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Société - Reportage

L’État accusé de tuer l’hôpital privé en période de Covid-19

Payer les fournisseurs en cash, une aberration pour le secteur de la santé.

L’État accusé de tuer l’hôpital privé en période de Covid-19

Dans l’unité de chimiothérapie du LAUMC-RH, les traitements se déroulent comme à l’accoutumée. Mais des reports peuvent arriver, en cas de pénurie de médicaments. Photo A.-M.H.

Sur son lit d’hôpital, Élie, la cinquantaine, attend patiemment que s’achève sa séance de chimiothérapie. En cette première journée de mise en application de l’ultimatum des six grands hôpitaux universitaires privés (CHU) face à la circulaire n° 573 de la Banque du Liban, rien ne vient troubler sa routine de traitement d’un myélome multiple. « Trois fois par mois depuis cinq ans, je me plie à la chimiothérapie, dans cette institution respectable qui porte une attention infaillible au malade », affirme-t-il. Ce lundi d’octobre n’est en rien différent des autres jours, dans l’aile d’oncologie du Centre hospitalier de l’Université libano-américaine-hôpital Rizk (LAUMC-RH). Et ce, malgré la mise en garde des six grands CHU, qui avaient annoncé vendredi dernier ne plus recevoir les patients à partir de ce 26 octobre, depuis les mesures restrictives annoncées par la BDL. Car ils ne sont pas en mesure de payer comptant leurs fournisseurs pour l’achat de matériel, de prothèses, de médicaments, d’articles chirurgicaux et thérapeutiques.

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La circulaire décriée par le secteur hospitalier privé contraint les fournisseurs d’équipements médicaux à payer à la BDL 85 % de leurs achats en livres libanaises et en cash (en contrepartie d’un dollar subventionné à 1 515 LL). Les 15 % restants seront payés par les fournisseurs en devises fraîches. Ce qui ne peut que se répercuter sur les hôpitaux, qui seront tenus eux aussi de régler leurs factures en cash. D’où le communiqué des six grands hôpitaux privés du pays qui représentent près de 30 % du secteur, l’hôpital de l’Université américaine de Beyrouth, le Centre médical de la Lebanese American University-Hôpital Rizk, les hôpitaux Saint-Georges des grecs-orthodoxes, Notre-Dame des Secours-Jbeil, Mont-Liban et l’Hôtel-Dieu de France. Rapidement soutenus par l’ensemble du secteur.

Les reports de traitements de plus en plus fréquents

Ce lundi matin, onze patients ont rendez-vous pour leur chimiothérapie de jour, contre vingt en moyenne quotidiennement. « C’est juste un hasard. L’unité d’oncologie fonctionne normalement », précise l’infirmière en chef de l’unité, Léa Baaklini, qui reconnaît toutefois « quelques reports de traitements de plus en plus fréquents, car les médicaments viennent à manquer ». Une situation qui touche plus particulièrement les patients pris en charge par le ministère de la Santé. « Il m’arrive d’attendre mon médicament une dizaine de jours, constate Élie, dont l’épouse se procure le traitement auprès du ministère. Ma séance est forcément reportée. »

Au même moment, au LAUMC-RH, une jeune femme de nationalité sri lankaise, Perpetual, se prépare à subir un retrait de la sonde urinaire qui lui avait été placée à la suite d’un calcul. Une intervention qui ne peut attendre, les risques d’infection étant à prendre en considération. « J’ai dû m’acquitter d’un forfait de 100 dollars américains lors de mon admission, note la patiente. C’est la procédure normale dans mon contrat d’assurance. » Pour Samir, la soixantaine, l’attente est à peine plus longue. D’une minute à l’autre, on doit l’emmener en salle d’opération pour une cystoscopie, destinée à enlever une tumeur de la vessie. « C’est une opération urgente. La possibilité d’un report ne m’est même pas venue à l’esprit. Et comme je suis pris en charge par une assurance privée et par la CNSS à la fois, l’hôpital ne m’a demandé aucun frais supplémentaire », dit-il.

L’argent liquide, une lourde infrastructure

Pour les responsables de l’institution, la circulaire 573 est une « aberration » et une marque de « populisme » qu’ils rejettent catégoriquement. « Faut-il désormais stocker dans nos locaux des sacs d’argent liquide pour être à même de payer nos fournisseurs ? » demande le directeur général du LAUMC-RH, Sami Rizk, évoquant la « lourde infrastructure » liée au transport et au stockage de l’argent liquide, sans parler des « risques » encourus par les convoyeurs. « N’est-il pas plus logique de régler les choses par transactions bancaires ? » s’interroge-t-il encore. « Qu’ils rapatrient donc l’argent volé », lance de son côté le cardiologue et directeur médical de l’hôpital, le docteur Georges Ghanem, accusant la classe au pouvoir de « tuer le secteur médical », car « les hôpitaux privés n’ont pas les moyens de payer en liquide ».

