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Moyen-Orient - Récit

Entre Macron et Erdogan, le bras de fer sur tous les fronts

Alors que le président français se fait le chantre du monde libre, le reïs turc assume un pouvoir de plus en plus autoritaire et antilibéral.

Entre Macron et Erdogan, le bras de fer sur tous les fronts

Le président turc Recep Tayyip Erdogan et son homologue français Emmanuel Macron, le 5 janvier 2018 à l’Élysée. Ludovic Marin/AFP

C’était encore le moment de tous les possibles. Celui où les animaux politiques se reniflent et se jaugent, où la relation est trop jeune pour être mauvaise, trop protocolaire pour être sincère. Ce 5 janvier 2018, sur le parvis de l’Élysée, Emmanuel Macron et son homologue turc Recep Tayyip Erdogan posent face aux caméras. La poignée de main est longue et vigoureuse. Les deux leaders veulent ouvrir une nouvelle page dans les relations franco-turques.

Mis au ban de la communauté internationale depuis les purges dans le sillage du putsch raté de 2016, Recep Tayyip Erdogan a un objectif clair en tête lorsqu’il choisit Paris comme premier déplacement à l’étranger en ce début d’année : trouver un soutien auprès d’Emmanuel Macron, fraîchement arrivé à la présidence huit mois plus tôt. Pour ce jeune premier passé par Sciences Po Paris et l’ENA, féru de philosophie et qui n’a jamais exercé de mandat politique, l’ascension a été fulgurante. À seulement 39 ans, l’ancien banquier chez Rothschild accède à la présidence seulement un an après la création de son mouvement, En marche, et il est désormais la nouvelle figure de proue de l’Union européenne.

Pour le dirigeant turc, vieux loup qui trempe dans la politique depuis les années 1970, son homologue français de 24 ans son cadet fait figure de novice. Le parcours de Recep Tayyip Erdogan est des plus traditionnels, gravissant les échelons un à un, bâtissant sa réputation en tant que maire d’Istanbul entre 1994 et 1998, puis brillant à la tête du parti de la Justice et du Développement (AKP) qu’il cofonde en 2001. La victoire écrasante de son parti aux élections législatives de 2002 lui permet de briguer le poste de Premier ministre, tremplin pour son accès à la présidence, après un changement de la Constitution dix ans plus tard.

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Rompu aux arcanes des relations internationales, le président turc voit en Emmanuel Macron une occasion de réchauffer ses relations avec l’UE. « Au début du mandat de Macron, Erdogan a placé de grands espoirs sur le président français car il le voyait comme un “jeune” dirigeant au sang neuf, qui pourrait contribuer à relancer les relations turco-françaises après leur détérioration pendant le mandat de François Hollande et de Nicolas Sarkozy », rappelle Jana Jabbour, enseignante de sciences politiques à Sciences Po Paris et spécialiste de la Turquie. Un renouveau diplomatique que Recep Tayyip Erdogan se plaît à mettre en scène, évoquant son « ami Emmanuel Macron » lors d’un entretien accordé à la chaîne française TF1 deux jours avant leur rencontre. Du côté de Paris, on se fait plus discret.

La plupart des pays membres de l’UE sont alors en froid avec le reïs, et une adhésion à l’Union, convoitée depuis si longtemps par Ankara, semble alors hors d’atteinte, sur fond d’accusations de violations des droits de l’homme. La tentative de coup d’État de 2016 a marqué la mémoire du président turc au fer rouge. Sa méfiance à l’égard des membres de son administration et de l’armée flirte presque avec la paranoïa, tandis que les Occidentaux épient de près son autoritarisme grandissant. Ces mêmes thématiques animent le déjeuner à l’Élysée entre les deux hommes. Le ton est franc et direct, le bilan mitigé.

« L’entretien de Paris en 2018 avait été relativement cordial, mais nous étions déjà dans un environnement complexe », relève Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). Les dossiers sensibles sont multiples : la répression à l’égard des journalistes en Turquie, les accusations turques de « propagande » contre les enseignants de l’Université de Galatasaray – institution francophone créée en 1992 par un accord franco-turc – pour une pétition dénonçant le « massacre » de civils lors de raids turcs contre les Kurdes du PKK, bête noire d’Ankara qu’il considère comme « terroriste », la promesse de campagne d’Emmanuel Macron pour l’instauration en France d’une journée de commémoration du génocide arménien, ou encore les questions syrienne et libyenne.

Stratégie impériale

Deux ans plus tard, changement d’ambiance et de ton. Les deux présidents se livrent un bras de fer sur tous les fronts : Syrie, Libye, Méditerranée orientale.

Partout ou presque où l’expansionnisme turc se matérialise, il trouve Paris sur sa route. Cet été, les deux alliés au sein de l’OTAN sont au bord de la rupture, lorsque Paris envoie deux navires de combat en Méditerranée orientale pour soutenir son allié grec et faire comprendre à Ankara qu’il est allé trop loin.

