion », décrypte encore Ayman Mhanna.

« Les miliciens ont réussi à me chasser de mon pays »

Les journalistes Dima Sadek, Diana Moukalled ou encore l’essayiste Mona Fayad (et bien d’autres) en ont toutes fait les frais. Après avoir publié un tweet critique du Hezbollah, repris par une chaîne israélienne, la journaliste indépendante Luna Safwan a également été l’objet en octobre 2020 d’une énième campagne d’intimidation l’accusant de faire la propagande de l’ennemi. « Quand le public du Hezbollah détecte une proie politique, il se livre à un déferlement de haine et d’attaques personnelles », commente Ayman Mhanna. Preuve que personne n’est à l’abri d’être ostracisé dans la rue chiite, l’intellectuel Kassem Kassir, pourtant proche du Hezbollah, a suscité récemment une vague d’indignation et de colère dans les milieux du parti de Dieu après avoir déclaré à la télévision que ce dernier devait prendre ses distances avec Téhéran.

Le Hezbollah semble être particulièrement sensible à l’idée de donner une image d’unité de la communauté chiite à un moment où il est sous pression sur les scènes locale et régionale et alors que sa rue s’agite depuis le 17 octobre 2019. « Plus ils nous imposeront leur domination, plus notre volonté de nous libérer sera grande », affirme l’activiste Bachir Abou Zeid du village de Kfar Remmane. Ce jeune réalisateur de 28 ans a été victime d’une agression et d’une tentative d’enlèvement en mai 2020, qu’il impute à des miliciens du parti Amal, suite à un message qu’il a publié sur les réseaux sociaux appelant « à couper l’électricité devant le domicile de Nabih Berry pour la donner aux gens ». « Ils m’ont frappé en me disant que je n’étais pas autorisé à critiquer le président du Parlement », confiait-il à L’OLJ en mai dernier. « Ici, les gens se posent des questions avant de manifester. Ils ont peur des réactions de leur entourage, d’être accusés de collaborer avec Israël par exemple ou d’être agressés », ajoutait-il.

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Résister jusqu’au bout des mots

Ne supportant plus de vivre dans la peur dans son propre village, Mirra Berry, 25 ans et originaire de Nabatiyé, a pour sa part décidé de quitter le Liban pour aller vivre en Turquie après avoir subi plusieurs campagnes de harcèlement, à la suite de messages critiquant le tandem chiite sur les réseaux sociaux. « Ma mère a reçu des menaces directes de la part de proches qui appartiennent au Hezbollah et à Amal. Ils lui disaient que je devais retirer mes posts critiques sinon ils viendraient à la maison pour me donner une leçon », précise celle qui était particulièrement active pendant le soulèvement libanais. Pour la pousser à bout, les partisans du Hezbollah ont créé des profils ou des pages utilisant son nom et ses photos pour la discréditer et la calomnier, jusqu’au jour où sa mère a fini par craquer, alors que son frère menaçait de la tuer. Elle a finalement arrêté d’écrire. « Les miliciens et les corrompus ont réussi à me chasser de mon propre pays, à m’éloigner de ma famille et de ceux que j’aime, du village dans lequel j’ai vécu, et finalement à me faire taire », explique-t-elle.

Des histoires comme celles-ci, il y en a encore beaucoup. Après avoir critiqué le Hezbollah sur les réseaux sociaux, l’activiste Kassem Srour, originaire de Samaiya dans le caza de Tyr, est tabassé en juin 2020 par des jeunes qui l’accusent d’avoir insulté le parti de Dieu. « C’est un mouton qu’il faut égorger », criaient-ils en me frappant, raconte ce jeune militant. Ali Jammoul, la trentaine, lui aussi militant très actif sur Facebook, originaire de Nabatiyé, a reçu en février dernier une multitude de menaces et un déferlement d’insultes de la part des partisans du Hezbollah. « Ils m’ont même interdit de mettre les pieds dans mon village natal », témoigne-t-il aujourd’hui. L’assassinat jeudi de l’intellectuel chiite Lokman Slim, connu pour ses critiques acerbes contre le Hezbollah, va-t-il contribuer à diffuser le virus de la peur et faire taire toutes ces voix dissonantes? « Nous n’avons plus peur. Après cet assassinat, la parole va se libérer encore plus qu’avant. Nous n’avons plus rien à perdre », veut croire Mohammad Awad.

« Je suis avec tous les candidats opposés au Hezbollah. Parce que je ne pourrai jamais questionner le futur député du Hezb, une fois qu’il sera élu, sur ce qu’il a accompli, lui qui accuse déjà ses adversaires politiques de traîtrise et d’appartenir à Daech. » La scène se passe en 2018, en pleine campagne pour les élections législatives. Mohammad Awad, journaliste et...

commentaires (15)

Je crois, j'espère, que c’était leur assassinat de trop.

Christine KHALIL

18 h 27, le 07 février 2021

Tous les commentaires

Commentaires (15)

  • Je crois, j'espère, que c’était leur assassinat de trop.

    Christine KHALIL

    18 h 27, le 07 février 2021

  • Toute enquête qui n'inclue pas dans la liste des accusés Etats Unis et Israel est nul et non avenue. Autrement tout le reste est basé sur du Fake bon marché.

    aliosha

    12 h 04, le 07 février 2021

  • Tou(te)s personnes/militants/photographe/banquier qui enquetent sur les activites financieres de cette mafia armee sont systematiquement eliminees. Pour pouvoir comprendre la provenance du nitrate et comprendre ou notre argent est parti, il faut bien suivre la trace de l'argent. Ou est l'etat ?

