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Culture - Initiative

Un clan des six à la rescousse du palais Sursock-Cochrane

La prestigieuse demeure beyrouthine, gravement endommagée par la tragique double explosion du 4 août dernier, sera transformée en musée privé. Parmi les contributeurs à ce projet, RestArt Beirut, une structure philanthropique internationale fraîchement initiée par de jeunes amateurs d’art. Rencontre sur les lieux, avec deux d’entre eux et le maître de céans, pour en savoir plus.

Un clan des six à la rescousse du palais Sursock-Cochrane

Dans le palais, avant et après le 4 août. Photos Ferrante Farranti et Bassam Lahoud

Six mois après la double explosion du port de Beyrouth, le palais Sursock panse lentement ses plaies. L’élégante bâtisse à tourelles, dont la façade avec ses portes et fenêtres claquemurés par des planches porte encore les stigmates de la tragédie, garde néanmoins son allure altière. Dans les jardins, paisibles en ce jour de janvier au ciel traîtreusement bleu, on imagine flotter l’âme des lieux, Lady Yvonne Cochrane, décédée des suites de l’explosion. Elle qui toute sa vie s’est battue pour la pérennité de cette résidence patricienne, ainsi que pour la sensibilisation (des nouvelles générations notamment) à la préservation des quartiers et des bâtiments à caractère historique de Beyrouth*, n’aurait sans doute pas désavoué l’action d’aide internationale de RestArt Beirut. Une structure philanthropique, hébergée par la Fondation Roi Baudouin, créée il y a quatre mois par un groupe de jeunes issus du Liban et de cinq autres pays, pour sauver le palais Sursock-Cochrane ; collecter des fonds pour réparer cette magnifique demeure du XIXe siècle dévastée par le souffle mauvais venu du port le 4 août dernier ; contribuer à sa préservation et à sa transformation en musée privé, en sauvegardant ses collections d’art, son mobilier ancien, ses archives… Tout ce qui, intra-muros, participe à la splendeur de ce fleuron du patrimoine architectural et artistique du Liban. Et raconte l’histoire d’une ville à travers celle de l’une de ses plus prestigieuses familles.

La bibliothèque du palais Sursock-Cochrane avant le 4 août. Photo Ferrante Ferranti

Un projet de longue haleine

Le projet est ambitieux. Les jeunes qui en sont les initiateurs le savent. Cette entreprise de longue haleine va mobiliser une armée de spécialistes, de restaurateurs et d’artisans sur plusieurs années… « Les travaux vont prendre entre quatre et cinq ans », estime Rodrick Cochrane, l’héritier des lieux. Malgré le double choc vécu ce 4 août – « qui s’est répercuté sur ma santé », confie-t-il à demi-mot, ajoutant aussitôt, en vrai (semi-)Britannique : « Mais je vais mieux maintenant » –, il se dit réconforté par la mobilisation qui s’est faite autour de son palais. Depuis l’aide des premiers jours apportée par de jeunes Libanais venus spontanément déblayer les gravats, en passant par diverses contributions dont celle, importante, de la Beirut Heritage Initiative qui s’occupe de la réparation architecturale de la bâtisse, des entreprises Naggiar qui ont rapidement et gracieusement réinstallé la tôle de la toiture, aux actions d’autres amis historiques de la maison dont il égrène les noms mais qu’il est difficile de tous citer équitablement dans ces lignes…

La bibliothèque du palais Sursock-Cochrane après le 4 août. Photo Bassam Lahoud

Diverses initiatives d’aide auxquelles est venue s’ajouter celle de RestArt, une organisation non gouvernementale créée par un groupe de jeunes spécialistes et d’amateurs d’art (membres du European Network of Young Opera Friends) sensibilisés par Joseph el-Hayeck (l’un d’entre eux) à la tragédie de la capitale libanaise. Et qui a choisi de se concentrer très précisément sur la sauvegarde de tous les biens et objets de valeur endommagés se trouvant à l’intérieur de ce palais.

