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Moyen-Orient - Enquête

Abandonnés à la naissance, ces bébés syriens jetés sur la route

De nombreux nouveau-nés ont été retrouvés, ces derniers mois, après avoir été laissés par leurs parents en Syrie. Depuis l’été 2019, 44 cas au moins ont été référencés par l’ONG Syrian for Truth and Justice. Ils pourraient être bien plus nombreux.

Abandonnés à la naissance, ces bébés syriens jetés sur la route

La petite Bara’ a été laissée dans un drap au pied du minaret de la mosquée d’al-Dana. Photo Abd Almajed Alkark

Le matin du 10 septembre dernier, Moufak Dib se lève tôt avec son épouse pour aller faire des courses. Le couple vit à Hassaké, dans le nord-est de la Syrie. Sur la route, à l’entrée d’un immeuble, le couple entend des pleurs… des pleurs de nourrisson. Tous deux cherchent d’où proviennent ces cris aigus, persuadés au départ que l’enfant est dans les bras de sa mère. Mais au bout de quelques minutes, ils découvrent, un peu à l’écart, au bord de la route, un sac-poubelle noir légèrement déchiré sur le côté. Moufak Dib comprend très vite qu’un bébé a été enfermé à l’intérieur et se précipite pour l’ouvrir. « Le bébé n’était né que depuis quelques heures, il était si petit », soupire le jeune activiste syrien. « Il avait du mal à respirer parce que le sac était fermé avec un nœud, comme si le fait de l’abandonner n’était pas déjà suffisant. Le contact du plastique lui avait brûlé le front. Il était aussi blessé à la bouche, griffé par un chat qui a très probablement tenté d’ouvrir le sac avant moi. Quand je l’ai vu là, j’ai eu envie de m’effondrer de désespoir. » Moufak Dib s’arrête et reprend son souffle : « Je ne souhaite à personne de vivre un tel moment. C’est comme s’il n’y avait plus aucune humanité, plus aucune pitié dans ce monde. » En juillet dernier, un autre bébé avait été retrouvé à une centaine de kilomètres de là, dans la ville de Qamechli, au nord-est du pays, dans une région contrôlée par les Forces démocratiques syriennes, une alliance arabo-kurde antijihadiste. Lui aussi a été abandonné à l’entrée d’un immeuble. Ces douze derniers mois, l’ONG Syrian from Truth and Justice a enregistré quarante-quatre cas d’enfants abandonnés, et ce sans avoir pu répertorier les abandons dans les régions sous le contrôle complet du régime de Damas qui refuse de communiquer des données sur ce sujet. « Les cas qui nous ont été remontés concernent tous des enfants qui ont moins d’un mois, parfois ils ne sont âgés que de quelques jours. Tous les abandons ne nous sont pas signalés donc le chiffre total est sûrement bien plus important. Certains enfants ne survivent pas et sont retrouvés morts », précise Bassam el-Ahmad, le cofondateur de l’ONG.

Salwa s’occupe désormais de la petite Bara’, en attendant de lui trouver ses vrais parents ou une famille adoptive. Photo Abd Almajed Alkark

Abandonner son enfant pour lui offrir un meilleur avenir

C’est dans la région d’Idleb, la dernière grande province aux mains des rebelles, que le nombre d’abandons augmente le plus vite. En moyenne, chaque mois, deux ou trois bébés sont retrouvés sur le bord des routes ou devant des mosquées. Le gouvernement de salut en charge de l’administration de la province d’Idleb indique à L’Orient-Le Jour qu’il « cherche une solution pour endiguer ces cas d’abandon ». Dans cette dernière enclave, qui échappe encore au contrôle total de Damas, s’entassent aujourd’hui plus de quatre millions de personnes selon l’ONU. La zone est en partie sous contrôle de Hay’at Tahrir al-Cham, considéré comme un groupe terroriste par l’ONU. Près de 2,5 millions sont des déplacés, ils vivent en majorité dans d’immenses camps où la situation humanitaire est catastrophique, désespérante même pour ces familles contraintes à l’exode depuis plusieurs années. La pauvreté pousse donc des parents à laisser leur bébé sur le bord des routes, espérant ainsi lui offrir un meilleur avenir.