    Alors...

    11 h 30, le 07 février 2021

  • Je ne sais pas si cette milice iranienne s'en rend compte mais si elle veut séquestrer, tabasser et tuer tous ses opposants, il y a du boulot. C'est bientôt aux 4/5 de la population libanaise qu'elle devra s'en prendre. C'est une vraie dictature de la pensée (qui n'a rien à envier aux pratiques russes ou chinoises) qu'ils adoptent dans notre pays qui n'est plus le leur. Il n'y a que la bêtise, le fanatisme et la susceptibilité puérile qui peuvent pousser ces gens-là et leurs amis bien connus à considérer que toute personne opposée à leurs idées est systématiquement un agent d'Israël, de Daech ou des États-Unis. Chaque photo d'eux, chacun de leurs discours, est à vomir, Sans parler du tweet de 6-feet-under junior.

    Robert Malek

    02 h 38, le 07 février 2021

  • Expliquez moi le Hezbollah est le parti de Dieu ou le parti du diable ? Je ne comprends pas très, bien après tous ces crimes ????

    Eleni Caridopoulou

    18 h 53, le 06 février 2021

  • JE CONTINUE : CEUX-LA MEMES QUI PRETENDENT COMBATTRE ISRAEL SONT SES VRAIS AGENTS.

    MON CLAIR MOT A GEAGEA CENSURE

    17 h 23, le 06 février 2021

  • Que c'est triste de voir que ce pays est toujours pris en Otage, par "The Nasrallah Gang" ! Les assassinats perpétrés au nom de Dieu sur des érudits, journalistes, écrivains, etc. Prouve indéniablement la faiblesse de ce Gang de rue ! Être, libellé de sioniste ou d'espion israélite ou américain, est commun chez eux... Ce ne sont pas les étiquettes qui donnent qui font le plus mal, c'est ceux qui les croient aveuglément !

    Marwan Takchi

    14 h 07, le 06 février 2021

  • LES PREMIERS AGENTS QUI TRAVAILLENT POUR LE COMPTE D,ISRAEL SONT CEUX QUI PAR LEURS ACTIONS FONT LE JEU D,ISRAEL ET LUI DONNENT DES ALIBIS.

    MON CLAIR MOT A GEAGEA CENSURE

    13 h 00, le 06 février 2021

  • Pauvre chair à canon décérébrée et docile, des morts par milliers, la clé du paradis au cou, pour leurs chefs insatiables de sang.

    Christine KHALIL

    12 h 50, le 06 février 2021

  • Tous ces militants pour la liberté et contre la trahison de leur pays par une milice qui a pris comme alliés les protecteurs des citoyens sont attaqués parce que isolés. Tous les citoyens devraient leur venir en aide et dénoncer la moindre agression des forces de l’ordre et de quelques vendus qui coopèrent pour faire taire la raison. N’est ce pas le peuple libanais qui leur paie leurs salaires pour veiller à sa sécurité? Même les bonus et dessous de tables qu’ils perçoivent proviennent de la même source, l’argent de l’état qu’on a pillé pour acheter quelques uns en leur faisant croire que ça provient de leur labeur ou de leurs commanditaires. Que des mensonges ancrés bien profond dans leurs crânes vides pour anéantir ce pays. Le jour où les arrestations arbitraires cessent on peut commencer à penser qu’on a un œil bienveillant qui veille sur nous et la dignité triomphera.

    Sissi zayyat

    12 h 40, le 06 février 2021

  • If independent Lebanese Chiites are labeled "Embassies' Agents' for refusing and criticizing Hezbollah's hegemony , what does that make Hezbollah ? The Lebanese military arm of the Revolutionary Guard of the great Islamic Republic of Iran.

    EL KHALIL ABDALLAH

    12 h 28, le 06 février 2021

  • Pauvres bougres,pris au piège des manières et chantage mafieux. c est la Mort,ou La Mort. Qu ils se révoltent.

    Marie Claude

    10 h 27, le 06 février 2021

  • Petit à petit la révolution prend la véritable voie par laquelle elle devait commencer.Chaque communauté contre ses barons en les déposants.

    PROFIL BAS

    10 h 25, le 06 février 2021

  • L'arrestation de Mohammad Awad et de bien d'autres montre malheureusement une collusion entre les forces dites "de l'ordre" et le Hezbollah. Quant à l'accusation "d'avoir insulté le Parti de Dieu", depuis quand est-ce un crime?. Il me semble que c'est le parti lui-même qui devrait être mis en accusation. Associer le nom de Dieu à cette milice n'est-il pas un flagrant blasphème?

    Yves Prevost

    07 h 11, le 06 février 2021

  • Le "parti de dieu" ayant, généralement, la main mise sur les forces de l'ordre, il les utilise pour faire pression sur les dissidents et autres intellectuels qui sont tenus d'avoir le petit doigt sur le pli du pantalon . Mais qu'en est il des lecteurs, comme nous, qui à longueur de journée dénonçons les agissements de ce parti ....? Quand l'on sait généralement que la liberté de la presse ne tient plus qu'à un fil.

    C…

    07 h 07, le 06 février 2021

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