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Le problème est que le secteur est entré dans une sorte de cercle vicieux dont il est difficile de sortir pour l’instant. Et les hôpitaux privés font les frais de cet engrenage, car une toute petite partie de leurs rentrées financières est en argent liquide, plus particulièrement « le reliquat non couvert par la CNSS et les examens de laboratoire », expliquent les deux responsables. Alors, ce lundi, l’institution a mis en application la décision des grands hôpitaux privés. « Le LAUMC-RH fonctionne désormais à 72 %, sachant que les soins d’urgence sont épargnés, car il est de notre obligation éthique et morale de traiter les patients dont le cas ne peut attendre », révèle le docteur Ghanem. Pour ce faire, « l’hôpital utilisera ses stocks », qui devraient suffire pour une dizaine de jours. Ensuite, ce sera « la pénurie totale ».

Nombre d’interventions chirurgicales ont ainsi été décalées, notamment « celles qui nécessitent l’achat de prothèses en argent liquide, comme les opérations orthopédiques ou la mise en place de stents cardiaques », explique Sami Rizk. « Il en est de même pour certains traitements oncologiques, vu la pénurie de médicaments, regrette-t-il. Le pire, c’est que nous nous dirigeons vers une mauvaise médecine, car nous risquons d’être obligés d’utiliser des équipements de moindre qualité, à un moment donné. » Et ce qui est encore plus grave, déplore M. Rizk, c’est que « ces restrictions financières interviennent en période de Covid-19 », alors que le secteur privé est mobilisé au service des malades.

Des stocks pour dix jours tout au plus

Quelques centaines de mètres plus loin, l’Hôtel-Dieu de France tourne à plein régime. Aucun patient n’a vu ses soins reportés pour l’instant. Et l’hôpital espère que le dialogue aboutira avec les autorités et l’Association des banques. « C’est notre obligation humaine de ne refuser aucun malade », souligne le pneumologue-réanimateur directeur médical de l’hôpital, le docteur Georges Dabar. « Mais ce n’est qu’une question de temps, une dizaine de jours tout au plus, avant l’épuisement de nos stocks d’équipements », lance-t-il. Dans cet état des lieux, le praticien craint que les choses ne se compliquent davantage. « Forcément, les patients qui ont besoin d’un dispositif médical (prothèse, ressort, clips, sondes) seront touchés. Leurs interventions non urgentes seront ajournées. Nous pourrions aussi refuser les nouveaux patients », regrette-t-il, dénonçant « les circulaires consécutives de la BDL qui risquent de porter préjudice à la santé des Libanais ». « Car non seulement les hôpitaux ne disposent pas d’argent liquide, vu que dans le meilleur des cas, les recettes en cash atteignent 12 %, mais les restrictions bancaires sont en train de raréfier l’argent liquide sur le marché », précise de son côté la directrice financière de l’HDF, Rima Boujok. Il faut aussi dire que les restrictions imposent aux hôpitaux de payer les fournisseurs avant même d’avoir vu leurs factures réglées par les patients ou les tiers payants. Sans oublier que la pandémie de Covid-19 a imposé aux hôpitaux privés de s’équiper. « Si ça continue, met en garde le directeur, l’hôpital privé se dirige vers la faillite et l’effondrement risque d’être très rapide. »


Sur son lit d’hôpital, Élie, la cinquantaine, attend patiemment que s’achève sa séance de chimiothérapie. En cette première journée de mise en application de l’ultimatum des six grands hôpitaux universitaires privés (CHU) face à la circulaire n° 573 de la Banque du Liban, rien ne vient troubler sa routine de traitement d’un myélome multiple. « Trois fois par mois depuis...

commentaires (2)

Pour achever le pays, l’état se concentre sur les hôpitaux pour les tuer afin qu’ils ne puissent pas soigner et sauver le peuple. Double meurtre qui s’ajoute aux autres crimes à l’encontre des citoyens après les avoir dépouillés et détruit leurs habitations. Et le massacre continue. Les pompiers sont démunis ainsi que l’armée et les instituions publiques pendant que des missiles , des armes et des explosifs qui ont été acheté entre autre avec cet argent qui devait servir à être investi dans ces infrastructures se retrouvent stockés dans les sous-sol sous des quartiers résidentiels prêts à être utilisés. Espérons que ça ne soit pas sur notre sol.

Sissi zayyat

14 h 40, le 27 octobre 2020

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Commentaires (2)

  • Pour achever le pays, l’état se concentre sur les hôpitaux pour les tuer afin qu’ils ne puissent pas soigner et sauver le peuple. Double meurtre qui s’ajoute aux autres crimes à l’encontre des citoyens après les avoir dépouillés et détruit leurs habitations. Et le massacre continue. Les pompiers sont démunis ainsi que l’armée et les instituions publiques pendant que des missiles , des armes et des explosifs qui ont été acheté entre autre avec cet argent qui devait servir à être investi dans ces infrastructures se retrouvent stockés dans les sous-sol sous des quartiers résidentiels prêts à être utilisés. Espérons que ça ne soit pas sur notre sol.

    Sissi zayyat

    14 h 40, le 27 octobre 2020

  • Suggestions de léger changement au titre : option simple "L’État accusé de tuer l’hôpital privé aussi (ou: entre autre)", option claire "L’État, en plus du peuple, tue aussi l’hôpital privé"

    Wlek Sanferlou

    12 h 19, le 27 octobre 2020

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