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La Consolidation de la paix au Liban - Décembre 2020

Les sites urbains vacants : une opportunité pour aménager l'espace public en temps de crise et d'austérité

Dana Mazraani

Architecte-Urbaniste, Coordinatrice des recherches au Beirut Urban Lab de l'Université américaine de Beyrouth

En mars 2020, les autorités libanaises ont fermé les parcs et les jardins publics, parmi d’autres mesures prises pour réduire le risque de transmission du Covid-19. Ces lieux n’ont été réouverts que trois mois plus tard, en même temps que les garderies, les pubs, les boîtes de nuit et les centres de sport. Cette association faite entre les espaces publics ouverts et les lieux de rassemblement fermés devrait être remise en question.

En raison du rôle vital qu’ils ont dans les villes, les espaces publics ouverts devaient être les premiers à rouvrir au public, à condition bien entendu que la distanciation physique y soit respectée. En effet, ces lieux revêtent une importance capitale parce qu’ils favorisent tout à la fois, l’amélioration de la santé physique et mentale, l’interaction sociale et le développement économique. Ils contribuent aussi à forger une citoyenneté urbaine inclusive. Après l’explosion au port de Beyrouth, le 4 août dernier, les sites inoccupés et les bâtiments abandonnés ont joué un rôle fondamental dans la gestion urgente de la crise, du fait qu’ils aient servi de bases pour l’organisation des secours, la mobilisation et les rassemblements.

Beyrouth est une ville à forte densité démographique caractérisée par une urbanisation galopante, dans laquelle les espaces publics sont peu nombreux et mal gérés. La ville compte en tout 21 parcs et jardins publics sur une superficie totale assurant moins d’un mètre carré d’espace vert par habitant, une corniche maritime et quelques plages encore accessibles au public.

Étant donné les crises socio-économique et politique qui affectent le Liban, il est impossible pour le moment de mettre en œuvre des projets de grande envergure. Néanmoins, en notre qualité d’urbanistes conscients de l'importance cruciale des espaces publics verts, ouverts et inclusifs, nous sommes tenus de promouvoir leur présence dans la ville et de travailler sur les sites encore disponibles plutôt que de se focaliser sur ceux qui devraient exister.

Dans une ville qui donne la priorité au bien-être de ses habitants, les municipalités devraient, non seulement, être les promotrices du changement urbain, mais aussi faire du lobbying afin de dynamiser la vie publique. Les municipalités sont dotées de prérogatives légales leurs permettant d’élaborer des stratégies urbaines à l'échelle de la ville ainsi que des plans de quartier qui peuvent encourager les habitants à améliorer leur environnement bâti. La mobilité doit jouer un rôle pivot dans ces stratégies, pour relier les espaces publics formels existants entre eux, mais aussi les relier aux terrains non constructibles ou vacants, aux locaux abandonnés et aux sites culturels et civiques, de sorte que le tout forme un réseau d'espaces communs ouverts qui desservent et connectent entre eux plusieurs quartiers. Un tel réseau peut favoriser le sentiment d’appartenance à la ville et d’appropriation collective, voire améliorer l'inclusion.

Si la municipalité de Beyrouth reprenait à son compte ces priorités, la vie publique dans la capitale se développerait. Elle permettrait surtout à ses habitants de respirer et leur offrirait un moment de répit face aux défis de la vie de tous les jours. Cependant, en l’absence d'une municipalité responsable, c’est aux activistes urbains de continuer à militer pour une amélioration de la qualité de vie dans la ville. Les quatre recommandations présentées ci-dessous proposent des moyens pragmatiques d’intervention qui peuvent être mis en œuvre plus ou moins facilement, grâce à des partenariats avec le secteur privé et avec des groupes de la société civile, à l'instar des partenariats qui ont déjà été établis dans différents quartiers, mais de manière non coordonnée, comme à titre d’exemple, l’organisation de marchés, de souks temporaires et de jardinage urbain.

Premièrement, les espaces publics existants doivent rouvrir et être réaménagés au besoin et le projet de parc côtier de Zaytouna Bay doit être implémenté. Deuxièmement, les espaces publics intérieurs, tels que la bibliothèque nationale et les bibliothèques municipales (où le visiteur n'est pas forcément un consommateur) devraient être accessibles à tous. Troisièmement, les rues doivent être réaménagées de manière à accorder la priorité aux piétons. Durant le confinement imposé à cause de la pandémie du Covid-19, de nombreuses personnes se sont mises à faire du vélo ou de la marche à Beyrouth, opérant ainsi une transformation très agréable d’une ville où l’usage des voitures domine. Le développement de la mobilité douce ne peut être possible qu’à travers la mise en place de mesures simples et financièrement abordables ainsi que l’utilisation d’outils d’urbanisme tactique.

