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Politique - Éclairage

L’Arabie saoudite s’invite dans la danse régionale, tout en tapant sur le Hezbollah et l’Iran

Des analystes saoudiens placent le discours du roi Salmane à l’ONU dans un contexte plus large, même si ses propos sur le volet libanais étaient « clairs et directs ».

L’Arabie saoudite s’invite dans la danse régionale, tout en tapant sur le Hezbollah et l’Iran

Le roi Salmane prononçant son discours lors de l’Assemblée générale des Nations unies, par visioconférence, le 23 septembre. Palais royal saoudien/AFP

Le discours particulièrement virulent du roi d’Arabie saoudite Salmane ben Abdelaziz à l’égard de l’Iran et du Hezbollah, prononcé mercredi dernier à l’Assemblée générale de l’ONU, a suscité une série d’interrogations quant à sa portée libanaise. Alors que l’Arabie saoudite semblait avoir pris quelques distances, ces dernières années, avec la scène libanaise, le discours du roi pourrait marquer un regain d’intérêt pour les affaires libanaises, même si, selon plusieurs analystes, le véritable message serait plutôt adressé à ses alliés internationaux. S’exprimant pour la première fois devant l’ONU par vidéoconférence, le roi Salmane a largement fait assumer au Hezbollah, qui selon lui paralyse par la force des armes les institutions publiques et constitutionnelles, la responsabilité politique de l’explosion du 4 août dernier au port de Beyrouth. Avant de constater sans ambages que la solution aux multiples problèmes et dysfonctionnements du Liban passe inéluctablement par le désarmement du parti chiite lequel exerce sur le pays une hégémonie commanditée par l’Iran, a poursuivi le monarque wahhabite.

Cette prise de position et la dureté des propos prononcés à l’encontre du redoutable adversaire iranien et son bras libanais tranchent avec ce qui ressemblait à une certaine distanciation ces dernières années, même si la diplomatie saoudienne continuait de plaider en faveur de la sécurité et la stabilité du Liban, de son maintien au sein de son environnement arabe et du respect de la Constitution de Taëf dont elle est le parrain. Autant de constantes que le roi a certes rappelées mercredi dernier, mais en évoquant aussi frontalement le mal que représente l’arsenal du Hezbollah qui a fait avorter les aspirations des Libanais, selon lui.

Survenus au lendemain de l’initiative de Saad Hariri, qui tentait un coup ultime pour sauver l’initiative française et la naissance du gouvernement Adib en acceptant que le portefeuille des Finances soit accordé aux chiites, les propos du roi Salmane ont été interprétés par certains comme une mise en garde adressée au chef du courant du Futur contre toute compromission supplémentaire face au Hezbollah.

Pour Randa Slim, chercheuse au Middle East Institute, le timing de cette escalade n’est pas innocent. « C’est un message clair de la part de la plus haute autorité du royaume à ses alliés libanais que le modus vivendi avec le Hezbollah n’est plus acceptable », dit-elle. Une position qui s’aligne, d’après elle, sur la stratégie des États-Unis de pression maximale contre l’axe iranien.

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Un avis que ne partagent toutefois pas des experts en politique saoudienne qui estiment que le discours du roi n’est ni adressé à M. Hariri, ni relatif à l’initiative française que Riyad soutenait d’ailleurs.

Un contexte spécifique

C’est ce que pense notamment l’écrivain et analyste Radwan Sayyed, proche des milieux saoudiens, qui place le discours du roi Salmane dans un contexte plus large, même si ses propos sur le volet libanais étaient « clairs et directs ». Si, dit-il, le grand problème pour l’Arabie saoudite est à n’en point douter l’Iran et sa politique d’expansion dans la région, dont le Liban est l’illustration parfaite, le roi, qui a évoqué l’ensemble des crises qui secouent la région, ne pouvait ignorer la situation du Liban à la lumière de l’aggravation de la crise économique et de la tragédie du port.

