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Moyen-Orient - Interview

Hamit Bozarslan : « Le discours tenu par la Turquie est un discours de génocide »

Si, pour la Russie, l’urgence n’est peut-être pas nécessairement la fin du conflit, elle s’inquiète en revanche de la présence de Turcs dans la région, et surtout de jihadistes syriens, estime l’historien et politologue.

Hamit Bozarslan : « Le discours tenu par la Turquie est un discours de génocide »

Sur des panneaux publicitaires à Ankara, des portraits des présidents turc et azéri se saluant. Adem Altan/AFP

Alors qu’Arméniens et Azerbaïdjanais s’affrontent depuis près d’un mois au Haut-Karabakh, l’implication de la Turquie interroge sur la stratégie poursuivie par Ankara dans la région. Hamit Bozarslan, historien et politologue spécialiste du Moyen-Orient et de la Turquie, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), revient sur la politique turque et sur la nature et l’évolution de ce conflit, gelé depuis près de 30 ans.

Comment peut-on expliquer la reprise des hostilités au Haut-Karabakh, le 27 septembre dernier ?

Elle s’explique tout d’abord par la double évolution des stratégies azérie, d’une part, et turque, de l’autre, à laquelle on assiste depuis quelques années. Il existe, en Azerbaïdjan, une volonté de revanche sur l’histoire, d’effacer la honte subie au début des années 1990. Le pays souhaite récupérer les territoires perdus et occupés par les milices arméniennes depuis la fin officielle de la guerre, en 1994. Alors que l’Arménie s’est toujours dit prête à des négociations, l’Azerbaïdjan souhaite résoudre le problème par les armes, et non pas par les négociations. Il peut compter pour cela sur la Turquie, qui a envoyé un certain nombre de conseillers sur le front du Caucase et qui encadre une partie des opérations militaires. L’armée azérie dispose également de moyens considérables, notamment ses drones achetés en Israël et en Turquie. Ankara poursuit, de son côté, une stratégie d’hubris : il se considère tout puissant et se déploie ainsi sur plusieurs fronts. Après la Libye, la Syrie et la Méditerranée orientale, la Turquie pense que le moment est venu de s’imposer par la force, notamment dans le cadre du Haut-Karabakh, où Ankara envoie sur le terrain une armée de mercenaires jihadistes constitués en Syrie. À cette double évolution s’ajoute le contexte international de Covid-19. Les instances européennes sont totalement bloquées, sans compter les États-Unis et leur bateau ivre : l’administration Trump. Celle-ci n’a jamais pris de mesures concrètes contre Recep Tayyip Erdogan même si les menaces n’ont pas manqué. Ce bateau ivre est par ailleurs en phase électorale, ce qui crée un vide sur le plan international. La Turquie et l’Azerbaïdjan tentent d’en profiter même si l’évolution du front militaire montre que leurs stratégies n’ont pour le moment pas abouti.

Sur quels éléments Ankara s’appuie-t-il pour justifier son attitude offensive ?

La Turquie invoque tout d’abord l’histoire. Le pays met en avant son inimitié avec les Arméniens, victimes du génocide de 1915. Toute une partie de la classe politique turque, à l’image du leader du parti d’extrême droite, Devlet Bahçeli, dans la coalition au pouvoir, considère que l’Arménie constitue un obstacle à la création d’une unité turco-turque. Ces politiciens nourrissent le fameux projet de créer un empire touranien dont la première étape serait une unification quasi complète de l’Azerbaïdjan et de la Turquie. Pour eux, l’Arménie se trouve au milieu du chemin et doit disparaître afin de permettre la création de cette unité. De plus, il y a en Turquie un règne des forces paramilitaires qui existaient déjà dans les années 1990. Alors qu’elles avaient été marginalisées, elles disposent aujourd’hui de leurs dynamiques propres et constituent un État dans l’État. Or ces forces sont nationalistes et anti-arméniennes. Enfin, le troisième facteur est l’erdoganisme lui-même. Recep Tayyip Erdogan aime à rappeler que sa mère patrie, l’Empire ottoman, s’étendait sur 18 millions de kilomètres carrés. Or la Turquie se trouve aujourd’hui réduite à 680 000 kilomètres carrés. Le leader turc fait alors ressurgir une violente nostalgie d’empire. Il faut aussi rappeler que l’économie turque s’est totalement effondrée depuis quelques années. Faute de pouvoir peser économiquement, le pays a pris conscience qu’il doit affirmer sa force par les armes, à travers la multiplication des fronts d’intervention, afin de se réaliser comme une grande puissance régionale.

