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Société - Reportage

Pour se chauffer, des Libanais contraints de couper du bois... partout où ils en trouvent

Afin de contourner la flambée des prix du mazout (au marché noir), du charbon et de tous les autres moyens de chauffage, certains n’hésitent plus à se servir directement dans les forêts, y compris dans les réserves naturelles.

Pour se chauffer, des Libanais contraints de couper du bois... partout où ils en trouvent

Jaafar (de face) en compagnie d’un ami, dans son modeste salon où trône un poêle traditionnel, devenu lui aussi hors de prix. Photo Mohammad Yassine

« Désormais, je coupe les arbres sur mes propres terres pour assurer le chauffage à mes enfants. » Jaafar, un habitant du village de Bidias au Liban-Sud, prononce ces mots d’une voix tremblante d’émotion. « J’ai attendu des années que ces arbres grandissent et que j’en tire bénéfice, et voilà que je dois les abattre parce qu’il m’est impossible d’acheter du bois de chauffage cette année. »

Nombreux sont ceux qui, comme Jaafar, souffrent à l’approche de l’hiver de leur incapacité à s’approvisionner en matières premières pour le chauffage, en raison des difficultés économiques exceptionnelles que traverse le Liban, de la dévaluation monétaire, de la dégradation des conditions de vie et de l’absence totale de contrôle officiel sur les prix. Le mazout, bien que faisant partie des matières subventionnées par l’État (jusque-là…), n’est pas disponible en quantités suffisantes sur le marché, notamment dans les zones reculées où le froid de l’hiver le rend indispensable. Son prix effectif sur le marché noir dominé par les monopoles, bien supérieur à son prix officiel, est devenu prohibitif pour les catégories les plus vulnérables de la population.

Les habitants de nombreuses régions se tournent donc naturellement vers le bois de chauffage et le charbon pour se chauffer. Et afin d’éviter d’alourdir leur budget, ils triment ou abattent leurs propres arbres, comme Jaafar, ou alors se servent directement dans les forêts voisines et rentrent chez eux les bras chargés de bûches. Le phénomène n’est peut-être pas nouveau en soi, mais il gagne en ampleur depuis la flambée des prix.

Cette activité illicite, qui se déroule en toute impunité, n’est pas régulée par l’État, qui ferme apparemment les yeux. Rien d’étonnant puisque ces pratiques découlent de l’incapacité officielle à contrôler les prix des matières premières et à mettre un terme au marché noir. Les Libanais, livrés à eux-mêmes, sont désormais en mode survie, ayant désespéré d’un soutien officiel quelconque, et n’étant plus disposés à rendre des comptes à quelque autorité que ce soit.

« Je ne permettrai pas que mes enfants meurent de froid, lance un autre habitant de la région, qui a préféré rester anonyme. Si l’État ne prend pas des dispositions urgentes pour régler nos problèmes en contrôlant les commerçants et en mettant un terme au vol et à la fluctuation des prix, nous considérerons les biens publics et les terrains domaniaux de l’État comme une source de matières premières pour chauffer nos maisons et nos familles. Nous sommes désormais à un carrefour entre la vie et la mort. Et le choix est évident ! »

Le bois de chauffage, acheté dans le commerce ou coupé illégalement dans les forêts, est désormais privilégié par les habitants. L’ampleur de l’abattage est une menace pour l’environnement.

La tonne de bois à 800 000 LL… contre 250 000 l’année dernière

Si les habitants prennent le risque de se rendre en forêt pour s’approvisionner, c’est que même le bois de chauffage vendu dans le commerce est devenu hors de prix et n’est pas disponible en quantités suffisantes. Mohammad Balhas, propriétaire d’un commerce de bois dans la région de Tyr, explique à L’Orient-Le Jour que « la demande s’est fortement accrue cette année, étant donné l’inquiétude qui découle du manque de mazout en ville et de la fluctuation des prix ». « Les habitants sont inquiets et se tournent vers nous pour s’approvisionner en bois de chauffage, sachant que les prix de ce produit ont également grimpé, jusqu’à atteindre un pic, dit-il. Et il devient de plus en plus difficile de satisfaire toute cette demande. »

En effet, poursuit le marchand, la tonne de bois a atteint cette année le prix record de 800 000 livres libanaises, alors qu’elle ne coûtait que 250 000 livres l’année dernière. Sachant qu’une famille, surtout en région montagneuse, consomme entre trois et quatre tonnes durant la saison d’hiver, si elle dépend seulement de ce moyen de chauffage. Et pour couronner le tout, les poêles traditionnels, fabriqués localement, sont devenus hors de prix, étant donné que les matières premières, fonte ou acier, sont importées.

Les réserves naturelles condamnées ?

Le désespoir de la population et l’indifférence officielle se muent peu à peu en une menace sourde contre l’environnement. Si l’abattage illicite d’arbres menace tous les espaces verts restants du pays, les réserves naturelles n’échappent pas à la règle. C’est ce que confirme à L’OLJ Mohammad Kdouh, militant écologiste dans la région de Yater au Sud. Il a répertorié des abus de ce type dans les forêts de chênes protégées (par décret du ministère de l’Agriculture) entre Bint Jbeil et Tyr. « La flambée des prix a poussé nombre d’habitants à entrer dans les réserves naturelles et à couper des arbres, bien qu’ils soient conscients des risques qu’ils encourent, qu’il s’agisse d’amendes à payer ou de poursuites judiciaires, dit-il. Mais le besoin est si grand qu’ils prennent ce risque sans hésiter. Et les aires protégées sont ainsi exposées à tous les dangers. »

Compréhensif face au désarroi de la population, l’écologiste ne se borne pas à exiger que la loi soit appliquée, mais il lance un cri d’alarme face à une catastrophe écologique en puissance. « Il faut que les autorités contrôlent au plus vite le marché du mazout et empêchent la montée des prix sur le marché noir, affirme-t-il. Sous peine que nos réserves naturelles soient bientôt dépourvues d’arbres. »

« Désormais, je coupe les arbres sur mes propres terres pour assurer le chauffage à mes enfants. » Jaafar, un habitant du village de Bidias au Liban-Sud, prononce ces mots d’une voix tremblante d’émotion. « J’ai attendu des années que ces arbres grandissent et que j’en tire bénéfice, et voilà que je dois les abattre parce qu’il m’est impossible d’acheter du...

commentaires (2)

avec des chaussettes et un bon pull combien d'arbres économisés par Jaafar... ?

Vinay Jean-Michel

15 h 55, le 25 novembre 2020

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Commentaires (2)

  • avec des chaussettes et un bon pull combien d'arbres économisés par Jaafar... ?

    Vinay Jean-Michel

    15 h 55, le 25 novembre 2020

  • "Il faut que les autorités contrôlent au plus vite le marché du mazout et empêchent la montée des prix sur le marché noir,". Eh oui! Mais pour les autorités, ils semblent que les syriens passent avant les libanais et que la priorité est de favoriser la contrebande de mazout subventionné vers la Syrie!

    Yves Prevost

    07 h 14, le 25 novembre 2020

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