Rechercher
Rechercher

Lifestyle - La Mode

Amine Jreissaty : Vivant chez soi plutôt qu’en sécurité au loin

Contre vents et marées, la nouvelle collection de Boyfriend the Brand vient de sortir, sous la direction artistique d’Amine Jreissaty. Voilà trois ans et sept saisons que le styliste vedette, orchestrateur des shootings de presque tous les magazines de mode de la région, s’est lancé dans la création en solo. Une révolution et une explosion plus tard, rien ne semble l’arrêter.

Amine Jreissaty : Vivant chez soi plutôt qu’en sécurité au loin

Collection « Sajeen » de Boyfriend the Brand. Photo DR

Il l’a longtemps porté en bandoulière, ce bras abîmé par la double explosion du 4 août survenue au port de Beyrouth, pas loin de son showroom. Le bras, pas le cœur. Amine Jreissaty n’est pas homme à s’apitoyer sur lui-même. Il prend tout au sérieux, le travail comme la fête, et aborde les obstacles de manière frontale, sans états d’âme. « Le 4 août fut pour moi, comme pour beaucoup, un tournant brutal. Cette catastrophe aura amené à ma vie beaucoup de changements, négatifs et positifs. C’est comme avoir remis les compteurs à zéro. Il faut tout refaire... L’appréhension et la perte de repère étaient très pesantes. Elles le sont toujours d’ailleurs », confie-t-il sobrement.

Infiniment douloureuse et déstabilisante, la « catastrophe », comme il dit, soulève en lui d’incessantes interrogations : « Mon travail et ma passion ont-ils encore une place dans ce pays ? Réinvestir dans ce pays qui m’a tout repris en vaut-il la peine ? En ce qui concerne ma vie personnelle, ne serais-je pas mieux ailleurs ? » Par chance, il a encore l’âge de recommencer à zéro, reconstruire ce qui a été détruit, et d’abord son édifice mental. Mais il a cette réponse magnifique de panache, et peut-être d’évidence : « Je préfère me sentir vivant chez moi plutôt qu’en sécurité loin de chez moi. »

Collection « Sajeen » de Boyfriend the Brand. Photo DR

Tout est parti d’une capsule

Il y a quelques années, une séance de photos de mode dirigée par Amine Jreissaty était un spectacle en soi. Une sorte de cérémonie où, en officiant incontesté, il mettait en branle une infaillible intelligence visuelle, repérant sans hésitation le détail qui cloche, ajoutant ici ou là le contrepoint qui fait mouche, parfois une touche insignifiante qui rehausse l’ensemble comme par magie. Son sens critique portait à croire qu’il était fait pour ce métier et ce métier pour lui. Styliste, inventeur d’allures, magnifiant d’atmosphères, conteur d’histoires visuelles qui se passent de narrations.

Vint le jour où 6:05, un espace multimarques conceptuel qui donnait régulièrement, à 18h5, une petite fête de rue animée par les DJ les plus en vue du moment, fait appel à des créateurs pour concevoir des capsules. Amine Jreissaty se dit « pourquoi pas ? » et crée une petite ligne unisexe en denim, ce matériau qu’Yves Saint Laurent regrettait de ne pas avoir inventé. Rapidement, son vocabulaire stylistique décliné en une série de chemises, vareuses, sahariennes et sarouels, le tout souligné d’un simple jeu de brassards qui permet de modifier longueurs et volumes, connaît un franc succès. Se lancera-t-il dans la création, après avoir consacré dix années de sa vie à l’interprétation du travail des autres ? « Je n’ai jamais eu dans mes plans l’idée de lancer mon propre label. Mais je crois fermement au timing des choses dans la vie. Après 10 ans de stylisme, l’opportunité de créer une capsule s’est offerte à moi. Comme un surfeur et sa vague. J’ai pris la vague. Et d’une capsule, j’ai fait une marque », raconte le pragmatique esthète dont l’identité se révèle dès le lancement de son projet.