L’envoi de troupes turques sur le sol caucasien, qui semble être la ligne rouge pour les puissances chargées de trouver une solution au conflit du Haut-Karabakh, est-il possible selon vous ?

Cela me paraît très difficile à croire. Il se peut que des généraux turcs fassent partie d’une commission de suivi mais je doute que cela aille plus loin car les Arméniens, et surtout leurs alliés russes, ne l’accepteront pas. L’unité apparente entre la Russie et la Turquie n’est qu’une façade. Selon la presse turque, l’armée russe aurait abattu cette semaine une dizaine de drones turcs. De plus, le conflit est parti pour s’enliser contrairement à ce que pensaient les belligérants, ce qui impliquerait un investissement turc de longue durée. Lorsqu’on regarde en effet le discours tenu par Ilham Aliyev au début de la reprise des hostilités, on se rend compte que le président azéri estimait que le conflit allait prendre fin en 48 heures. Ce dernier avait même lancé un ultimatum aux forces indépendantistes arméniennes, leur conseillant de se rendre si elles ne voulaient pas mourir. Or nous sommes actuellement à plus de 25 jours de combats et la guerre foudroyante attendue, qu’on surnomme « blitzkrieg », n’a pas eu lieu. La partie arménienne a perdu certaines localités mais elle continue de résister et la partie azérie est très loin d’entrer dans le cœur du Haut-Karabakh.

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Justement, où en est-on du rapport de force sur le terrain ?

Nous manquons totalement d’informations sur la situation sur le terrain, d’autant plus que l’Azerbaïdjan ne communique jamais sur ses morts. Ce pays semble détenir la supériorité dans les airs. Mais s’il en venait à perdre l’usage de ses avions et de ses drones, comme les potentielles attaques russes contre les drones turcs peuvent le laisser penser, son avantage stratégique se perdrait totalement. Cette semaine, la partie arménienne a par exemple annoncé avoir repris la ville de Jabrayil, capturée par la République autoproclamée en 1993 et reprise par les Azéris le 9 octobre dernier avec faste et propagande. Selon les sources sur place, le moral des troupes arméniennes serait très bon. En est-il de même du côté azéri ? Le doute subsiste. Des scènes de chaos auraient en tout cas été constatées parmi les mercenaires syriens. Ce qu’on peut craindre au vu de la situation, c’est que cette guerre s’enlise davantage si aucune intervention extérieure n’a lieu.

Deux cessez-le-feu ont été proclamés avant d’être immédiatement rompus. Comment peut-on l’expliquer ?

