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Monde - Éclairage

Au Caucase, Erdogan sort Poutine de sa zone de confort

Alors que le Kremlin joue depuis 26 ans le rôle d’arbitre régional dans le conflit qui oppose les séparatistes pro-arméniens au gouvernement azéri dans le Caucase, le soutien renforcé d’Ankara à Bakou pourrait bien obliger Moscou à abandonner sa politique de neutralité.


Au Caucase, Erdogan sort Poutine de sa zone de confort

Un combattant du Haut-Karabakh contre les forces azéries, le 4 octobre 2020. RazmInfo/Armenian Defence Ministry/AFP

Vu de Moscou, le Caucase avait, depuis quelques décennies, presque des allures de long fleuve tranquille. Certes, le conflit pouvait reprendre à tout moment dans le Haut-Karabakh entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, mais le Kremlin demeurait sans conteste le maître du jeu. Celui qui fournit des armes aux deux belligérants et qui négocie la paix dans ce conflit gelé, comme il les affectionne. L’interventionnisme turc, qui soutient plus que jamais son allié azéri dans le contexte de la reprise des affrontements dans l’enclave séparatiste du Caucase, le 27 septembre, vient perturber les plans russes. En donnant un avantage militaire à Bakou, en menaçant le sacro-saint statu quo préservé par la Russie, Recep Tayyip Erdogan vient perturber Vladimir Poutine dans son pré carré. Au point de donner le sentiment que la Russie est un peu dépassée par la situation, confrontée à ses propres dilemmes dans le Caucase. De là à intervenir pour rééquilibrer les forces en faveur de l’Arménie ? Ou à négocier directement avec la Turquie un cessez-le-feu ?

Jusqu’à présent, le Kremlin assume son rôle de médiateur. Le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a appelé, dans un communiqué publié dimanche soir, à « un cessez-le-feu rapide », avant de réaffirmer sa volonté d’aider les belligérants à régler la crise au Haut-Karabakh, sous l’égide du Groupe de Minsk de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), que préside la Russie aux côtés des États-Unis et de la France. Une position que Moscou n’a pas intérêt à perdre. « Si le Kremlin a toujours entretenu des relations plus étroites avec l’Arménie qu’avec l’Azerbaïdjan, il tient surtout à maintenir l’équilibre des forces dans le Caucase », explique à L’OLJ Didier Billion, directeur adjoint de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). La preuve sur le terrain où la Russie arme les deux camps. Mais l’attitude d’Ankara va-t-elle bouger les lignes ?

Si la Turquie soutient historiquement l’Azerbaïdjan, son appui s’est renforcé depuis les récents affrontements qui ont secoué l’enclave caucasienne. Au-delà des déclarations offensives de Recep Tayyip Erdoğan à l’égard des séparatistes arméniens, le pays a engagé des moyens militaires sans précédent sur le terrain. Des mercenaires syriens auraient même été envoyés par Ankara dans le Haut-Karabakh. « Pour le Kremlin, la ligne rouge résiderait dans le déploiement de militaires turcs au sol », expose à L’OLJ Taline Papazian, spécialiste des conflits armés en ex-URSS et enseignante à l’Université d’Aix-Marseille. Un engagement que la Russie chercherait à tout prix à éviter. « Tout ce qui pourrait troubler l’ordre dans la région n’est pas dans son intérêt », relève Didier Billion.

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« La Russie retarde le moment où elle devra intervenir » La Russie pourrait-elle alors s’engager auprès de l’Arménie, son allié privilégié? Erevan a en effet rejoint des alliances politiques, économiques et militaires chapeautées par Moscou, notamment l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), fondée en 2002. L’Arménie y voit une manière de préserver sa sécurité. De son côté, Moscou a intérêt à maintenir ce partenariat stratégique pour garder son influence dans la région. « L’Arménie est le seul des trois États du Caucase du Sud, qui comprend également la Géorgie et l’Azerbaïdjan, à entretenir des relations de ce niveau avec la Russie », souligne Taline Papazian.

À cela s’ajoute la concurrence avec l’Azerbaïdjan, riche en gaz et en pétrole, sur la question des hydrocarbures. Plusieurs pipelines appartenant à l’Azerbaïdjan passent par le Géorgie puis la Turquie pour rejoindre la Méditerranée. « La Russie, qui approvisionne également l’Europe, garde un œil sur Bakou pour ne pas perdre sa domination sur le marché mondial du gaz », ajoute Didier Billion.

Cette alliance stratégique entre la Russie et l’Arménie semble cependant fragilisée par la relation entre le président arménien Nikol Pachinian et Vladimir Poutine. Si le Kremlin s’est toujours senti plus proche de l’Arménie orthodoxe que de l’Azerbaïdjan chiite, le leader russe s’identifie davantage au dirigeant autoritaire azéri qu’au président arménien, libéral et pro-occidental. Les récents propos de l’oligarque russe Evgueni Prigojine, surnommé le « cuisinier de Poutine » et qui serait le patron du groupe « Wagner » qui envoie des mercenaires notamment en Syrie et en Libye, donnent peut-être une idée de la perception de Moscou. « Tant que les Turcs ne franchissent pas la frontière arménienne, ils ont le droit légal d’intervenir dans le conflit du Haut-Karabakh », a récemment déclaré ce proche du président russe.

Face à l’attitude ambivalente de Moscou, le doute plane sur une possible intervention au Haut-Karabakh. « La Russie retarde le moment où elle devra intervenir. Son intérêt est de prendre la main dans la désescalade du conflit, pas d’y intervenir » , explique Taline Papazian. Des tractations diplomatiques lancées par la Russie sont déjà en cours, selon une source diplomatique proche du dossier. Mais si Erevan s’est dit prêt, samedi, à entamer une médiation avec le groupe de Minsk, rien n’indique que Bakou suivra cette voie, encouragé semble-t-il par son allié turc à renverser le statu quo avant de négocier un cessez-le-feu.

Vu de Moscou, le Caucase avait, depuis quelques décennies, presque des allures de long fleuve tranquille. Certes, le conflit pouvait reprendre à tout moment dans le Haut-Karabakh entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, mais le Kremlin demeurait sans conteste le maître du jeu. Celui qui fournit des armes aux deux belligérants et qui négocie la paix dans ce conflit gelé, comme il les...

commentaires (4)

C'est comme en 1956 l'occident envahi Suez, et l'URSS envahie la Hongrie. La Russie est active dans le conflit syrien contre l’intérêt turc, et la Turquie active dans le conflit du haut Carabas contraire aux intérêts de Moscou.

DAMMOUS Hanna

15 h 28, le 06 octobre 2020

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Commentaires (4)

  • C'est comme en 1956 l'occident envahi Suez, et l'URSS envahie la Hongrie. La Russie est active dans le conflit syrien contre l’intérêt turc, et la Turquie active dans le conflit du haut Carabas contraire aux intérêts de Moscou.

    DAMMOUS Hanna

    15 h 28, le 06 octobre 2020

  • americanosionistes

    Chucri Abboud

    14 h 29, le 06 octobre 2020

  • La France (et derrière elle l'Europe) ont un énorme interêt maintenant à se rapprocher de la Russie afin de neutraliser enfin cette Turquie insupportable et turbulente qui fait le jeu des américanosiobistes !

    Chucri Abboud

    14 h 27, le 06 octobre 2020

  • Il faut lier la resolution de ce conflit dans le caucase avrc celui de la Syrie......exiger que Moscou quitte la Syrie et la Turquie en fera de meme en Azerbadjan.

    HABIBI FRANCAIS

    09 h 45, le 06 octobre 2020

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