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Économie - Finances publiques

Les questions que soulève l’avant-projet de budget déposé par Wazni

Le texte souhaite instaurer une taxe ponctuelle de « solidarité nationale » allant de 1 à 2 % sur les comptes bancaires supérieurs à 1 million de dollars ou 1,5 milliard de livres à la date du 31 octobre 2020.

Les questions que soulève l’avant-projet de budget déposé par Wazni

L’avant-projet du budget 2021 affiche de faibles variations concernant les dépenses et les recettes par rapport au budget 2020. Infographie Mark Mansour.

Le ministre sortant des Finances, Ghazi Wazni, a quelque peu surpris cette semaine en annonçant avoir transmis à la présidence du Conseil des ministres l’avant-projet de budget pour 2021. Une transmission qui accuse plusieurs mois de retard sur le calendrier prévu par la Constitution pour l’adoption des lois de finance.L’Orient-Le Jour a pu consulter une copie de ce document de 111 articles répartis sur plus de 1 100 pages – en comptant les annexes – mais une source au ministère des Finances n’a pas pu confirmer s’il s’agissait de la version finale, tout en indiquant que ce n’était pas le ministère qui l’avait fait fuiter. « La question du délai n’est pas le seul problème de forme. On peut aussi regretter le fait que les comptes publics des précédentes années n’aient toujours pas été audités par la Cour des comptes, ou encore le fait que l’avant-projet n’intègre pas de préambule résumant la philosophie générale de ce budget, ainsi que les prévisions – croissance, inflation, etc. (ce qui n’avait déjà pas été le cas en 2020, NDLR) – sur lesquelles il se base », relève l’économiste Jean Tawilé. Selon une source proche du dossier, le préambule aurait été envoyé séparément à la présidence du Conseil des ministres. L’économiste insiste sur l’importance de cette introduction, « surtout dans le climat de crise extrême que traverse le Liban », marqué par une brutale dévaluation de la livre (un peu mois de 9 000 livres pour un dollar, pour une parité officielle artificiellement maintenue à 1 507,5 livres), une crise sociale majeure (le taux de pauvreté dépasse les 50 % selon plusieurs études publiées en 2020) ou les restrictions bancaires qu’endurent les Libanais depuis plus d’un an.

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Selon une source proche du dossier, cet avant-projet présente toutefois « un avantage par rapport aux précédents : il contient moins de cavaliers budgétaires (articles 79 et 109) », c’est-à-dire de dispositions fiscales, économiques ou administratives qui ne devraient pas, en principe, figurer dans une loi de finances. Par ailleurs, certaines mesures interpellent par leur singularité, comme l’article 95 qui octroie un permis de résidence à toute personne achetant un bien immobilier de plus de 350 000 dollars dans Beyrouth, ou 200 000 dollars dans le reste du pays. Une modalité qui pourrait viser à apporter un peu d’oxygène dans le contexte actuel de crise de liquidité.

Augmentation des tarifs d’électricité

L’ébauche de projet de loi pèche également sur le fond, relève l’économiste. Premier problème, le texte ne précise pas quel taux dollar/livre a été pris en compte pour calculer le budget. « Il y a bien des références faites au » taux de change «, mais sans préciser s’il s’agit de celui qui a cours sur le marché parallèle, celui imposé par la Banque du Liban (BDL) aux agents de change agréés (3 900 livres), le taux officiel ou encore le taux flottant qui devrait être mis en place, comme l’a fortement suggéré dans les médias le gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé, la première semaine de janvier », poursuit-il. « Or cette donnée est primordiale : l’article 13 prévoit par exemple de débloquer 1 500 milliards de livres d’avances à EDL pour subventionner ses achats de carburant, un montant équivalent à celui fixé dans le budget de 2020 voté il y a un an. Or sans précision sur le taux de change, il n’y a aucune visibilité sur la valeur réelle de cette enveloppe qui doit servir à financer des importations de carburant, lesquelles ne se payent qu’en devises », souligne Jean Tawilé.