Le 17 septembre 2020, un nourrisson a été retrouvé sur la route entre les villes d’Idleb et Sarmin. Emmitouflé dans une couverture, il portait un pyjama bleu. À côté de lui, un sac de couches et une boîte de lait en poudre, comme si sa famille voulait laisser à ceux qui allaient le trouver de quoi subvenir à ses besoins les premiers jours. Mais la pauvreté n’explique pas tout. « Les mauvaises conditions de vie sont l’une des raisons, mais il ne faut pas oublier également la pression de la communauté. Il y a des mariages forcés ici avec de très jeunes filles », explique Hala Ibrahim, une habitante d’Idleb, très active pour les droits des femmes. « Leurs familles les poussent à épouser un inconnu en pensant leur assurer un avenir. Quand elles tombent enceinte, elles tentent de le cacher et se débarrassent ensuite du nouveau-né. Et puis, il y a les relations hors mariage, les familles préfèrent abandonner les enfants nés de ces relations pour sauver leur honneur, leur réputation. Dans ces deux cas, les femmes sont contraintes par leur famille et leur communauté à commettre ce geste horrible. »

Photo prise d’une ruelle de la ville d’al-Dana dans la province d’Idleb. Photo Abd Almajed Alkark

L’impossible enquête pour retrouver les parents biologiques

Bara’ vit à al-Dana, dans la province d’Idleb. Le 29 avril dernier, il a trouvé un nourrisson, une petite fille, laissée dans un drap au pied du minaret de la mosquée. « Nous l’avons appelée Bara’, cela veut dire innocence. Avec les autorités locales, on a essayé de retrouver sa famille mais ça n’a rien donné. Moi, j’ai déjà cinq enfants, donc, après un mois avec nous, j’ai confié Bara’ à une famille que l’on connaît et qui n’a jamais pu avoir de bébé. Je la vois très souvent, elle va bien. »

Pour mémoire

À Idleb, le calvaire dès la maternité

Dans le code pénal syrien, abandonner son enfant est un délit passible de trois ans de prison. Mais dans les faits, aucune enquête n’est diligentée. « Par manque de moyens bien sûr », explique Bassam el-Ahmad. « Il n’y a pas de test ADN pour prouver que ces bébés sont les enfants d’un tel ou d’un tel. La loi syrienne prévoit une possible adoption, mais les familles qui les trouvent ne peuvent pas se rendre à Damas pour faire reconnaître cette adoption. Elles ont trop peur d’être arrêtées. » Et d’ajouter : « Ces enfants sont très vulnérables parce que, même placés au sein d’une famille, ils n’auront jamais de statut officiel. Ils peuvent donc disparaître sans que personne ne s’en soucie, ils peuvent être victimes de toute sorte de trafics d’êtres humains. »

À Hassaké, au nord-est de la Syrie, Moufak Dib, lui, espère toujours retrouver la famille du petit garçon qu’il a sorti du sac-poubelle le mois dernier. Le bébé grandit pour le moment avec lui et son épouse. Ils ne lui ont pas donné de prénom, probablement pour ne pas trop s’y attacher. « Nous essayons vraiment de retrouver ses parents, nous sommes allés dans plusieurs maternités pour voir si les médecins le reconnaissaient, mais jusqu’ici ça n’a rien donné. Pour le moment, nous préférons attendre avant de le confier à une autre famille, au cas où sa mère et son père biologiques regrettent leur geste et demandent à le récupérer. »

Le matin du 10 septembre dernier, Moufak Dib se lève tôt avec son épouse pour aller faire des courses. Le couple vit à Hassaké, dans le nord-est de la Syrie. Sur la route, à l’entrée d’un immeuble, le couple entend des pleurs… des pleurs de nourrisson. Tous deux cherchent d’où proviennent ces cris aigus, persuadés au départ que l’enfant est dans les bras de sa mère. Mais au...

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FAUT DISTRIBUER DES CONDOMS A LA POPULATION.

LA LIBRE EXPRESSION

15 h 31, le 10 octobre 2020

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Commentaires (2)

  • FAUT DISTRIBUER DES CONDOMS A LA POPULATION.

    LA LIBRE EXPRESSION

    15 h 31, le 10 octobre 2020

  • Y a-t-il un moyen d’adopter légalement un de ces enfants?? Que celle ou celui qui peut me répondre en connaissance de cause le fasse je vous prie. Je connais plusieurs personnes intéressées à adopter et à donner une belle vie à ces malheureux bébés. RSVP sur cette rubrique. Merci

    Khoury-Haddad Viviane

    07 h 20, le 10 octobre 2020

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