La tribune, celle de l’ONU qui fêtait son 75e anniversaire, et le contexte, l’Arabie saoudite fêtait en même temps sa fête nationale, sont également à prendre à considération pour décrypter la portée du discours saoudien. C’est donc à une audience internationale et non à une audience restreinte, régionale ou libanaise en l’occurrence, que le roi s’adressait en exposant les fondements de sa politique étrangère dans un Proche-Orient en pleine mutation, où les États cherchent actuellement à tracer leurs nouveaux repères en redéfinissant leurs alliances. L’ancien député Farès Souhaid abonde dans ce sens. « Il faut placer le discours du roi dans le cadre d’un remodelage dans la région », dit-il. Comprendre, non point à partir d’une vision libano-centrée même si le Liban est au cœur de la problématique régionale. M. Souhaid rappelle au passage les deux islamismes qui font le plus peur à l’Arabie saoudite, celui de la République théocratique iranienne et celui de la Turquie, représenté par la ligne des Frères musulmans.

Riyad chercherait ainsi à définir sa position en prélude aux changements qui ont actuellement lieu et en vue de contrer les défis en perspective, d’où le ton dur adopté à l’encontre de l’Iran.

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À l’aune de l’empressement de plusieurs pays de la région à rejoindre le processus de normalisation avec Israël, l’Arabie saoudite, à laquelle le président américain Donald Trump avait promis la constitution d’un front commun face à Téhéran en contrepartie de sa reconnaissance de l’État d’Israël, pourrait déjà lorgner dans cette direction, ou du moins préparer le terrain.

Danger existentiel

Dans les milieux universitaires et médiatiques saoudiens, l’accent est plutôt mis sur le « danger existentiel » que représentent désormais aux yeux de l’Arabie saoudite l’Iran et ses alliés à l’œuvre dans la région. Pour le journaliste Hussein Shobokshi (al-Chark al-Awsat) tout comme pour Khaled Batarfi de l’Université al-Fayçal, c’est sur le caractère subversif et déstabilisateur de l’Iran et du Hezbollah dans la région que le roi a voulu insister en interpellant l’opinion internationale.

« Le Hezbollah est devenu un danger pour la sécurité du monde arabe en général, dont celle de l’Arabie saoudite et du Golfe », fait valoir M. Shobokshi. L’analyste considère que le processus de délimitation des frontières maritimes et terrestres entre le Liban et Israël est à même de mettre un terme aux affrontements entre le Hezbollah et Israël selon la formule qui dit que l’extraction du gaz et du pétrole et la logique de la perpétuation de la guerre avec Israël ne vont pas de pair. « Ce que craint le plus l’Arabie saoudite est que le potentiel militaire du Hezbollah soit alors dirigé vers le cœur du monde arabe », dit-il.

Un avis qui se rapproche de celui de Khaled Batarfi, professeur adjoint à l’Université al-Fayçal. Selon lui, les « activités criminelles » du Hezbollah, dont le projet consistait depuis les années 80 à exporter la révolution dans les contrées arabes, se sont diversifiées et ont fini par atteindre l’Europe, l’Afrique et l’Amérique du Sud. « L’Arabie saoudite a dû faire face à cette politique de déstabilisation des décennies durant. Le monde ne voulait pas l’entendre (…). Le roi Salmane espère que sa voix sera aujourd’hui entendue », conclut M. Batarfi.

Le discours particulièrement virulent du roi d’Arabie saoudite Salmane ben Abdelaziz à l’égard de l’Iran et du Hezbollah, prononcé mercredi dernier à l’Assemblée générale de l’ONU, a suscité une série d’interrogations quant à sa portée libanaise. Alors que l’Arabie saoudite semblait avoir pris quelques distances, ces dernières années, avec la scène libanaise, le...

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Ni l'Arabie Saoudite, ni l'Iran ni la Turquie ne doivent se mêler dans les affaires intérieures du Liban, mais la réalité du terrain est hélas très différente. Les divisions internes qui minent la vie politique libanaise, ne pourront être aplanies que si les puissances régionales laissent les Libanais résoudre eux-mêmes leurs problèmes.

Tony BASSILA

09 h 17, le 28 septembre 2020

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Commentaires (1)

  • Ni l'Arabie Saoudite, ni l'Iran ni la Turquie ne doivent se mêler dans les affaires intérieures du Liban, mais la réalité du terrain est hélas très différente. Les divisions internes qui minent la vie politique libanaise, ne pourront être aplanies que si les puissances régionales laissent les Libanais résoudre eux-mêmes leurs problèmes.

    Tony BASSILA

    09 h 17, le 28 septembre 2020

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