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Culture - Roman graphique

Partir, mourir, revenir, est-ce le destin des Libanais ?

En 2007, l’illustratrice et auteure libanaise Zeina Abirached avait écrit le roman illustré « Mourir, partir, revenir. Le jeu des hirondelles ». Treize ans plus tard, elle augmente l’ouvrage d’une vingtaine de pages. Pour revenir sur diverses questions, dont l’exil.


Partir, mourir, revenir, est-ce le destin des Libanais ?

Zeina Abirached : « Depuis la thaoura, les espaces quadrillés par la guerre ont été réinvestis. »

Qu’est-ce que la mémoire ? Un simple stockage d’informations et d’événements ? Ou une restitution de tous ces souvenirs, pris en otages puis libérés à travers des émotions confondues ? Ou même les deux à la fois ? C’est ce que l’illustratrice et auteure Zeina Abirached a toujours voulu montrer dans ses romans illustrés en noir et blanc qui parlent de Beyrouth, la ville où elle est née. Elle publie, en 2007, Mourir, partir, revenir. Le jeu des hirondelles aux éditions Cambourakis, troisième album après Beyrouth Catharsis et 38, rue Youssef Semaani en 2006, toujours à la même maison d’édition. Dans ce récit poignant, Abirached arpente les ruelles de sa mémoire, fouillant dans le bitume pour y faire ressortir des sensations encore inédites. 1984. Beyrouth est toujours en guerre. Dans un immeuble à proximité de la ligne de démarcation, deux enfants attendent le retour de leurs parents, partis rendre visite à la grand-mère, en compagnie de leurs voisins et amis : la vieille Anhala, Chucri le gardien, Ernest Challita l’ancien professeur, entre autres. Si le livre retrace un moment de la jeunesse de l’auteure à Beyrouth, et plus spécialement dans leur immeuble d’où ils ne pouvaient quasiment pas sortir pendant la guerre dans ces années 80, les planches témoignent d’une ville fragmentée, coupée d’abord en deux puis en trois, en quatre… Jusqu’à se rétrécir à l’infini. Un graphisme parfois claustrophobe où un trafic de lignes, de traits symétriques laisse parfois la place à des pages quasiment blanches que le lecteur peut à sa guise remplir par ses propres souvenirs.


Une édition augmentée de « Mourir, partir, revenir. Le jeu des hirondelles » vient de paraître. Photos DR


Le passé ressuscité

Quelques années plus tard, voire des décennies plus tard, une certaine thaoura réveille en Zeina – établie dès l’âge de 23 ans en France sans toutefois cesser de revenir au Liban comme cet oiseau migrateur qu’est l’hirondelle – des souvenirs profondément enfouis. Elle décide d’augmenter cette même édition d’une vingtaine de pages. « J’ai commencé l’écriture en février 2020 car j’y ai vu comme un retour symbolique sur l’actualité, confie-t-elle. L’histoire de Beyrouth et de ses bouleversements n’était malheureusement pas un chapitre clos. Chaque année, une strate venait s’ajoutait à son histoire tumultueuse et j’ai pensé qu’il était bon de continuer ce roman graphique. » L’auteure y évoque encore l’espace reconquis, la ville et son urbanisme ainsi que la liberté d’expression. « Durant la guerre, poursuit-elle, les espaces nous avaient été confisqués. Ils étaient interdits aux Libanais. La thaoura s’est réapproprié ces espaces, brisant toutes les limites et les divisions sectaires. Puis il y eut l’explosion meurtrière et criminelle du 4 août qui était venue faire rejaillir des états d’âme, des angoisses, des frayeurs que tout le monde croyait oubliés. Et d’autre part signer la mise à mort d’une mémoire collective déjà ébranlée. » Alors que durant la guerre, le seul refuge possible était la maison, ses murs qui nous étreignaient et ses « corridors » qui nous enlaçaient, le 4 août est venu démontrer le contraire. Le foyer, qu’on croyait apaisant et maternel, vole en éclats et devient meurtrier à son tour. Même les repères du quotidien allaient disparaître de nouveau, faisant du présent un amas de souvenirs rejoignant les précédents.

