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Environnement - Déchets

À Bchennine, les émanations toxiques d’une décharge empoisonnent les habitants

Face à l’incinération des ordures en plein air, dans un site totalement incontrôlé qui leur a été imposé, les habitants de cette région de Zghorta se sentent incapables d’agir.

À Bchennine, les émanations toxiques d’une décharge empoisonnent les habitants

La fumée qui se dégage de l’incinération des déchets à l’air libre a couvert toute la région de Bchennine et les régions avoisinantes. Photo DR

Lundi matin, un nuage grisâtre a recouvert le ciel de la région de Bchennine, dans le caza de Zghorta, au Liban-Nord. En automne, un tel nuage aurait bien pu passer pour du brouillard, mais sa couleur qui vire au noir et son odeur suffocante éveillent les soupçons. En effet, la fumée qui apparaît dans une photo prise par un habitant du village est due à un incendie qui s’était déclenché la veille dans une décharge sauvage de la région. Une pratique courante, visant à réduire l’amas de déchets avant d’en rajouter de nouvelles tonnes en provenance des régions desservies. Sur le terrain, les informations se confirment. Sur la route menant à la décharge sauvage de Bchennine, il est impossible de se tromper de chemin : il suffit de suivre l’odeur qui flotte dans l’air jusqu’à donner la nausée pendant le jour et la fumée qui s’en échappe la nuit. À l’entrée de la décharge, située au bord de la rivière Qadicha, seuls les camions sont autorisés à circuler, l’accès au site étant interdit au public. En novembre 2019, dans une tentative de débarrasser les rues de la ville de Zghorta des déchets amassés à la suite de la fermeture de la décharge sauvage de Adoué (qui desservait quatre cazas, dont celui de Zghorta), le chef du parti des Marada, Sleiman Frangié, a pris la décision de les faire stocker sur un terrain à Bchennine, au grand dam des habitants de ce village. Alors qu’ils tentaient de protester contre cette mesure, certains avaient alors affirmé avoir été agressés par des partisans armés de M. Frangié qui étaient présents sur place lors de l’arrivée des camions (L’OLJ du 6 janvier 2020). Et ce bien que la majorité écrasante des habitants de Bchennine soient des partisans et sympathisants des Marada. Presque un an après la création de la décharge, qui avait été conçue à la base pour être temporaire, les autorités locales recourent désormais à l’incinération des déchets à l’air libre pour se débarrasser du trop-plein d’ordures afin de pouvoir stocker des quantités supplémentaires sur le site. Interrogé à ce sujet par L’Orient-Le Jour, le président de la municipalité de Zghorta-Ehden, Antonio Frangié, affilié au courant des Marada, responsable de la création de la décharge, affirme que Bchennine n’est pas du ressort de sa compétence territoriale et qu’il n’est donc pas concerné par l’affaire. Joint au téléphone par L’OLJ, le président de la Fédération des municipalités du caza de Zghorta, Zeiny Kheir, est quant à lui aux abonnés absents.


La décharge est directement située au bord de la rivière Qadicha. Photo Boulos Douaihy


Le sentiment d’être « écrasés »
À Bchennine, les habitants ont l’air abattu. Les bras ballants, ils reprennent la même expression qu’ils répètent comme une ritournelle depuis la création de la décharge : « Ceux qui détiennent les armes et le pouvoir sont plus forts que nous. » Antonio Khoury, propriétaire d’un commerce dans le village de Bchennine, a récemment préparé une pétition contre le site, que presque personne n’a eu le courage de signer. Dans ce petit village d’environ 300 habitants, dont 160 électeurs, les habitants restent terrorisés par l’agression dont ils ont été victimes lorsqu’ils se sont soulevés contre la création de la décharge. « Les habitants du caza se sentent “écrasés” par la force du fait accompli et ont l’impression d’être incapables d’agir », se plaint Antonio Khoury.

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« Nous n’avons pas dormi la nuit du dimanche à lundi de peur que les flammes n’atteignent notre maison », raconte Lichaa Challita, habitant de Bchennine et dont la maison est perchée sur une colline surplombant la décharge sauvage. « Entre 3 et 5 heures du matin, j’ai essayé d’appeler la Défense civile plusieurs fois, sans succès », ajoute-t-il. Selon lui, l’incinération des déchets dans la décharge se déroule au moins une fois par semaine. « Les responsables de la décharge déclenchent un feu vers minuit, et c’est la Défense civile qui se charge de l’éteindre vers l’aube, mais lorsque ce sont les habitants qui en appellent à la Défense civile, ils restent sans réponse », déplore-t-il.

M. Khoury abonde : « Dans la nuit de dimanche à lundi, le feu qu’on déclenche d’habitude aurait échappé au contrôle des gardiens présents sur place et dégénéré en un véritable incendie. » Et M. Khoury de poursuivre : « Des agents de la police viennent inspecter les lieux et s’en vont aussitôt, comme s’il s’agissait d’une promenade dans les bois. »

Selon lui, le crime environnemental que constitue la décharge de Bchennine est aujourd’hui double parce que l’incinération des déchets à l’air libre ne fait qu’aggraver le problème. « Bientôt, avec les pluies diluviennes qui s’abattront sur la région, le crime sera encore aggravé par les déchets charriés par l’eau de la rivière Qadicha qui se déverse à Tripoli », s’insurge-t-il.

Émanations toxiques dans l’air
Najat Aoun Saliba, directrice du Centre de conservation de la nature à l’Université américaine de Beyrouth et spécialisée dans la pollution de l’air, certifie que l’incinération des déchets à l’air libre, surtout à proximité des quartiers résidentiels, est d’une toxicité sans égale. « Brûler des déchets est tellement toxique pour les êtres humains qu’il équivaut à du poison pur », s’indigne-t-elle. La fumée qui se dégage de l’incinération des déchets, relève-t-elle encore, contient des métaux lourds qui aggravent la pollution de l’air.

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« L’inhalation de ces matières toxiques nuit à tout le monde, mais surtout aux plus âgés, généralement plus vulnérables que les plus jeunes, et les enfants qui respirent à un rythme plus rapide que les adultes et aspirent donc une plus grande quantité de matières toxiques », explique-t-elle. Elle insiste notamment sur le fait que cette pollution est cancérigène.

Toujours selon Mme Aoun Saliba, cette pollution n’affectera pas seulement la génération actuelle, mais aussi les générations futures puisque les matières toxiques inhalées par les femmes seront transmises à leurs enfants au cours de la grossesse. « Nous sommes en train de nuire à des générations qui ne sont même pas nées ! » martèle-t-elle.

Lundi matin, un nuage grisâtre a recouvert le ciel de la région de Bchennine, dans le caza de Zghorta, au Liban-Nord. En automne, un tel nuage aurait bien pu passer pour du brouillard, mais sa couleur qui vire au noir et son odeur suffocante éveillent les soupçons. En effet, la fumée qui apparaît dans une photo prise par un habitant du village est due à un incendie qui s’était...

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