Deuxième carence, certains montants ont été alloués sans explication et en renvoyant à des décisions ultérieures prises par les ministres concernés. « C’est par exemple le cas dans les articles 15 et 16, qui allouent des enveloppes respectives de 150 milliards et de 200 milliards de livres, la première qui sera dépensée en aide sociale, et la seconde dans le cadre de la lutte contre le coronavirus. Mais aucun des deux articles ne fournit de données permettant de savoir comment ces montants ont été calculés, ou encore le nombre de personnes qui seront concernées par les mesures. C’est un véritable problème de discipline budgétaire », s’alarme l’économiste. Cela est aussi le cas pour l’article 17 qui prévoit d’allouer 100 milliards de livres pour la reconstruction des bâtiments endommagés par la double explosion meurtrière au port de Beyrouth du 4 août 2020. Jean Tawilé signale en outre que l’un des articles annonce une augmentation des tarifs de l’électricité, un des points d’orgue de la réforme du secteur exigée par les soutiens du Liban. Une augmentation qui se fera « sur la base d’une proposition du ministre de l’Énergie et de l’Eau », sans plus de précisions.

Secteur bancaire

Le troisième point soulevé par l’économiste concerne plusieurs dispositions visant le secteur bancaire, qui a été profondément affecté par la crise. Il regrette d’abord qu’il n’existe toujours aucun plan de stabilisation de la situation économique et financière, ni de restructuration du secteur bancaire, avant d’introduire certaines mesures visant à augmenter les recettes fiscales. Il souligne ensuite l’introduction de certaines mesures « qui laissent perplexes », comme la hausse à 30 % de l’imposition sur les intérêts perçus sur les dépôts bancaires, dans le cas où ces derniers seraient supérieurs à 3 % pour les dépôts en devises et à 5 % pour ceux en livres (article 36). « Compte tenu de l’effondrement des taux créditeurs depuis le début de la crise, je ne suis pas sûr que cette mesure puisse rapporter grand-chose », s’amuse-t-il. Enfin, l’économiste souligne l’absence de cohérence de l’article 37, qui ambitionne de mettre en place une taxe ponctuelle de « solidarité nationale » allant de 1 à 2 % sur les comptes bancaires enregistrés au Liban à la date du 31 octobre 2020, supérieurs à 1 million de dollars ou à 1,5 milliard de livres. « Cette mesure est d’autant plus déplacée que l’État libanais n’a toujours pas commencé à négocier avec les détenteurs de ses eurobonds (titres de dette en dollars – NDLR) près d’un an après avoir annoncé faire défaut sur sa dette en dollars (en mars 2019) », s’indigne Jean Tawilé, rappelant qu’une partie de ces titres étaient détenus par les banques du pays.

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Où en est la réforme des subventions ?

Enfin parmi les mesures qui auraient nécessité plus d’éléments de contexte au moment d’être introduites, l’article 87 annonce une hausse de la garantie de l’État des dépôts bancaires en livres et en devises qui passerait de 75 millions à 300 millions de livres. Outre le flou qui règne concernant le taux de change à prendre en compte (le remboursement d’un dépôt en devises via cette garantie se faisant en livres) ; le texte précise qu’en cas de faillite de la banque, le client, sauf notamment les actionnaires, les membres du conseil d’administration et les auditeurs, recevra 30 % du montant garanti au comptant, le reste devant être versé soit en plusieurs fois, soit pouvant être converti en bons du Trésor émis par l’État. La garantie ne s’applique pas pour les dépôts dans les banques libanaises à l’étranger. « Il aurait été de bon ton que le ministre donne plus de précisions sur ce point, même dans l’avant-projet, dans la mesure où il est de notoriété publique que le secteur bancaire, lui aussi démoli par la crise, est sans doute à l’aube d’une importante restructuration », fait remarquer Jean Tawilé. Concernant les « nouveaux fonds en devises », déposés à partir de la date de parution de la loi de budget, soit donc les devises déposées en liquide ou provenant d’un transfert depuis l’étranger, ils seront garantis à hauteur de 50 000 dollars, ou leur équivalent en monnaie étrangère.

Faible variation pour les dépenses et les recettes

L’avant-projet du budget estime les dépenses publiques à 18 259 milliards de livres en 2021, sans compter l’achat de fuel pour Électricité du Liban (EDL), contre 18 232 milliards en 2020, soit une augmentation minime de (+0,15 %). Le service de la dette témoigne, lui, d’une grande baisse de (-33,84 %), passant de 4 695 milliards de livres en 2020 à 3 106 milliards en 2021, en raison du défaut sur les eurobonds.

