Le Hezbollah a réagi vendredi à l'inculpation prononcée la veille par le juge d'instruction près la Cour de Justice, Fadi Sawan, contre le Premier ministre libanais démissionnaire Hassane Diab et trois anciens ministres dans l'enquête sur l'explosion au port de Beyrouth, qualifiant celle-ci de "ciblage politique". Quant au Premier ministre désigné, Saad Hariri, il a exprimé son soutien au chef du gouvernement sortant, plusieurs autres figures sunnites faisant de même.
"Nous réaffirmons notre soutien total à l'enquête judiciaire impartiale et transparente sur l'explosion effroyable au port pour dévoiler tous les responsables du drame quels qu'ils soient, et de les juger en leur infligeant les peines les plus sévères afin que justice soit faite", a d'abord souligné le parti chiite dans un communiqué publié vendredi matin. Le Hezbollah a également rappelé que "le peuple libanais a le droit de connaître la vérité sur ce crime, en commençant par l'arrivée du navire transportant les matières explosives au port, puis par l'identité du propriétaire de cette marchandise et la destination finale de la cargaison, ainsi que les raisons de son stockage au port durant des années, pour enfin aboutir aux raisons de l'explosion et connaître l'identité des responsables".
"Retarder l'enquête"
Le parti pro-iranien a ensuite insisté sur "la nécessité de ne pas noyer l'enquête dans les méandres des procédures administratives et des complications routinières, ainsi que les litiges juridiques qui feraient disparaître les indices et la vérité, laissant place aux soupçons infondés et aux accusations sans preuves, de sorte que l'enquête se perde dans la jungle politique et le jeu de la rue".
La formation dirigée par Hassan Nasrallah a enfin appelé à ce que "les mesures prises par le juge d'instruction soient tenues à l'écart de la politique et conformes à la Constitution de sorte à ne pas pouvoir faire l'objet d'interprétation". "L'accusation doit se faire sur des bases logiques et légales, mais cela n'a pas été le cas dernièrement. C'est pourquoi nous refusons catégoriquement l'absence de critères unifiés qui a abouti à ce que nous considérons être un ciblage politique qui a touché certaines personnalités tout en épargnant d'autres (…). Cela va malheureusement retarder l'enquête", a prévenu le parti chiite.
Le procureur général près la Cour de justice, Fady Sawan, en charge de l'enquête sur la double explosion dévastatrice du 4 août au port de Beyrouth, a inculpé jeudi le Premier ministre démissionnaire et trois anciens ministres pour négligence. Il s'agit des premières inculpations de responsables politiques annoncées quatre mois après le drame qui a fait plus de 200 morts et 6.500 blessés, et détruit le port et plusieurs quartiers de la capitale. Selon une source judiciaire qui a requis l'anonymat citée par l'AFP, M. Diab ainsi que l'ancien ministre des Finances, Ali Hassan Khalil, et les anciens ministres des Travaux publics Youssef Fenianos et Ghazi Zeaïter ont été inculpés pour "négligence et pour avoir provoqué la mort et des nuisances à des centaines de personnes". M. Diab est considéré par ses détracteurs comme proche du Hezbollah, alors que les ministres Ali Hassan Khalil, Youssef Fenianos et Ghazi Zeaïter, sont tous alliés au parti chiite. C'est la première fois qu'un Premier ministre est inculpé dans le cadre de ses fonctions au Liban. Dans un bref communiqué, Hassane Diab s'est dit jeudi "étonné" de cette inculpation qui, "au-delà de la personne, vise un poste" (de Premier ministre). Il a également affirmé avoir "la conscience tranquille" concernant la façon dont il a traité "de manière transparente et responsable" le dossier de la double explosion au port.
Réagissant aux critiques de la présidence du gouvernement, le Conseil supérieur de la magistrature a défendu la décision du juge Sawan, prise selon lui dans le respect des usages juridiques et scientifiques requis dans ce genre de crimes et à l’issue d’une enquête menée "avec minutie et prudence". Reste que deux des inculpés étant des députés, la justice devrait en principe, en vertu de l’article 40 de la Constitution, demander à la Chambre la levée de leur immunité parlementaire avant de les interroger. Or le juge Sawan a fixé d’ores et déjà au début de la semaine prochaine leur interrogatoire.
Soutien de Hariri, Deriane et Salam
Signe de la tournure confessionnelle qu'a pris cette question, le Premier ministre désigné, Saad Hariri, le mufti de la République, le cheikh Abdellatif Deriane, ainsi que les anciens Premiers ministres Tammam Salam et Fouad Siniora, tous des figures sunnites, ont exprimé leur soutien à M. Diab vendredi.
