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Économie - Focus

La vente des actifs de l’État pourrait-elle vraiment sauver le système financier libanais ?

Une étude menée par Albert Kostanian fait le point.

La vente des actifs de l’État pourrait-elle vraiment sauver le système financier libanais ?

Photo d’illustration. Soos Jozsef/Bigstock

Depuis que le Liban a commencé sa dégringolade économique et financière, la valeur des actifs de l’État est au cœur d’une vaste foire aux estimations. En avril dernier, un plan de sauvetage de l’économie libanaise, corédigé par Ziad Hayek, ex-secrétaire général du Haut Conseil pour la privatisation et les partenariats, fixait ainsi la valeur de ces actifs à 24 milliards de dollars ; en mai, l’Association des banques du Liban (ABL) la chiffrait à 40 milliards de dollars ; et il y a deux semaines, le député Farid Boustany (CPL/Chouf) l’estimait, dans un tweet, à plus de 200 milliards de dollars. Mais selon les conclusions d’une étude indépendante publiées lundi dernier, leur valeur serait en réalité bien en deçà de la plus basse des estimations relayées jusqu’ici.

Le rapport de synthèse de cette nouvelle étude sur l’évaluation des biens publics libanais et les conditions de leur éventuelle privatisation a été publié par Albert Kostanian, chercheur en politique économique à l’Institut Issam Farès (IFI) pour les politiques publiques de l’Université américaine de Beyrouth. Le fait que, dans cette étude, la valeur des actifs de l’État soit drastiquement inférieure aux évaluations d’autres études suscite des questions quant à la viabilité des plans reposant sur leur liquidation pour renflouer le secteur bancaire.

En mai dernier, l’ABL avait appelé à la création d’un « fonds de désendettement » dans lequel les actifs de l’État, évalués par l’Association à 40 milliards de dollars, seraient placés pour régler les pertes du système bancaire. Le plan, dont ce fonds est vraiment le cœur, vise à limiter les dommages subis par les déposants via un processus de distribution des revenus tirés de la vente des actifs de l’État aux clients des banques. « Nous appelons à la création, en collaboration avec la banque centrale, d’un fonds étatique basé sur les biens de l’État, en espérant que ce fonds sera utilisé pour payer la dette de la banque centrale par le biais d’une obligation à long terme et à faible taux d’intérêt », avait déclaré Salim Sfeir, président de l’ABL, dans un courrier d’introduction à l’étude et actuellement accessible sur le site de l’organisation. L’Orient Today a tenté de savoir sur quoi reposait l’évaluation, posée à 40 milliards de dollars, des biens de l’État. « Il n’y a pas eu d’étude, il s’agit (simplement) d’une évaluation », a indiqué un porte-parole de l’ABL.

Selon l’étude menée par Albert Kostanian, qui précise qu’elle sera publiée dans son intégralité dans quelques jours, la privatisation des biens publics générerait entre 5,88 et 13,36 milliards de dollars, selon l’ampleur du processus de privatisation.

Il est important de noter que les évaluations de l’étude de l’IFI sont basées sur le taux de change officiel de 1 507,5 livres libanaises pour un dollar. Alors que ces derniers jours, sur le marché noir, le billet vert s’achète autour de 8 800 livres. Par conséquent, les biens publics du Liban valent en réalité, aujourd’hui, environ un cinquième de leur valeur en dollars.

Quels sont les actifs de l’État libanais et combien vaut chacun d’eux ?

Middle East Airlines (MEA), la compagnie aérienne nationale fondée en 1945 et détenue majoritairement par la Banque du Liban, vaut environ 670 millions de dollars, tandis que le Casino du Liban – dont la BDL et l’État libanais, partiellement via la compagnie d’investissement Intra, détiennent environ la moitié – est évalué à 370 millions de dollars, selon l’étude de Kostanian.

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Le rapport souligne en outre que l’État possède environ 860 millions de mètres carrés de biens immobiliers, dont 85 % sont situés dans la Békaa. Évidemment, la valeur des biens dans cette région est de loin inférieure à celle de biens situés dans la capitale. Selon l’étude de Kostanian, la valeur de ces terrains est de 10,75 milliards de dollars. Mais dans le cadre d’un « programme de privatisation réaliste », 30 % de ces terrains seraient vendus, ce qui signifie que le Trésor n’engrangerait qu’environ 3,2 milliards de dollars, selon l’étude. Sans oublier que mettre en vente ces biens entraînerait, par un jeu d’offre et de demande, une baisse de leur valeur sur le marché, souligne Kostanian.