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Les différends sont d’abord géopolitiques, mais ils deviennent, au gré des crises, personnels et symboliques. Emmanuel Macron se fait le chantre du monde libre, Recep Tayyip Erdogan assume un pouvoir de plus en plus autoritaire et antilibéral. Le premier défend la laïcité, le second a définitivement rompu avec cet héritage d’Atatürk au profit d’un récit mêlant néo-ottomanisme et ultranationalisme. Surtout, la France a choisi son camp dans la région : l’axe émirato-égyptien plutôt que l’alliance Ankara-Doha. L’autoritarisme contre-révolutionnaire plutôt que l’autoritarisme islamiste. Ankara développe une stratégie impériale qui cherche partout à remettre en question le fait accompli. La méthode est explosive, mais les motifs pas forcément illégitimes. En Syrie, la Turquie est intervenue contre les Kurdes, alliés des Occidentaux, en transformant les rebelles syriens en mercenaires susceptibles de répondre à tous ses besoins. Une trahison vue de Paris, mais qui répond aussi à des questions de sécurité pour Ankara, qui s’est senti abandonné par le camp occidental. En Libye, Ankara a déployé son arsenal en soutien au gouvernement reconnu par la communauté internationale de Fayez el-Sarraj, qui s’est réfugié dans les bras des Turcs après avoir été irrité par le double jeu des Occidentaux, France en tête. En Méditerranée orientale, la Turquie se sent lésée par un traçage des frontières maritimes qui l’exclut d’une grande partie des potentiels ressources énergétiques de la région. À chaque fois, Ankara choisit la force plutôt que la diplomatie, jouant l’escalade tout autant avec ses adversaires qu’avec ses alliés. Paris aurait pu être plus attentif aux inquiétudes de son allié. Mais comment discuter avec un dirigeant qui se pense l’égal de Donald Trump et de Vladimir Poutine, et qui ne semble comprendre pour seul langage – ses relations avec la Russie en témoignent – que le rapport de force ?

Le 24 octobre dernier ressemble à la goutte d’eau susceptible de faire déborder le vase. Ce jour-là, les images du discours du président turc tournent en boucle sur les chaînes d’information internationales : « Macron a besoin de se faire soigner ! » Devant un parterre de partisans réunis à Kayseri pour le 7e congrès provincial de l’AKP, le reïs multiplie les déclarations acerbes envers le dirigeant français et galvanise la foule. « Quel problème a l’individu nommé Macron avec l’islam et avec les musulmans ? » lance-t-il sous les applaudissements. Trois jours plus tôt, Emmanuel Macron rendait un vibrant hommage à Samuel Paty, l’enseignant du collège de Conflans-Sainte-Honorine, décapité après avoir montré des caricatures du prophète Mahomet en classe. Entre le président turc et son homologue français, la rupture est consommée.

« Il n’y a pas de symétrie entre les deux hommes. Si c’est une bataille d’ego, s’en est une apparemment pour le président turc qui a personnalisé l’affrontement et qui a utilisé un langage directement insultant », commente Bruno Tertrais.

Ce n’est pas la première fois que le leader turc s’en prend à Emmanuel Macron de manière aussi frontale. Il y a un an, au mois de novembre 2019, il invitait déjà son homologue français à « examiner sa propre mort cérébrale », répondant aux critiques du président français sur la « mort cérébrale » de l’OTAN. « Erdogan a une compréhension personnelle des relations internationales : il considère ces dernières comme un jeu à somme nulle dans lequel l’autorité de l’un sape celle de l’autre », fait remarquer Jana Jabbour.

Levée de boucliers

Au-delà du religieux, la posture du dirigeant turc est éminemment politique. En se saisissant personnellement de la question qu’il érige en « affaire d’honneur », il y voit surtout l’opportunité de jouer un coup double : se faire le porte-parole de l’islam sur la scène internationale à la barbe et au nez de l’establishment saoudien, traditionnellement perçu comme le plus important leader sunnite dans le monde.

La stratégie fonctionne. Son appel au boycott des produits français est suivi par de nombreux pays musulmans. Des portraits d’Emmanuel Macron sont brûlés lors de manifestations, qui rassemblent une dizaine de personnes, en Libye, en Syrie ou encore dans la bande de Gaza, jusqu’à des milliers au Bangladesh, au Pakistan ou encore en Afghanistan.

Le jeu d’Ankara n’est pas sans intérêts, alors que l’économie du pays, déjà mise à mal ces dernières années, s’effondre un peu plus à cause de la chute de sa monnaie due à l’inflation puis se trouve aggravée par la pandémie de Covid-19. Depuis le 1er janvier, la devise turque a perdu près de 35 % de sa valeur face au dollar. « Paradoxalement, chaque dispute avec l’Occident augmente la popularité d’Erdogan parmi l’électorat turc, alors qu’il se transforme pour incarner l’image du “héros national” qui défend le pays », constate Jana Jabbour. Une manière aussi pour le président de la Turquie de marquer des points dans la région, où l’attitude offensive d’Ankara est critiquée.

« La bataille entre les deux dirigeants a des répercussions graves, d’abord en Méditerranée qui ne doit pas devenir précisément le lieu d’un choc des civilisations, mais également à l’OTAN où les différentes conceptions de l’alliance entre Paris et Ankara s’opposent désormais avec une force que l’on ne voit plus, à court terme, comment apaiser », note Frédéric Charillon, professeur de sciences politiques et de relations internationales à l’ENA.

