Rechercher
Rechercher

Monde - Éclairage

La politique de Biden au Moyen-Orient : le changement dans la continuité

Si le démocrate devrait adopter un ton plus diplomatique et nuancé que son prédécesseur dans la région, son élection n’annonce pas forcément une rupture dans les actes.


La politique de Biden au Moyen-Orient : le changement dans la continuité

Le candidat démocrate à la présidentielle américaine, Joe Biden, à Riyad lors de son mandat de vice-président sous Barack Obama en 2011. On le voit sur la photo aux côtés du prince Saoud el-Fayçal, à l’époque ministre saoudien des Affaires étrangères, aujourd’hui disparu. STR/AFP via Getty Images

Le Moyen-Orient attendait avec une impatience démesurée le résultat de la présidentielle américaine. Résultat des courses : Téhéran souffle de soulagement ; Riyad et Abou Dhabi serrent les dents. Les poids lourds de la région s’attendent en effet à un changement important après l’élection, mais ces attentes paraissent disproportionnées par rapport à ce qui devrait surtout ressembler à un changement dans la continuité. L’accès du démocrate Joe Biden à la Maison-Blanche, (actualisation : les médias américains ont annoncé, samedi 7 au soir, la victoire de Biden, NDLR), annonce une évolution dans le style et la méthode, mais pas pour autant une rupture avec la politique appliquée par Washington. « Une administration Biden ne va pas révolutionner l’approche américaine vis-à-vis de la région, qui repose elle-même sur des facteurs assez structurels », constate Émile Hokayem, chercheur à l’Institut international des études stratégiques (IISS) de Londres, contacté par L’Orient-Le Jour. « Son approche sera toutefois plus apaisée, moins rentre-dedans, plus cohérente et plus multilatérale », souligne-t-il. 

Lire aussi

Progressiste modéré ou conservateur repenti : qui est vraiment Joe Biden ?

À la différence de l’approche de Donald Trump, la nuance devrait être le mot d’ordre de Joe Biden dans la gestion des dossiers régionaux. Sur la question iranienne d’abord, où l’ancien vice-président de Barack Obama devrait favoriser les outils diplomatiques et le dialogue plutôt que la politique de la force, sans pour autant remettre en question l’hostilité américaine vis-à-vis de Téhéran. À l’égard des autocrates du monde arabe ensuite, avec qui son prédécesseur républicain a entretenu des liens privilégiés, mettant tous ses œufs dans les paniers émirati et saoudien dans une logique de lutte contre l’expansionnisme iranien à tout prix. Un choix devenu de plus en plus controversé depuis 2018, tant du côté démocrate que républicain, après le rejet des accusations portées contre le prince héritier saoudien, Mohammad ben Salmane, suite au meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi dans le consulat de son pays. « Riyad va devoir essayer de trouver un moyen de travailler avec Biden pour aider à réparer les dégâts avec les démocrates, qui ne doivent pas être sous-estimés. Ces deux pays ont besoin l’un de l’autre », précise Hussein Ibish, chercheur à l’Arab Gulf States Institute.

Trouver un équilibre

Si les intérêts américains restent les mêmes au Moyen-Orient, son successeur devrait chercher à rétablir un certain équilibre entre les alliés des États-Unis, notamment dans le Golfe, en adoptant un ton plus ferme contre l’autoritarisme et sur les violations des droits de l’homme. « Un président Biden devrait trouver un équilibre entre le désir des démocrates de se distancer d’Israël et de l’Arabie saoudite et la nécessité de cultiver des partenariats solides dans la région, alors que les États-Unis reculent, tout en essayant simultanément de limiter les incursions de la Russie et de la Chine », indique Michael Singh, directeur général du Washington Institute et ancien directeur des affaires pour le Moyen-Orient au Conseil de sécurité nationale des États-Unis.

Lire aussi

Joe Biden, un moindre mal pour le Hezbollah ?

Le futur locataire de la Maison-Blanche devrait également se démarquer de la rhétorique isolationniste et nationaliste de son prédécesseur républicain, optant pour un discours plus rassembleur et tendant la main aux Européens. Son objectif est de restaurer une dynamique de partenariat dans une région où Washington a joué solo ces quatre dernières années, mettant à mal ses relations avec ses alliés du Vieux Continent. « Biden et son équipe pour la politique étrangère veulent revenir à l’ordre international systématique, institutionnalisé, centré autour des alliances et basé sur des règles que les États-Unis ont prudemment construit depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Leur approche au Moyen-Orient devrait refléter cela », explique Hussein Ibish.

La diplomatie trumpienne a été marquée par un certain dédain à l’égard des organisations internationales et des accords multilatéraux, considérés par le président républicain comme nuisant aux intérêts de Washington. Son coup le plus remarqué a été le retrait des États-Unis en 2018 de l’accord sur le nucléaire iranien (JCPOA), conclu trois ans plus tôt sous Barack Obama, balayant d’un revers de main le « pire accord jamais négocié » selon lui. Depuis, il n’a cessé de tabler sur une politique de « pression maximale » à coups de sanctions, espérant faire plier Téhéran. Si l’économie iranienne est effectivement asphyxiée, aggravée par la pandémie de Covid-19, force est de constater que le retrait américain de l’accord a entraîné un regain d’activité de la République islamique dans le cadre de son programme d’enrichissement de l’uranium.