En ce qui concerne les actifs de l’État dans le secteur des télécoms, l’étude précise qu’une privatisation totale générerait 3,2 milliards de dollars. Quant à la Régie libanaise des tabacs et tombacs – la production, la fabrication et la commercialisation du tabac sont régulées par un monopole géré par l’État libanais –, elle vaudrait 1,57 milliard de dollars.

L’aéroport, Électricité du Liban, les ports et la gestion de l’eau et des eaux usées seraient très probablement développés via des concessions et ne rapporteraient donc que des avantages à long terme. Dans ces conditions, l’opérateur privé serait responsable de l’exploitation et de la maintenance du service public, mais ne financerait pas les investissements. La productivité et l’efficacité de ces services publics pourraient être améliorées, mais l’État ne tirerait pas de revenus de cette opération à court terme.

En raison de la mauvaise gestion et de la corruption qui règne dans le secteur public, ces organismes publics, souvent inefficaces, fournissent généralement des services médiocres. Leur privatisation pourrait avoir un impact positif sur les prix et la qualité des services, elle permettrait d’accroître la concurrence et porterait un coup à l’oligarchie qui a pris le contrôle de l’économie du pays dans la période postindépendance.

Deux approches pour la privatisation

En matière de privatisation, l’étude de l’IFI met en évidence deux approches.

Dans le cadre d’un « programme de privatisation réaliste », l’État ne vendrait que la MEA, le Casino du Liban, 50 % des télécoms qu’il possède et 30 % de ses biens immobiliers. Une telle opération rapporterait environ 5,88 milliards de dollars.

Une stratégie de privatisation plus agressive générerait environ 13,36 milliards de dollars, mais impliquerait de vendre la MEA, le Casino du Liban, l’intégralité des biens de l’État dans le domaine des télécoms, la Régie libanaise des tabacs et tombacs, et 70 % des biens immobiliers de l’État.

Pour Jean Riachi, PDG de FFA Private Bank, l’approche plus conservatrice en matière d’évaluation des biens de l’État est la plus réaliste. Elle implique que le plan de l’ABL surestime d’environ sept fois la valeur des actifs de l’État. Et, au-delà de la question de l’évaluation des actifs publics, un processus de privatisation, dans les conditions actuelles, serait « un processus injuste qui ne profiterait qu’aux élites politiques et à leurs acolytes », selon le rapport Kostanian. Ainsi, les biens de l’État ne devraient pas être fourgués à la va-vite « pour couvrir les pertes du secteur financier ou le déficit budgétaire », résume Riachi.

Au final, tout plan basé sur la vente directe d’actifs de l’État ou tout processus de privatisation via un fonds dont l’objectif serait de couvrir les pertes du secteur bancaire ne parviendrait qu’à couvrir une portion minime de ces pertes, qui s’élevaient à 186 mille milliards de livres en avril dernier. Un chiffre qui a assurément bien gonflé depuis.

Un processus juste de privatisation des actifs de l’État ne devrait viser qu’à améliorer leur productivité ou engendrer une croissance économique. Problème : l’on est très loin, aujourd’hui au Liban, d’un tel processus. Aujourd’hui, rien ne garantit la transparence de tout potentiel processus de privatisation, et le risque de voir des biens publics finir entre les mains des « entreprises bien connectées (du pays), dans le cadre d’un capitalisme de copinage dont les acteurs ne cherchent qu’à engranger un gain rapide aux dépens du bien public », est plus qu’avéré, souligne le rapport. Jean Riachi ne dit pas autre chose. Selon lui, une privatisation des biens de l’État finirait assurément par ne bénéficier qu’aux « kleptocrates, qui se partageront ces biens avec leurs acolytes ».

Aujourd’hui, les conditions requises pour un processus adéquat de privatisation menant à un développement durable n’existent tout simplement pas. Les conditions nécessaires à un processus de privatisation adéquat qui conduirait au développement durable ne sont, pour l’heure, tout simplement pas réunies. Pour qu’elles le soient, il faudrait d’abord que les lois soient correctement appliquées. Le pays devrait également mettre en place un marché des capitaux efficace sur le plan opérationnel. Il faudrait, également, que la justice soit véritablement indépendante pour protéger et attirer de potentiels investisseurs. Aujourd’hui, le système judiciaire libanais, fortement politisé et inefficace, décourage les investisseurs étrangers de développer des activités au Liban.