Quatrièmement, et c’est peut-être là le point le plus important, l’occupation des sites urbains vacants (publics et privés, construits et non construits), à titre provisoire ou à long terme, en vue d’un usage commun et partagé, serait une adoption appropriée. Sur ces sites, des interactions et des pratiques sociales, planifiées ou pas, peuvent se développer. Aujourd'hui, pour des raisons multiples, notamment la marchandisation des terrains et les normes de construction qui favorisent la spéculation immobilière, la Ville de Beyrouth possède à son actif un grand nombre de parcelles inoccupées.

Une étude que nous conduisons depuis l’été 2019 au Beirut Urban Lab de l’AUB révèle la présence de 932 parcelles de terrains publics vacants dans l’actif de la Ville de Beyrouth, totalisant une superficie de 210 000 m².

La valeur des sites urbains vacants réside dans leur flexibilité. Contrairement aux espaces publics formels, les terrains inoccupés en ville sont des « espaces libres », encourageant l’organisation d’activités spontanées et créatives comme l’aménagement de terrains de jeux en plein air, la tenue de rassemblements sociaux ou le développement d’une agriculture urbaine. Parallèlement à leur valeur sociale, ces sites peuvent contribuer à répondre à des besoins écologiques, s’ils sont exploités avec un système d’infrastructures vertes.

L’élaboration de modalités inclusives pour l’utilisation et la gestion de terrains inoccupés permet d’augmenter sensiblement le nombre d'espaces ouverts et leur variété dans les villes densément peuplées. Plus encore, les terrains inoccupés peuvent s’avérer particulièrement importants en période de crise économique et d’incertitude. En effet, ils ne nécessitent pas trop d'investissements ou d'entretien. Ils peuvent être gérés de manière collective et à titre provisoire, générant des résultats rapides. Au niveau de la programmation, de telles initiatives lancées au niveau des sites vacants peuvent répondre aux besoins des habitants de ces quartiers, variant de l’infrastructure à l'agriculture et générant ainsi un sentiment d'appropriation collective.

Avant l’explosion au port, certains groupes avaient tenté de lancer des initiatives à diverses échelles et dans différents buts. Par exemple, un projet de reboisement était en voie d’exécution sur un site vacant longeant le fleuve de Beyrouth ; une projection de films en plein air était organisée pour des enfants dans une impasse à Jeïtaoui ; un petit jardin municipal voué à l’abandon à Caracas a été nettoyé… ; un petit jardin municipal voué à l’abandon à Caracas a été nettoyé…

Après l’explosion, plusieurs espaces ouverts se sont transformés en lieux de soutien collectif et en bases de secours destinés aux personnes en besoin. Telle a été à titre d’exemple, la fonction du jardin public de Jeïtaoui qui s’est instaurée de façon tout à fait spontanée mettant ainsi en relief l’intégration de ce lieu fréquenté par les habitants du quartier dans le tissu urbain. Le site d’une station-service abandonnée à Jeïtaoui a été également occupé par un collectif local (“Nation Station”) qui en a fait une base de distribution de denrées alimentaires et d’autres aides.

Contre toute attente, il est ainsi apparu à quel point les pratiques socio-spatiales jouent encore un rôle essentiel à Beyrouth. Cela s’est d’ailleurs manifesté, quoique de façon éphémère, dans les quartiers affectés par l’explosion, sachant que les habitants n’avaient pas encore tous regagné leurs foyers. Nous l’avons vu également avec les voisins installés sur des chaises en plastique devant des épiceries, avec les petits commerces implantés des quartiers dont les propriétaires saluaient les passants qu’ils connaissaient, les résidents qui sirotaient leur café turc au balcon en observant les travaux de reconstruction et les enfants qui jouaient au football dans des parkings vides. Tous ces exemples montrent comment les gens se réapproprient peu à peu leurs quartiers et leurs espaces communs.

Il est évident que l’occupation des sites urbains vacants ne corrigera pas les causes des inégalités systémiques, mais de telles interventions restent pertinentes pour la vie publique urbaine. Alors que le Liban fait face à de nombreuses crises et que les difficultés auxquelles son peuple fait face s’accentuent de jour en jour, des actions solidaires restent absolument nécessaires. Des espaces où les gens ont la possibilité de se rencontrer et d’établir des liens peuvent ainsi jouer un rôle fondamental dans le développement de cette solidarité. En effet, les parcelles vacantes permettent l'émergence d’aires de jeux, de banques alimentaires et d’infrastructures de base, et où de nouvelles formes de vie collective peuvent être expérimentées.

Références:

1. http://beiruturbanlab.com/en/Details/619/vacancy-as-opportunity-re-activating-public-life-in-beirut

2. http://beiruturbanlab.com/en/Details/619/vacancy-as-opportunity-re-activating-public-life-in-beirut

Dana Mazraani Architecte-Urbaniste, Coordinatrice des recherches au Beirut Urban Lab de l'Université américaine de BeyrouthEn mars 2020, les autorités libanaises ont fermé les parcs et les jardins publics, parmi d’autres mesures prises pour réduire le risque de transmission du Covid-19. Ces lieux n’ont été réouverts que trois mois plus tard, en même temps que les garderies, les pubs,...

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