Un coup de fil d’Anne-Marie Afeiche

L’idée est née il y a quatre mois, suite à un coup de fil d’Anne-Marie Afeiche (conservatrice du Musée national de Beyrouth et directrice des musées du Liban) à Joseph el-Hayeck (ex-chargé du protocole à l’ambassade de Grande-Bretagne, actuellement en poste à l’ambassade des Pays-Bas) lui faisant part de la situation difficile du palais Sursock. Le jeune Libanais bat aussitôt le rappel de ses amis à travers le monde, dont l’experte en conservation franco-suisse Marie-Ève Didier. « Lors d’un passage d’Anne-Marie Afeiche à Lausanne, j’ai mis en contact les deux femmes. Et c’est à partir de cette rencontre que s’est développée l’idée de créer un fonds de soutien au patrimoine artistique de Beyrouth. Avec pour première mission la sauvegarde des collections du palais Sursock », indique Joseph el-Hayeck.

Le palais Sursock-Cochrane, l’un des plus beaux vestiges de l’âge d’or du Liban. Photo DR

Souci de crédibilité et de transparence

Docteure en physique, diplômée de Polytechnique et spécialisée dans le « développement de méthodes pour la conservation et la préservation des œuvres d’art », Marie-Ève Didier, qui connaissait déjà le Liban pour avoir assisté à plusieurs reprises aux concerts des Festivals d’al-Bustan et de Baalbeck, a immédiatement adhéré à ce projet, mettant ses compétences et son réseau totalement à disponibilité. « C’est la cinquième fois que je viens à Beyrouth. Cette fois le séjour est différent, entièrement motivé par un fort désir d’aider », indique la jeune femme. Et d’ajouter : « Car nous avons tous été, bien sûr, choqués par les terribles pertes en vies humaines et les souffrances dont nous avons été témoins après l’explosion. Mais alors que l’urgence humanitaire était naturellement ce sur quoi tout le monde se concentrait, nous avons réalisé qu’il y avait une autre urgence moins visible, celle de la sauvegarde des biens culturels et artistiques que recèlent les demeures endommagées de Beyrouth, dont le palais Sursock est l’une des plus emblématiques. C’est donc naturellement qu’il est devenu le projet phare de RestART Beirut. »

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Une fois la structure philanthropique constituée (avec les quatre autres membres présentés dans le cadre ci-dessous) et placée sous l’égide de la Fondation Roi Baudouin – « par souci de crédibilité, de transparence et de non territorialité des dons », précise Joseph el-Hayeck –, la première campagne de financement a été lancée en décembre 2020. Consacrés « à la réalisation d’un inventaire, d’une évaluation des dommages engendrés par l’explosion sur les collections du palais et des travaux de réparations urgentes des pièces les plus fragiles », les premiers dons seront suivis d’autres levées de fonds programmées de manière continue. « Elles seront liées à l’établissement de devis précis pour les différents travaux qui seront réalisés », insiste le duo à l’origine du projet. Signalant aussi que le travail sera essentiellement fait par des spécialistes, artistes, architectes, restaurateurs et artisans libanais. Le recours à des experts étrangers ne se fera que pour suppléer les cas de spécialités manquantes sur place. « Ce sera le cas d’Olivier Ibanez du Mobilier national dont l’expertise est nécessaire et qui devrait venir à Beyrouth en février ou mars si la situation le permet », indique Mar-Ève Didier. Elle évoque également « la constitution d’ateliers de formation aux techniques et pratiques de la conservation et de la diffusion artistique, via des échanges académiques avec des établissements spécialisés suisses notamment ».

Les grands halls du palais Sursock-Cochrane avant le désastre et post 4 août. Photos Ferrante Ferranti et Bassam Lahoud