Autre condition pour un processus de privatisation réussi : il faudrait, selon Jean Riachi, que le pays « change son profil politique ». Malgré l’aggravation de la crise financière au cours des deux dernières années, les dirigeants libanais n’ont lancé, jusqu’à présent, aucune réforme digne de ce nom. Pire : les députés, les banques et la Banque du Liban ont plutôt entravé les réformes. Quant aux pourparlers avec le FMI, ils ont été suspendus après des différends sur l’évaluation de l’ampleur des pertes dans le système bancaire.

L’on est donc loin, aujourd’hui, des conditions politiques, financières et judiciaires pour un processus de privatisation sain.

Cet article a été originellement publié en anglais dans « L’Orient Today » du 28 janvier 2021

Depuis que le Liban a commencé sa dégringolade économique et financière, la valeur des actifs de l’État est au cœur d’une vaste foire aux estimations. En avril dernier, un plan de sauvetage de l’économie libanaise, corédigé par Ziad Hayek, ex-secrétaire général du Haut Conseil pour la privatisation et les partenariats, fixait ainsi la valeur de ces actifs à 24 milliards de...

commentaires (8)

Eviter le modele Russe ou les biens publics ont ete brades au profit des oligarques. Eviter le scenario ou les biens pourraient etre rachetes a bas prix par nos politiciens bien aimes avec notre propre argent: On serait voles 2 fois!

debs nabil

09 h 01, le 31 janvier 2021

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Commentaires (8)

  • Eviter le modele Russe ou les biens publics ont ete brades au profit des oligarques. Eviter le scenario ou les biens pourraient etre rachetes a bas prix par nos politiciens bien aimes avec notre propre argent: On serait voles 2 fois!

    debs nabil

    09 h 01, le 31 janvier 2021

  • Même si l'État vendait pour 100 milliards de dollars, cela ne pouvait en aucun cas résoudre les problèmes. En effet, 75 de ces 100 milliards iraient tout droit dans les poches de nos dirigeants!

    Yves Prevost

    16 h 46, le 30 janvier 2021

  • Projet idiot! C’est comme dépenser les derniers litres d’eau dans le désert à arroser des cactus!

    LeRougeEtLeNoir

    16 h 42, le 30 janvier 2021

  • TANT QU,IL Y A LE HEZBOLLAH, AMAL ET LE CPL AUCUN INVESTISSEUR DE PAR LE MONDE NE RISQUERAIT SON ARGENT AU LIBAN A MOINS D,ACQUERIR DES IMMOBILIERS A DES PRIX DERISOIRES. MAIS LES EPERVIERS DES TROIS PARTIES CI-HAUT MENTIONNEES PREPARENT CERTES DES OFFSHORES OU DES PARAVENTS ET CROYEZ-MOI ILS SERONT LES ACQUEREURS A MOINS QUE L,ETAT LIBANAIS... INEXISTANT... CONFIE LA VENTE DE SES BIENS MOBILIERS A L,ONU QUI Y PROCEDERAIT SUR LE MARCHE INTERNATIONAL. IL FAUDRAIT QUE DARTA-GNAN ET SES ACOLYTES DISPARAISSENT DE LA SCENE POLITIQUE BIEN AVANT.

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 54, le 30 janvier 2021

  • j'ai peut etre rate cette partie de l'expose de m. Kostanian, celle qui mentionnait LA CONDITION SINE QUA NON d'un tel projet ? A QUI FERIONS NOUS CONFIANCE non pas en son elaboration toute Technique, mais dans on application puis dans sa gerance ?

    Gaby SIOUFI

    12 h 31, le 30 janvier 2021

  • Facile d iamaginer un processus de privatisation libanais.....il ressemblerait au systeme russe ou les oligarques mafieux ont recupere les joyaux de la couronne sov ietique.....

    HABIBI FRANCAIS

    11 h 56, le 30 janvier 2021

  • PAS LE SAUVER COMPLETEMENT MAIS LE METTRE SUR DES RAILS PLUS SOLIDES, BIEN SUR.

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 10, le 30 janvier 2021

  • L'arret par les deputés du plan sauvetage du gouvernement Diab est un crime des deputés élus contre les libanais. Pour sauver les actionnaires des banques et les grands deposants, les députés ont arreté le plan et n'ont pas voté la lois sur le controle des capitaux, En echange les banques ont sorti l'argent des deputés. Plan orchestré par Mr. Berri (pour aider les gros deposants chiites africains) et l'ABL Le resultat: le chemin le moins politiquement couteux, et le pire: devaluer la livre. Le libanais paie le prix.

    Mon compte a ete piraté.

    09 h 46, le 30 janvier 2021

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