« Pas une seconde venue d’Obama »

Fervent défenseur de l’accord sur le nucléaire, Joe Biden a d’ores et déjà fait savoir qu’il se tenait prêt à revenir à la table des négociations avec l’Iran, allant jusqu’à évoquer une réintégration de Washington dans le JCPOA si Téhéran respecte « strictement » ses engagements. « Il existe un moyen intelligent d’être dur avec l’Iran », estimait-il dans une tribune publié en septembre dernier sur le site de CNN. Une position qui annonce un changement de ton dans les couloirs diplomatiques, mais pas forcément dans les actes, alors qu’un retour au JCPOA de 2015 ne semble pas envisageable en l’état.

Lire aussi

Avec Biden, quelle politique américaine au Liban ?

« Il est peu probable que Biden soit une seconde venue d’Obama », relève Michael Singh. « Il voudra peut-être réintégrer le JCPOA dans un premier temps, mais il est peu probable qu’il entretienne des notions naïves de rapprochement entre les États-Unis et la République islamique », anticipe-t-il. « Quiconque dans le monde arabe s’attend ou craint que Biden ne renverse simplement la politique de sanctions de Trump a tort pour des raisons à la fois techniques et politiques », souligne pour sa part Hussein Ibish. « Au lieu de cela, une administration Biden essaierait sans aucun doute d’utiliser les sanctions comme un levier pour faire évoluer les politiques iraniennes et créer de nouvelles positions de négociations », explique-t-il. Le démocrate devrait également chercher à rallier ses partenaires européens sur ce dossier – à savoir la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne –, mais aussi les pays du Golfe, acteurs-clés dont l’exclusion du processus de Vienne en 2016 est aujourd’hui perçue comme une erreur du côté démocrate. L’administration Biden devra toutefois faire avec une nouvelle réalité géopolitique et diplomatique. « Les Iraniens ne sont plus aussi demandeurs : ils estiment qu’ils ont été brûlés, que les Américains quels qu’ils soient ne tiendront pas leurs promesses et que l’Iran n’a jamais obtenu les bénéfices qu’il escomptait », note Émile Hokayem.

Renouer le dialogue

Le conflit israélo-palestinien est le deuxième gros dossier auquel devra s’atteler rapidement le nouveau locataire de la Maison-Blanche et composer avec les retombées des initiatives du mandat Trump. Le républicain, profondément pro-israélien, a multiplié les gros coups au cours de ces quatre dernières années : reconnaissance de Jérusalem comme capitale de l’État hébreu et décision d’y déménager l’ambassade américaine, reconnaissance de la souveraineté israélienne sur le Golan, plan Kushner et rupture avec l’establishment palestinien. Véritable victoire pour l’administration Trump, les trois derniers mois de sa présidence ont été marqués par la normalisation des relations entre Israël et les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Soudan, sous la houlette de Washington.

En ce sens, l’administration Biden ne devrait pas s’employer à complètement défaire l’héritage de son prédécesseur. Le démocrate ne devrait revenir ni sur le déménagement de l’ambassade américaine à Jérusalem ni sur le Golan, mais adopter une approche plus ferme contre la politique israélienne d’annexion et d’expansion des colonies. Favorable à une solution à deux États, son équipe devrait chercher à renouer le dialogue avec les responsables palestiniens, rompu sous Trump, et rétablir l’aide américaine aux Palestiniens.

La dynamique de normalisation entre les pays de la région et l’État hébreu pourrait toutefois se poursuivre sous son mandat, alors qu’il avait salué un acte « courageux et absolument nécessaire » en août dernier. Une approche stratégique alors que l’établissement de liens officiels entre l’État hébreu et le Golfe s’inscrit notamment dans une logique d’établir un front sécuritaire face à l’Iran, dans une région qui n’est plus une priorité pour les États-Unis, bien qu’ils devraient y garder un rôle de première importance.


RQ : Cet article a été actualisé le 7 novembre à 19h, après l'annonce, par des médias américains, de la victoire de Biden)

Le Moyen-Orient attendait avec une impatience démesurée le résultat de la présidentielle américaine. Résultat des courses : Téhéran souffle de soulagement ; Riyad et Abou Dhabi serrent les dents. Les poids lourds de la région s’attendent en effet à un changement important après l’élection, mais ces attentes paraissent disproportionnées par rapport à ce qui devrait surtout...

commentaires (1)

Espérons que le nouveau président USA va apporter de l'apaisement dans notre région. On en a tant besoin.

PPZZ58

19 h 24, le 07 novembre 2020

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • Espérons que le nouveau président USA va apporter de l'apaisement dans notre région. On en a tant besoin.

    PPZZ58

    19 h 24, le 07 novembre 2020

Retour en haut