Amine Jreissaty, créateur de Boyfriend the Brand. Photo DR

Fluidité, confort, simplicité

Avec une certitude qui se passe d’audace, il crée des pièces intemporelles, son idée du basique chic qu’il accommode selon sa vision : « Tout comme le denim, qui a été mon projet de départ, la chemise et la vareuse sont indémodables. Le sarouel rappelle l’origine de la marque. Le brassard, que j’appelle maintenant sleeves-up, apporte une touche précise de modernité et d’utilité pratique. J’essaie de mettre en pratique des pièces qu’on connaît, qui marchent facilement et qui sont désirables, tout en restant modernes », affirme le créateur. « Une sélection de pièces qui veulent dire quelque chose, qui sont pertinentes et qui vous suivront sur cette route incertaine » : ainsi se définit Boyfriend the Brand, un label basé sur la fluidité des genres, le confort et une élégante simplicité.

Sa décision prise, Jreissaty s’engage et s’implique. En trois ans, sa jeune marque et son showroom ouvert en octobre 2019, au seuil de la révolution, vont connaître un véritable parcours du combattant : « D’octobre 2017 à mars 2019, la marque était sous le parrainage du concept store 6:05. J’en ai repris le contrôle en mars 2019, après ma participation à Fashion Trust Arabia. J’ai par la suite ouvert mon showroom le 17 octobre 2019, en espérant enfin consacrer au label le temps et l’énergie qu’il mérite, dans un espace en propre. Mais c’est à partir de là que se sont enchaînés les obstacles : la révolution le jour même de l’ouverture, suivie par la crise économique et financière, l’hyperinflation, le Covid-19 et la double explosion. Mais Boyfriend n’arrêtera pas son parcours », affirme-t-il.

Pour mémoire

L’édition 2021 de Fashion Trust Arabia dans les starting-blocks

Lui qui raconte avoir puisé sa passion pour la mode à l’ombre d’une mère qui s’habillait en Mugler dans les années 1980 et d’un père dont certains costumes étaient taillés sur mesure « dans des matières de rêve » voit désormais la mode évoluer rapidement vers une tendance « plus consciente, écologique et inclusive, moins consumériste, orientée vers davantage de confort, moins de contraintes ».

« Sajeen », un sentimentqui nous colle à l’âme

Pour en revenir à la nouvelle collection Boyfriend, officiellement lancée cette semaine, et qui porte ce nom oppressant : Sajeen, Amine Jreissaty précise qu’elle s’inspire d’une chanson obsessionnelle qui a envahi le paysage de Beyrouth au lendemain de l’explosion : Wahiet elli rahou (« Par la vie de ceux qui sont partis »), écrite par Mansour Rahbani et chantée par Houda, la sœur de Feyrouz. Le dernier mot de cet hymne du deuil est sajeen (prisonnier), un sentiment qui colle à l’âme de tout Libanais aujourd’hui. Le créateur y fait appel à tout le savoir-faire local. Quant à la palette, « elle correspond à une image qui ne quittera jamais ma mémoire, dit-il : cette image du 4 août. Cette tonne de fumée et de flammes, des nuances de brique, bordeaux, de gris poussière et de noir charbon, sans oublier les quelques touches de ce ciel bleu qui finira rose. La palette correspond à notre dure réalité ». « Si 2020 nous a appris quelque chose, c’est de ne plus rien envisager ! Je vais prendre le temps de continuer, minutieusement, en espérant arriver à la liberté. Comme un prisonnier qui attend son acquittement », commente-t-il pour finir.

Collection disponible sur : http://www.boyfriendthebrand.com

Il l’a longtemps porté en bandoulière, ce bras abîmé par la double explosion du 4 août survenue au port de Beyrouth, pas loin de son showroom. Le bras, pas le cœur. Amine Jreissaty n’est pas homme à s’apitoyer sur lui-même. Il prend tout au sérieux, le travail comme la fête, et aborde les obstacles de manière frontale, sans états d’âme. « Le 4 août fut pour moi, comme...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut