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Culture - Rencontre

Passer les pinceaux à ceux qui restent pour colorer de nouveau Beyrouth...

« Dihzahyners » est le nom que Lana Chukri et son partenaire Gebran Elias ont choisi pour leur ONG. Phonétiquement pour Designers, avec une petite consonance orientale qui renvoie à la peinture Dihan. Car c’est le médium principal qu’ils utiliseront, durant huit ans, pour mettre des couleurs à une ville dont aujourd’hui il ne reste plus rien.

Passer les pinceaux à ceux qui restent pour colorer de nouveau Beyrouth...

Lana Chukri, cofondatrice de l’ONG Dihzahyners. Photo DR

Pour avoir toujours été une militante de la reconstruction, une inconditionnelle citoyenne libanaise, une amoureuse de cette terre et de son peuple, pour avoir contribué à embellir la ville, à nourrir l’espoir et à œuvrer afin de ne jamais baisser les bras, Lana Chukri partage avec les internautes sur son compte Instagram, tous les jours, une image de ce qui fut et qui n’est plus, et un texte en format « Reminder » ou « rappel », afin de ne jamais oublier, de « parler du Liban » et de pouvoir puiser de ce qui nous reste comme force pour reconstruire, une fois de plus… Mais qui est cette jeune artiste qui a cofondé l’ONG « Dihzahyners » ? La guerre civile fait des ravages quand les parents de Lana Chukri décident de quitter le Liban pour l’Arabie saoudite. « Mon père était prêt à tout, dit-elle, il glissait les CV sous les portes. » C’est au cœur de ce désert, loin de la culture et du monde de l’art, que Lana Chukri voit le jour. Elle y passera quelques années pour enfin revenir à ses origines, afin de poursuivre ses études. À l’AUB (American University of Beirut) d’abord, où elle suit des cours en histoire de l’art et théorie de l’art, aborde même la critique analytique. Forte de ses convictions que l’art peut tout, elle poursuit la voie qu’elle s’est tracée, et rejoint la LAU (Lebanese American University) pour une licence en graphic design. Elle se spécialise en création, et solutions dans le monde du design qu’elle aborde sous toutes ses formes. En 2011, elle est engagée chez Leo Burnett Dubaï où elle occupera jusqu’en 2014 le poste de directrice créative. Elle acquiert de l’expérience, s’occupe de campagnes publicitaires pour McDonald’s, Bel Group, General Motors, Jotun Paints, Samsung, P&G et Citigroup, s’adapte et s’épanouit dans son travail, et pourtant…