Les recettes, quant à elles, sont anticipées à 13 572 milliards de livres, contre 13 395 milliards de livres l’année passée, soit une augmentation de 1,32 %. Les recettes fiscales dans cet avant-projet devraient augmenter de 5,29 % pour atteindre 10 493 milliards de livres cette année, contre 9 966 milliards en 2020. À noter que les recettes provenant des impôts sur le revenu, les bénéfices des sociétés et les revenus du capital, passent de 4 129 milliards en 2020 à 4 918 milliards en 2021 (+19,11 %). Celles provenant des taxes foncières passent de 837 milliards à 922 milliards (+10,1 %).

Les recettes non fiscales, quant à elles, passent de 3 430 milliards de livres en 2020 à 3 080 milliards en 2021, soit une baisse de 10,2 %. Ceci ramène alors le déficit budgétaire de cette année à 4 687 milliards de livres, en baisse de 3,1 % par rapport à celui de 2020 (4 837 milliards). Le ratio déficit public/dépenses publiques a donc légèrement diminué, passant de 26,5 % l’année passée à 25,7 % cette année.

Par ailleurs, le ministre Ghazi Wazni a indiqué hier avoir donné des instructions pour émettre des bons du Trésor d’une valeur de 200 milliards de livres afin de régler une partie des dus de son ministère à la Caisse nationale de Sécurité sociale (CNSS).

Moody’s conserve sa plus basse notation pour le Liban

C’est sans surprise que Moody’s, l’une des trois principales agences de notation américaines avec Fitch et Standard & Poor’s (S&P), a annoncé mardi avoir maintenu à « C » la notation souveraine du Liban, soit l’échelon le plus bas dans sa grille d’évaluation de la solvabilité des entités qu’elle surveille. L’agence avait dégradé cette note pour la dernière fois en juillet de « Ca », attribuée aux dettes qualifiées « d’ultraspéculatives », à « C », qui suggère généralement un défaut. Pour justifier sa décision, l’agence a considéré que « les pertes subies par les créanciers devraient dépasser les 65 % » à la suite du défaut du Liban sur ses titres de dette en devises – les eurobonds – annoncé par l’exécutif de Hassane Diab en mars 2020, une considération déjà mise en avant en juillet. Soulignant « l’incapacité des institutions et du gouvernement libanais à répondre à la crise socioéconomique et financière » dans laquelle le Liban « macère », Moody’s ne présage aucune amélioration « en l’absence de réformes », condition sine qua non pour un soutien financier extérieur dans l’optique d’une restructuration de la dette publique (94,8 milliards à fin septembre).
Pointant du doigt l’effondrement de la monnaie nationale, qui a perdu 80 % de sa valeur et frôle les 9 000 livres libanaises pour le dollar depuis le début de l’année, bien au-dessus de la parité officielle à 1 507,5 livres pour un dollar, ancrée en 1997, Moody’s estime l’inflation en résultant à 150 % pour l’année 2020, contre 6,9 % en 2019, et projette ce taux à 100 % en 2021. L’agence prévoit également que le ratio dette/PIB sera de 171,3 % cette année, l’évaluant à 214,3 % en 2020, des chiffres quelque peu plus élevés que les estimations de l’agence publiées en septembre dernier (209,7 % à fin 2020 et 167,7 % pour 2021). Enfin, l’agence de notation considère que le PIB réel du Liban (calculé en déduisant l’effet de l’inflation) connaîtra une contraction de 6,6 % en 2021, moindre que celle de 2019 fixée à 6,9 % et celle de 2020 à 25 %. Enfin, Moody’s a noté le ratio du déficit de la balance courante (soit la somme de la balance commerciale, celle des revenus et celle des transferts courants) avec le PIB à -11,8 % en 2020, le projetant à -10,8 % en 2021.
Insistant sur le haut risque d’instabilité sociale au vu de la gravité de la situation économique au Liban, aggravée par la pandémie du coronavirus et l’explosion au port de Beyrouth le 4 août dernier, l’agence américaine avait déjà estimé début janvier, dans un rapport sur l’évolution des perspectives mondiales en matière d’endettement souverain dans le monde, que le Liban afficherait sans doute les pires performances économiques sur le plan régional en 2021, aux côtés de l’Irak. Les deux autres agences de notation n’ont toujours pas modifié leurs évaluations de la notation libanaise qu’elles avaient qualifiées en mars dernier de « défaut sélectif », soit RD (restricted default), par Fitch, et de « SD/SD » (selected default) par S&P.