Face à la levée de boucliers dans le monde musulman, le président français a finalement cherché à calmer le jeu en accordant un entretien exclusif à la chaîne al-Jazeera diffusé samedi dernier. « Je pense que les réactions sont le résultat de mensonges et de distorsions de mes propos car les gens ont compris que je soutenais ces caricatures », a-t-il souligné. Le choix est stratégique : il s’agit d’une part de s’adresser directement aux populations de la région où la chaîne qatarie est l’une des plus regardées et d’envoyer, d’autre part, un message politique à la Turquie.

Paris mise sur la désescalade, ayant conscience que la Turquie reste un partenaire indispensable tant pour la France que pour l’UE. Mais du côté d’Ankara, les calculs pourraient être différents, tant la montée des tensions sur la scène extérieure apparaît comme le principal remède à la perte de popularité du président sur la plan local. « Si Erdogan poursuit sa stratégie, alors il s’expose à des sanctions européennes, voire à la fin dans les faits de toute négociation sur le processus d’adhésion qui est déjà un processus zombie, mort-vivant », dit Bruno Tertrais. Mais que peut une politique de sanctions face à un homme qui se pense l’héritier de Mehmet II, ayant pour mission de restaurer la gloire de l’Empire ottoman et qui perçoit Emmanuel Macron comme l’un des principaux obstacles à sa destinée ? L’échec des rapprochements occidentaux avec la Russie en témoignent : comment parler à un leader qui veut prendre sa revanche sur l’histoire quand, de son point de vue, on se trouve toujours de l’autre côté de cette histoire ?

C’était encore le moment de tous les possibles. Celui où les animaux politiques se reniflent et se jaugent, où la relation est trop jeune pour être mauvaise, trop protocolaire pour être sincère. Ce 5 janvier 2018, sur le parvis de l’Élysée, Emmanuel Macron et son homologue turc Recep Tayyip Erdogan posent face aux caméras. La poignée de main est longue et vigoureuse. Les deux...

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La force d’erdogan vient du manque de solidarité entre européens qui vu le contexte économique actuel craignent le retour du bâton d’un côté et le chaos que cherche Erdogan à instiller dans leur pays à travers ses millions de partisans turcs en Allemagne et les quelques centaines de milliers en France. Erdogan a menacé les français pendant un de ses discours haineux et a mis son plan à exécution quelques jours plus tard en envoyant ses voyous tabasser et agresser des manifestants arméniens en France sans être inquiétés. Des crimes odieux ont eu lieu en réponse à ses discours et Erdogan continue à souffler le chaud et le froid pendant que les européens tardent à prononcer les sanctions économiques qui pourraient mettre fin à son arrogance et prétentions alors qu’il a mis son pays dans la mouise pendant que lui et sa famille mènent grand train et édifient des châteaux et s’entourent de protection pour sauver leurs têtes. Si le monde craint Trump depuis son accession au pouvoir, ça n’est pas parce qu’il envoie ses boys mourir pour des causes extérieures mais c’est à cause de ses sanctions qui paralysent tout abruti voulant se mesurer à son pouvoir et ça marche. Des usines européennes se trouvent sur le sol turc avec des milliers d’emplois à la clef qui risquent de créer une crise sociale de plus si ces derniers se retirent du pays. Pourquoi ne pas le combattre avec ses propres armes et le laisser s’expliquer avec son peuple pour sa mégalomanie et ses conséquences?

Sissi zayyat

11 h 32, le 02 novembre 2020

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  • La force d’erdogan vient du manque de solidarité entre européens qui vu le contexte économique actuel craignent le retour du bâton d’un côté et le chaos que cherche Erdogan à instiller dans leur pays à travers ses millions de partisans turcs en Allemagne et les quelques centaines de milliers en France. Erdogan a menacé les français pendant un de ses discours haineux et a mis son plan à exécution quelques jours plus tard en envoyant ses voyous tabasser et agresser des manifestants arméniens en France sans être inquiétés. Des crimes odieux ont eu lieu en réponse à ses discours et Erdogan continue à souffler le chaud et le froid pendant que les européens tardent à prononcer les sanctions économiques qui pourraient mettre fin à son arrogance et prétentions alors qu’il a mis son pays dans la mouise pendant que lui et sa famille mènent grand train et édifient des châteaux et s’entourent de protection pour sauver leurs têtes. Si le monde craint Trump depuis son accession au pouvoir, ça n’est pas parce qu’il envoie ses boys mourir pour des causes extérieures mais c’est à cause de ses sanctions qui paralysent tout abruti voulant se mesurer à son pouvoir et ça marche. Des usines européennes se trouvent sur le sol turc avec des milliers d’emplois à la clef qui risquent de créer une crise sociale de plus si ces derniers se retirent du pays. Pourquoi ne pas le combattre avec ses propres armes et le laisser s’expliquer avec son peuple pour sa mégalomanie et ses conséquences?

    Sissi zayyat

    11 h 32, le 02 novembre 2020

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