Très attendu depuis que le Premier ministre désigné, Moustapha Adib, s’était récusé, le discours du président français Emmanuel Macron, dimanche soir, a marqué un changement de ton fondamental par rapport à ses toutes premières interventions depuis le lancement de son initiative destinée à extirper le Liban de sa crise.
L’emploi de mots durs à l’égard de la classe politique dans son ensemble, et plus spécifiquement du Hezbollah qu’il n’a plus cherché à ménager cette fois-ci, a été quelque peu contrebalancé par la politique de la porte ouverte et de la main tendue par le président français qui s’est dit toujours engagé en faveur du peuple libanais, en dépit des manœuvres politiciennes locales auxquelles il a fait assumer la responsabilité d’avoir fait échouer son initiative.
Ce sont des termes forts, humiliants parfois, que l’Élysée a utilisés pour qualifier le coup de poignard dans le dos qui lui a été porté par la classe politique, mais surtout par le parti chiite. Car c’est principalement sur ce dernier qu’Emmanuel Macron avait misé pour faire réussir sa mission, conscient du poids du Hezbollah au Liban.
Entre le ton conciliant de M. Macron qui, lors de la réunion à la Résidence des Pins avec les chefs de file politiques, le 1er septembre, avait été jusqu’à lancer une boutade au député du Hezbollah Mohammad Raad, lui disant qu’il défendait mieux que lui les intérêts du parti, et les reproches multiples faits dimanche au parti pro-iranien, le fossé est grand.
Certes, M. Macron avait clairement dit lors de sa dernière visite qu’il ne se faisait pas d’illusions sur la distinction entre les volets militaire et politique du Hezbollah, mais qu’il comptait miser plutôt sur ce dernier. Un pari sur lequel le président français a toutefois exprimé des doutes dimanche.
Le Hezbollah « ne peut pas en même temps être une armée en guerre contre Israël, une milice déchaînée contre les civils en Syrie et un parti respectable au Liban. Il ne doit pas se croire plus fort qu’il ne l’est ». Une phrase qui sonne comme une menace et qui n’est pas sans rappeler le style employé par l’administration américaine.
M. Macron s’est même aventuré à toucher la corde sensible chez le tandem chiite en accordant des circonstances atténuantes au chef du Parlement, Nabih Berry, misant ainsi sur la fragilité des rapports entre Haret Hreik et Aïn el-Tiné. Tout en reprochant à Amal et au Hezbollah d’avoir décidé « explicitement que rien ne devait changer », il a ajouté, comme pour enfoncer le clou : « À chaque étape, ils ont dit qu’ils voulaient nommer leurs ministres, et le président Berry a reconnu que c’était une décision du Hezbollah. »
Une tentative considérée dans les milieux du Hezb, comme étant « malheureuse » et de « mauvais goût ». « C’est un peu comme si M. Macron avait ses agents secrets à Aïn-el Tiné », commente une source proche du parti de Dieu.
« Ton condescendant et moralisateur »
Le président français, qui se dit « trahi » du fait que le Hezbollah ne lui ait rien concédé en contrepartie de sa reconnaissance de son rôle politique au Liban, ne pouvait certainement pas faire moins que de tancer ceux qui l’ont déçu. C’est à un exercice d’équilibriste qu’il s’est donc livré, notamment en s’adressant au Hezbollah.
« Il avait la difficile tâche qui consistait en même temps à apparaître ferme et à dissiper l’image de naïveté que la France avait acquise dans son approche conciliante du départ », commente Joseph Bahout, directeur de l’Institut Issam Farès pour les politiques publiques et internationales. Avec le Hezbollah en particulier, l’acrobatie était toute aussi limite, puisqu’il ne fallait pas qu’on lui reproche un manque d’aplomb à l’égard du tandem chiite. Il fallait en même temps éviter de glisser vers le radicalisme et l’intransigeance américains, explique encore M. Bahout. Un exercice relativement bien réussi selon l’expert, et qui en définitive était « honnête et politiquement intelligent ».