"Je suis venu au siège de la présidence du Conseil pour exprimer mon refus catégorique de l'atteinte flagrante à la Constitution commise par le juge qui a inculpé le Premier ministre", a affirmé M. Hariri à l'issue de son entretien avec M. Diab. "La Constitution est claire. Les Premiers ministres comparaissent uniquement devant un tribunal spécial formé par le Parlement. La présidence du Conseil n'est pas là pour faire l'objet de chantage. Cela est rejeté et nous ne l'acceptons pas. Les proches des martyrs ont le droit de connaître la vérité, de savoir qui a laissé entrer ce navire et qui lui a accordé une couverture", a-t-il ajouté. "Violer la Constitution et poursuivre la présidence du Conseil est refusé. Je suis venu pour me tenir au côté du Premier ministre et lui exprimer ma solidarité", a conclu Saad Hariri.
"Poursuivre la présidence du Conseil constitue une atteinte politique inacceptable et une violation de la Constitution et de la loi sur le jugement des anciens présidents et ministres (...)", a estimé pour sa part le mufti Deriane, dénonçant "un règlement de comptes politiques". "Tout le monde est responsable de ce drame (...)", a ajouté le dignitaire sunnite, qui a appelé dans la journée M. Diab afin de l'assurer de sa solidarité. "La présidence du Conseil n'est le défouloir de personne", a écrit de son côté sur Twitter l'ex-Premier ministre Tammam Salam.
"Partial"
Quant à l'ancien ministre des Travaux publics et député Ghazi Zeaïter, il s'est défendu vendredi lors d'une conférence de presse, affirmant que le juge Sawan a "outrepassé ses prérogatives". "Le juge d'instruction près la Cour de justice, Fadi Sawan, a outrepassé ses prérogatives et s'est adressé au Parlement en affirmant qu'il y avait des soupçons sur les ministres des Travaux et des Finances. Il s'est montré partial dans sa prise de position et a violé la Constitution". "Il n'y a aucun document qui atteste que j'étais au courant de la présence du navire. Même un memorandum de l'ambassade russe ne mentionne pas la présence de matières dangereuses", s'est défendu Ghazi Zeaïter. "Honte à une justice dont est membre le juge Fadi Sawan. Nous ne nous tairons pas et nous ne répondrons pas aux agendas politiques", a conclu le député.
Le courant des Marada, dont est membre Youssef Fenianos, a de son côté qualifié les inculpations d'"injustes et infondées", estimant que cette accusation sert des "objectifs politiques".
Le chef druze Walid Joumblatt a, par contre, appelé à ce que "l'enquête sur l'explosion au port englobe tout le monde sans exception". "L'enquête ne peut pas s'arrêter face à des obstacles constitutionnels ou confessionnels, a-t-il affirmé dans un tweet. Souvenez-vous que nous avons réclamé une commission internationale d'enquête sur l'explosion au port".
Le 4 août, une déflagration au port de Beyrouth, déclenchée par un incendie dans un entrepôt abritant depuis des années plusieurs tonnes de nitrate d'ammonium stockées sans précaution a fait plus de 200 morts et 6.500 blessés. Elle a détruit le port et de nombreux quartiers de Beyrouth. M. Diab a démissionné quelques jours après le drame sous la pression de la rue, mais il continue aujourd'hui de gérer les affaires courantes en attendant la formation d'un nouveau gouvernement. A travers ce drame, une grande partie de l'opinion publique a pointé du doigt les dirigeants et les hommes politiques, quasi-inchangés depuis des décennies et accusés de corruption et d'incompétence. Le 4 décembre, le Hezbollah avait annoncé qu'il engageait des poursuites judiciaires à l'encontre de l'ex-député Farès Souhaid et des Forces libanaises de Samir Geagea qui l'ont accusé d'être responsable de l'explosion.
commentaires (25)
Le mollasson du sérail est solidaire du premier technocrate démissionnaire ... fantastique. Et ils se prennent tous les deux au sérieux pensant qu’ils sont deux personnalités très importantes, alors que ce sont tout simplement des incompétents (pour rester politiquement correct, je n’utiliserai pas d’autres adjectifs, ainsi mes compatriotes lecteurs pourront foisonner d’imagination pour leur trouver les vrais qualificatifs qu’ils méritent)
Lecteur excédé par la censure
09 h 41, le 12 décembre 2020