L’Azerbaïdjan pensait, au début du conflit, avoir une supériorité stratégique dans les affrontements. Le cessez-le-feu n’était donc pas dans son intérêt, et les forces azéries ont poursuivi les combats. Les Arméniens, qui auraient vraisemblablement respecté le cessez-le-feu, ont ainsi perdu de l’avance. Mais il est nécessaire de lancer une commission d’enquête pour savoir comment les choses se sont réellement déroulées. L’une des raisons pour lesquelles les deux cessez-le-feu n’ont pas été respectés est qu’il n’y a aucune force d’interposition pour suivre leur application. D’un côté, la Russie ne souhaite pas sacrifier l’Arménie. De l’autre, elle poursuit sa stratégie impériale, remontant au XIXe siècle, qui consiste à ne jamais s’interposer dans un conflit pour continuer à jouer son rôle d’arbitre. Le pays tente en effet d’équilibrer les forces en présence. Moscou a dénoncé, jeudi, l’occupation des territoires azéris. Mais il a également rappelé le génocide infligé aux Arméniens en 1915, auquel renvoie le conflit du Haut-Karabakh. Pour le Kremlin, l’urgence n’est peut-être pas nécessairement la fin du conflit. Ce qui est cependant certain, c’est que la Russie s’inquiète de la présence de Turcs dans la région, et surtout de jihadistes syriens. Cette semaine, les deux parties en conflit se sont dit prêtes pour une nouvelle trêve. Il semble qu’un troisième cessez-le-feu se prépare, Ilham Aliyev et Nikol Pachinian ayant fait part de leur volonté de se rendre à Moscou.

Peut-on faire le parallèle entre l’attitude actuelle de la Turquie et celle de l’Empire ottoman en 1915, lors du génocide arménien ?

Il faut tout d’abord rappeler que le contexte est très différent. L’Arménie en tant qu’État n’est pas menacée car il y a une alliance stratégique entre elle et la Russie. Les frontières arméniennes ainsi que son espace aérien sont protégés par l’armée russe. De ce point de vue, il est difficilement imaginable qu’il puisse y avoir une invasion turco-azérie de l’Arménie en tant que république. Mais, d’un autre côté, le discours tenu par la Turquie est un discours de génocide. En Turquie comme en Azerbaïdjan, on assiste à un discours ultranationaliste, islamiste et social darwiniste, qui présente les nations comme des espèces en guerre les unes contre les autres et qui déshumanise totalement les Arméniens. Ce discours donne l’impression qu’une nouvelle page du génocide est ouverte. C’est de l’ordre de la parole, certes, mais la parole tue. Le Haut-Karabakh est aujourd’hui vidé de sa population, avec au moins 1 000 morts côté arménien. Or il ne faut jamais oublier que le discours peut tuer, un discours de meurtre, c’est un discours qui tue.

Alors qu’Arméniens et Azerbaïdjanais s’affrontent depuis près d’un mois au Haut-Karabakh, l’implication de la Turquie interroge sur la stratégie poursuivie par Ankara dans la région. Hamit Bozarslan, historien et politologue spécialiste du Moyen-Orient et de la Turquie, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), revient sur la politique...

commentaires (3)

C'est pas fni , il veut les îles grecques du Dedocanese et l'île de Crète et quoi encore peut etre le nord. Est de la Grece.......

Eleni Caridopoulou

18 h 36, le 27 octobre 2020

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Commentaires (3)

  • C'est pas fni , il veut les îles grecques du Dedocanese et l'île de Crète et quoi encore peut etre le nord. Est de la Grece.......

    Eleni Caridopoulou

    18 h 36, le 27 octobre 2020

  • LE GENOCIDAIRE ERDO L,APPRENTI MINI SULTAN OTTOMAN POURSUIT LES ARMENIENS JUSQUE DANS LE CAUCASE POUR ACHEVER LES RESCAPES DU GRAND ET PREMIER GENOCIDE DE L,HISTOIRE ET DE LEURS ENFANTS PERPETRE PAR SES AIEUX CRIMINELS OTTOMANS. GRANDES PUISSANCES REVEILLEZ-VOUS, ARRETEZ LE GENOCIDE ET METTEZ FIN A CE NOUVEAU GENOCIDAIRE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    20 h 20, le 26 octobre 2020

  • "Celle-ci n’a jamais pris de mesures concrètes contre Recep Tayyip Erdogan même si les menaces n’ont pas manqué. " Je n'ai jamais compris comment nos présentateurs/trices du JT ont décidé que les prénoms du président se lisent en arabe(Rajab Tayyeb), alors que son nom se lit en français...Heureusement qu'ils n'appliquent pas la même technique à Vladimir Putin...

    Georges MELKI

    11 h 10, le 26 octobre 2020

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