De l’avis de plusieurs observateurs, le président français a en effet su jongler dans les méandres de la politique libanaise et distribuer, selon des dosages plus ou moins contestés, les responsabilités entre les différents protagonistes, reprochant aux acteurs politiques libanais une « trahison collective ». Ce n’est pas toutefois ce qu’on en pense au niveau de la base du Hezbollah, où le mécontentement serait à son paroxysme, à en croire un analyste proche du parti chiite.
« Le président français n’a pas été équilibré en effectuant son constat. Il s’est acharné contre le Hezbollah qu’il a nommé une dizaine de fois au moins dans son discours et n’a consacré à Saad Hariri qu’un malheureux reproche », estime cet analyste. Un déséquilibre qui est d’autant plus injustifié selon lui que le chef de l’État français a entretenu le flou sur plusieurs questions afférant au gouvernement, ne s’étant jamais prononcé ni sur la rotation des portefeuilles ni sur le rôle exact dévolu aux partis politiques.
L’analyste dénonce ainsi le ton « condescendant et moralisateur » utilisé par M. Macron non seulement à l’égard du Hezbollah, mais envers ses alliés et le président Michel Aoun. « Ce ne sont pas des propos dignes d’un chef d’État », dit-il, tout en se gardant bien d’affirmer que son avis reflète celui du parti chiite, dont le secrétaire général doit s’exprimer aujourd’hui à 20h30. Dès la fin du discours du président français dimanche soir, des propos négatifs à l’égard de ce dernier ont commencé à circuler sur Twitter, attribués à des internautes dans la mouvance du Hezbollah, sous le mot-dièse « Macron, respectez vos limites ». À noter que la chaîne du parti chiite, al-Manar, s’est abstenue pour l’instant de commenter, dans son éditorial, le discours du chef de l’État français, laissant cette tâche au chef du parti.
Pour Kassem Kassir, un autre analyste proche de la formation chiite, les propos de M. Macron « sont certes durs à avaler. Mais le fait que l’initiative se poursuive et peut bénéficier d’un nouveau délai de six semaines est une bonne chose pour le Hezb », dit-il en évoquant la politique « de patience et de ténacité jusqu’à la présidentielle américaine ».
Ce scénario arrange parfaitement le parti chiite à qui l’on a d’ailleurs reproché d’avoir tergiversé et bloqué la naissance d’un gouvernement qu’il ne souhaitait pas voir émerger avant que ne s’éclaircisse la situation du côté américain. Une échéance dont M. Macron a saisi l’importance, en évoquant une nouvelle chance, une dernière encore, que le Liban officiel doit saisir, d’ici à six semaines, soit une semaine après la présidentielle américaine prévue le 3 novembre.
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"""Le Hezbollah « ne peut pas en même temps être une armée en guerre contre Israël, une milice déchaînée contre les civils en Syrie et un parti respectable au Liban. Il ne doit pas se croire plus fort qu’il ne l’est ». Une phrase qui sonne comme une menace et qui n’est pas sans rappeler le style employé par l’administration américaine.""" Ouf, le Hezbollah est sur assez de fronts pour qu’il riposte à la fois à toutes ces attaques. En poursuivant ses déplacements, (Macron est aujourd’hui à Vilnius pour jouer les intermédiaires), il multiplie les postures et les attaques et personne n’a perdu de vue les prochaines élections présidentielles françaises. Ce n’est pas sans rappeler le style employé par les Américains, mais celui d’Israël et par cette déclaration : ""le Hezbollah ne doit pas se croire plus fort qu’il ne l’est"", non seulement il apporte de l’eau au moulin israélien, mais un démenti formel à la victoire divine de 2006. Voilà un retour à la réalité, en se laissant enfoncer dans l’eau boueuse de la politique libanaise, quand on est bien informé sur l’Orient compliqué, et conseillé par un ancien ambassadeur français au Liban.
L'ARCHIPEL LIBANAIS
18 h 15, le 29 septembre 2020