J.R.B.
Le ministre sortant des Finances, Ghazi Wazni, a quelque peu surpris cette semaine en annonçant avoir transmis à la présidence du Conseil des ministres l’avant-projet de budget pour 2021. Une transmission qui accuse plusieurs mois de retard sur le calendrier prévu par la Constitution pour l’adoption des lois de finance.L’Orient-Le Jour a pu consulter une copie de ce document de 111...

commentaires (8)

n'allez surtout pas arguer de loi, de justice sociale ou autres fadaises : en decidant que la taxe de solidarite sera effective sur les depots a partir d'Oct 2020 ces IGNOBLES ont fait quoi selon vous ? ils ont simplement epargner le deboursement de cette taxe aux VRAIS GROS DEPOSANTS QUI ONT TRANSFERE LEUR POGON HORS DU LIBAN DEPUIS 2018...... BRAVO WAZNI, MILLE MERCI -ya reit j'en faisais partie.

Gaby SIOUFI

11 h 10, le 31 janvier 2021

Tous les commentaires

Commentaires (8)

  • n'allez surtout pas arguer de loi, de justice sociale ou autres fadaises : en decidant que la taxe de solidarite sera effective sur les depots a partir d'Oct 2020 ces IGNOBLES ont fait quoi selon vous ? ils ont simplement epargner le deboursement de cette taxe aux VRAIS GROS DEPOSANTS QUI ONT TRANSFERE LEUR POGON HORS DU LIBAN DEPUIS 2018...... BRAVO WAZNI, MILLE MERCI -ya reit j'en faisais partie.

    Gaby SIOUFI

    11 h 10, le 31 janvier 2021

  • Rapatriez l'argent détourné par les politiciens, les dirigeants des banques, les hauts-fonctionnaires... et nul besoin de taxer le peuple. Il y en aura assurément beaucoup plus que nécessaire... Je rêve!!!

    Christian Samman

    22 h 15, le 28 janvier 2021

  • Des mois et des mois de retard pour produire flous et incertitudes. En gros c'est un projet pour renflouer les caisses en mettant en place des taxes et des prélèvements sur des fonds dont les propriétaires ne peuvent disposer. Il aurait mieux valu commencer par des audits et des enquêtes pour déterminer les causes réelles de l'effondrement de la situation financière du pays (suivez mon regard).

    Robert Malek

    18 h 31, le 28 janvier 2021

  • Il a mis longtemps à réfléchir pour nous pondre ces âneries? Non mais sérieusement qui veut d’un ministre des finances aussi dupe pour croire qu’en sortant des nouvelles lois qui vont à l’encontre de la croissance feront que le pays sera sauvé? Il voit affluer les personnes pour acheter des biens à 350 dollars pour obtenir la nationalité libanaise qui ne seront que des repris de justices et des terroristes. Il est très doué mais il ne faut pas le répéter pour ne pas voir d’autres pays intéressés par ses talents et nous le piquer.

    Sissi zayyat

    18 h 28, le 28 janvier 2021

  • Tout ce que savent faire nos technocrates démissionnaires, c’est d’augmenter les taxes, même un élève de sixième sait faire ça. Ont ils réfléchi un seul instant qu’il faut d’abord réduire les dépenses ou est ce trop intelligent pour eux? En tous cas, ils n’ont pas besoin de prouver une fois de plus leur totale incompétence, ce gouvernement démissionnaire est une catastrophe à ajouter à toutes celles qu’on endure.

    Lecteur excédé par la censure

    15 h 15, le 28 janvier 2021

  • Ils pensent avoir trouvé l'idée de génie, taxes pour la vache à lait que nous sommes et détournement de nos denrées et ressources vers la Syrie, Le diable s'habille en politicien libanais.

    Christine KHALIL

    14 h 15, le 28 janvier 2021

  • Solidaire des voleurs et des criminels?

    Christine KHALIL

    11 h 09, le 28 janvier 2021

  • DES INCOMPETENTS DECIDENT DES ECONOMIES D,UNE VIE DES DEPOSANTS DU PEUPLE LIBANAIS SUR COMMENT LES LUI DEVALISER MEME EN ENTIERS.

    LA LIBRE EXPRESSION

    07 h 44, le 28 janvier 2021

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