Des escaliers peints à l’initiative de l’ONG Dihzahyners. Photo DR


Avec une brosse à peinture, tout est possible

Parce qu’elle se sentait impuissante et redevable envers un pays qu’elle chérissait, parce qu’elle en avait le désir et l’envie, parce qu’elle était mue par une volonté de changer les choses, elle commence par créer un groupe sur les réseaux sociaux avec ses camarades d’université pour échanger des idées, réfléchir à des solutions. « Si au départ le sentiment de désespoir face à une situation désarmante nous a gagnés, la question la plus forte a été : mais que peut-on faire ? » indique la jeune femme. « Pour avoir reçu grâce à mes parents une éducation et une formation complète dans le monde de l’art, je me considérais comme une privilégiée de la vie. J’ai voulu absolument mettre à contribution mon savoir et mes capacités au service du pays. Le but de cette entreprise ? Embellir la ville, rendre le quotidien des citadins plus doux à vivre, et dessiner un sourire à chaque coin de rue », explique Lana Chukri. « L’inspiration de départ était une œuvre (Scala) réalisée par des artistes allemands sur une volée de marches au cœur d’une métropole allemande. Et voilà que s’instaure des échanges épistolaires pour débattre la possibilité de faire pareil à Beyrouth. Nous sommes en 2012 et le mouvement » Dihzahyners « naît à partir de cette inspiration », ajoiute-t-elle. Et qui dit inspiration dit souffle, stimulation de l’intellect et provocateur d’émotions. Voilà ce que Lana Chukri et sa bande de copains ont pour dessein. Pour elle, il n’était absolument pas nécessaire de fouler le sol d’un musée ou d’une galerie pour vivre une œuvre d’art. L’art peut être partout. La petite idée prend forme et la voilà qui fonde une ONG avec son partenaire Gebran Elias. En 2014, elle s’installe définitivement au Liban, et parallèlement à son travail en freelance où elle collabore avec un large éventail de clients, en industries telles que la musique et le divertissement, la nourriture et les boissons, gère une grande variété de projets multiformes impliquant branding, rédaction, stratégie créative et photographie, pour des start-up, des institutions locales telles que Souk el-Tayeb, Live Love Beyrouth, Senteurs d’Orient et la prestigieuse Qatar Foundation. Elle poursuit son rêve. Secondée par toute une équipe d’artistes venus de différentes écoles, ils vont s’approprier les espaces de la ville ; des cours d’écoles aux escaliers, des aires de jeux abandonnées, aux murs des quartiers, les brosses à peinture s’activent, l’énergie se répand, et le dynamisme laisse libre cours à la création, et aux projets qui redessinent le tissu urbain. Après l’inspiration, la voilà dans l’action pour enfin arriver à la réalisation. Car pour cette jeune femme déterminée, toute démarche artistique requiert ces trois moments importants. « Il nous suffisait, dit-elle, de voir le visage des habitants du quartier au petit matin, d’accepter les limonades et les jus que les habitants du quartier nous offraient, pour comprendre que nous avions touché l’absolu. » Désormais, rien ne l’arrête ! Elle organise des ateliers de travail, collabore avec des associations, Ayadina, Home of Hope, Live Love Beirut, Ahla fawda, etc… fait participer les enfants, les adultes et les groupes de bénévoles, obtient des sponsors pour la peinture, réalise des projets avec des équipes étrangères, jusqu’à se faire inviter à Madrid pour participer à une conférence TED. « Toute réalisation était accompagnée d’un événement qui l’honorait, musique et bonne humeur au rendez-vous. Cela s’apparentait de très près au bonheur », dit-elle.

Sur son compte Instagram, Lana Chukri partage des photos pour rappeler et ne jamais oublier. Capture d’écran Instagram


Et la couleur laisse la place au gris de la désolation

Et le rêve s’effondre, et les marches peintes à Gemmayzé ou Mar Mikhaël saignent et les murs tant caressés par la joie de vivre se démantèlent. À 32 ans, Lana Chukri regarde la jeunesse de 20 ans qui la sidère, de par son énergie, son dévouement, sa détermination, des sentiments qui l’habitaient il y a 10 ans. Mais la colère l’emporte. Épuisée de voir son travail se dissoudre dans un nuage de désolation, elle culpabilise face à cette envie de partir se ressourcer, recharger ses batteries et passer le témoin à la génération future. « Durant une semaine, dit-elle, mon cœur était comme vidé, je n’arrivais même pas à verser une larme, à faire mon deuil. J’ai donné mes plus belles années à cette ville, et lorsque je regarde les quartiers qui furent mon univers, ou ce qu’il en reste, je ne peux m’empêcher de me poser la question : Et si je n’étais jamais revenue ? La réponse est toute simple : Je ne regrette rien ! Je voulais faire la différence et ce moment-là inspirant, motivant, énergisant, et qui aura duré une dizaine d’années, aucun nuage chimique, aucune force malveillante, aucun plan machiavélique, ne pourra me le voler. Il est dans mon cœur. Alors partir ? Oui, juste pour avoir le choix, pour avoir un plan B, partir, pour souffler, partir avec le cœur en morceaux, mais partir pour avoir une deuxième chance, et surtout passer le flambeau à ceux qui restent, pour que jamais il ne s’éteigne. » Mais alors, qui va colorer de nouveau Beyrouth ?

lanachukri.me dihzahyners.com Instagram : LANACHUKRI


Pour avoir toujours été une militante de la reconstruction, une inconditionnelle citoyenne libanaise, une amoureuse de cette terre et de son peuple, pour avoir contribué à embellir la ville, à nourrir l’espoir et à œuvrer afin de ne jamais baisser les bras, Lana Chukri partage avec les internautes sur son compte Instagram, tous les jours, une image de ce qui fut et qui n’est plus, et...

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