Récupérer les fragments de mémoire

« Je me souviens au lendemain de la fin de la guerre dans les années 90, mon père nous avait emmenés au centre-ville, mon frère et moi, pour nous indiquer les points de repère de sa jeunesse devenus évanescents sur un amas de gravats. “Tel était la ligne du tramway, disait-il, ici la Pâtisserie suisse qui faisait les meilleurs choux à la crème...” Quand je suis revenue à Beyrouth après ce funeste 4 août, je me suis retrouvée à indiquer, tout comme mon père, la signification de chaque pierre de Gemmayzé. J’avais besoin de garder des traces des lieux disparus. »

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« Nous sommes la culture de la vie, ils sont la culture de la mort »

Cette édition augmentée du Jeu des hirondelles est un jeu de miroirs qui résonne encore en nous. La solidarité créée dans les couloirs de maisons qui accueillaient durant la guerre tous les voisins pour les abriter des bombes a été réveillée le 4 août au sein de la population. Tant au moment de l’explosion – tous ceux et celles qui ont transporté les blessés en voiture, moto ou même sur leur dos – qu’au lendemain, avec ceux et celles qui ont balayé, nettoyé, aidé à reconstruire les demeures détruites. Un mouvement unificateur, plus large, du jamais-vu jusqu’à présent.

« Mais mon récit évoque aussi d’autres problèmes, comme ceux de l’émigration et de l’amnésie. » Le Liban est-il devenu ce pays qu’on quitte parce qu’on ne peut plus y vivre et parce qu’on y meurt ? C’est une phrase qu’un certain Florian avait écrite sur un mur situé entre les deux parties divisées de la ville en 1982.

Zeina Abirached va aller en quête de ce Florian, sans jamais le retrouver. Mais, comme elle l’écrit dans son livre : « Dans un pays où le programme d’histoire dans les livres scolaires s’arrête comme les souvenirs de ma grand-mère, c’est-à-dire le 13 avril 1975, il a contribué à transmettre une part de notre mémoire. » Désormais les territoires, jadis quadrillés par la guerre, ont été réinvestis et la mémoire n’est plus amnésique.

Qu’est-ce que la mémoire ? Un simple stockage d’informations et d’événements ? Ou une restitution de tous ces souvenirs, pris en otages puis libérés à travers des émotions confondues ? Ou même les deux à la fois ? C’est ce que l’illustratrice et auteure Zeina Abirached a toujours voulu montrer dans ses romans illustrés en noir et blanc qui parlent de Beyrouth, la ville où...

commentaires (2)

Cette BD présente la vie à Beyrouth, pendant la guerre des années 80, avec une telle sincérité qu'elle a fait rejaillir en moi les émotions étouffées depuis mon départ du pays. Le style de Zeina ABIRACHED fait qu'à chaque fois qu'on relit la BD on retrouve de nouveaux messages, tels des trésors cachés derrière chaque illustration et derrière chaque mot. Merci Zeina pour ce délice.

Gaston M.

14 h 32, le 17 septembre 2020

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Commentaires (2)

  • Cette BD présente la vie à Beyrouth, pendant la guerre des années 80, avec une telle sincérité qu'elle a fait rejaillir en moi les émotions étouffées depuis mon départ du pays. Le style de Zeina ABIRACHED fait qu'à chaque fois qu'on relit la BD on retrouve de nouveaux messages, tels des trésors cachés derrière chaque illustration et derrière chaque mot. Merci Zeina pour ce délice.

    Gaston M.

    14 h 32, le 17 septembre 2020

  • vraiment? J.P

    Petmezakis Jacqueline

    14 h 19, le 15 septembre 2020

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