Quelque 6 millions de dollars

Le montant global de l’opération de réhabilitation se chiffrant, selon les premières estimations, à quelques 6 millions de dollars, la mission de RestArt Beirut consiste donc à assurer les fonds nécessaires ainsi que les expertises les plus pointues adaptées à la préservation des diverses collections artistiques, mobilières, archéologiques de niveau muséal qu’abrite la somptueuse demeure des Sursock. Une demeure riche en objets précieux, mêlant les styles européen et oriental, rassemblés au fil des passions et des intérêts des différents membres de cette lignée. Depuis celui qui en est l’édificateur, Moussa Sursock, l’arrière-grand-père maternel de l’actuel propriétaire « qui avait, par exemple, commandé le mobilier orientalisant chez Krieger à Paris », signale ce dernier, jusqu’à Lady Yvonne qui s’attachera à en préserver l’âme, élégante, insufflée par son propre père, Alfred Sursock. « Lequel, en véritable esthète et mécène, va notamment acquérir, avec son épouse Donna Maria Serra di Cassano, issue d’une grande famille napolitaine, des meubles napolitains du XVIIIe siècle, des porcelaines rares de Meissen, des tapisseries flamandes exécutées au XVIIe siècle sur des cartons attribués à Gerard Van der Strecken et Jan Van Leefdael ainsi qu’une collection de tableaux de grands maîtres européens, dont des toiles signées Jusepe de Ribera ou encore Artemisia Gentileschi, redécouverte par les musées européens et très en vogue actuellement », raconte Rodrick Cochrane. Avant d’évoquer aussi une multitude d’objets plus prosaïques dont l’ancienneté donne valeur de témoignage sur toute une époque. Autant de raisons de transformer cette prestigieuse demeure érigée au XIXe siècle par un riche commerçant libanais en musée privée qui racontera l’histoire d’un âge d’or et d’élégance au pays du Cèdre.

Ce musée que l’héritier des lieux avait déjà envisagé bien avant la tragédie de l’été 2020, lui qui ouvrait facilement les portes de son immense résidence aux véritables curieux d’art et d’histoire (à ne pas confondre avec les évènements mondains qui avaient lieux dans ses jardins) n’est plus une option désormais, mais le seul moyen permettant d’obtenir des financements institutionnalisés pour restaurer et réparer les dégâts et destructions du 4 août. « À vrai dire, j’en suis ravi », affirme Rodrick Cochrane qui y trouve, là, la meilleure manière d’assurer la pérennité de son palais. Un palais dont il se plaît à imaginer les activités dans cinq ans : concerts, expositions, ateliers de création, de céramique… Plus qu’un simple musée historique, un centre de culture et de diffusion artistique donc, bruissant de visiteurs et de vie retrouvée. « Si tout se passe sans problèmes », ajoute-t-il dans un murmure…

*Elle a fondé, en 1960, l’Association pour la protection et la sauvegarde des sites et anciennes demeures (Apsad), avec Camille Aboussouan et Assem Salam.

Membres fondateurs de RestArt Beirut

Outre l’experte en conservation Marie-Ève Didier et Joseph el-Hayeck, qui s’occupe du volet événementiel, le comité fondateur de RestArt Beirut est composé de quatre jeunes membres bien décidés à voler au secours du palais Sursock en mettant leurs diverses compétences et réseaux au service de sa cause. Il s’agit du financier Alexandru Dramu ; de Didier Goossens, directeur de la communication au Fond National de recherches du Luxembourg ; de Laurent Lise-Cabasset, architecte, spécialisé dans les projets culturels mixtes (ex-Wilmotte et Associés) ; et de Pierre-Henri Ollier, juriste, expert en philanthropie et mécénat. Et c’est Anne-Marie Afeiche, à l’origine de cette initiative, qui est à la tête du comité scientifique, réunissant des spécialistes et des experts libanais et internationaux dans les différents domaines de la restauration et de la conservation artistique.

Enfin, un cercle d’ambassadeurs de RestArt Beyrouth issus du monde du luxe et de la finance est également en cours de constitution, pour porter à l’international la cause de la réhabilitation du palais Sursock-Cochrane.

Six mois après la double explosion du port de Beyrouth, le palais Sursock panse lentement ses plaies. L’élégante bâtisse à tourelles, dont la façade avec ses portes et fenêtres claquemurés par des planches porte encore les stigmates de la tragédie, garde néanmoins son allure altière. Dans les jardins, paisibles en ce jour de janvier au ciel traîtreusement bleu, on imagine flotter...

commentaires (1)

Outre le désastre de la capitale Socialement, humainement, économiquement voilà aussi le désastre "culturel et historique" d'une petite ville, petite capitale au grand coeur qui s'appelle Beyrouth. Espérons pour le mieux.

LE FRANCOPHONE

12 h 40, le 18 janvier 2021

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Commentaires (1)

  • Outre le désastre de la capitale Socialement, humainement, économiquement voilà aussi le désastre "culturel et historique" d'une petite ville, petite capitale au grand coeur qui s'appelle Beyrouth. Espérons pour le mieux.

    LE FRANCOPHONE

    12 h 40, le 18 janvier 2021

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