Le recyclage et la réutilisation permettent aux industriels de réduire leurs coûts.
Le recyclage et la réutilisation permettent aux industriels de réduire leurs coûts. AFP

Face à la dévaluation et l’explosion des prix des matières premières, de plus en plus de producteurs libanais réutilisent et recyclent les contenants en plastique ou en verre pour rogner sur leurs coûts.

C’est le cas de la laiterie Jaber Jaber et Fils. Fondée en 1951 à Chtaura, l’entreprise a décidé d’offrir une réduction de 1 000 livres libanaises (LL) à ses clients pour chaque contenant en plastique et en verre qu’ils lui rapportent. «L’effondrement de la livre libanaise nous affecte énormément : auparavant, nous payions 300 LL le pot de plastique dans lequel nous vendions le demi-kilo de labné. Aujourd’hui, il nous revient à 1 250 LL», explique Bassel Jaber, un des dirigeants de l’entreprise familiale. «Or, ces emballages plastiques peuvent être réutilisés jusqu’à six fois sans compromettre la santé des consommateurs. Lorsque leur cycle de vie prend fin, on les vend à une usine de recyclage. Et pour le verre, cette contrainte n’existe même pas», note encore Bassel Jaber.

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Si le plastique et le verre ne sont pas les seuls postes de dépense en dollars – le lait est souvent payé en dollars même quand il provient d’une exploitation libanaise – Jaber Jaber espère diminuer ainsi ses coûts. « Nous faisons beaucoup d’efforts pour maintenir nos prix à un niveau acceptable. D’où l’intérêt de la réutilisation, qui permet aussi de réduire les déchets et préserver l’environnement », commente le responsable.

Dans la Békaa, d’autres entreprises lui ont emboîté le pas. Parmi elles, Wardy. Ce domaine vinicole, qui produit quelque 350 000 cols par an, reprend ses anciennes bouteilles à 1 000 livres l’unité. Lavées, elles sont réutilisées pour embouteiller la nouvelle production de vins et d’arak du domaine. « La bouteille en verre nous coûte en moyenne 0,40 dollar l’unité et représente une part considérable de nos dépenses. N’est-il pas plus intelligent de chercher à la réemployer plutôt que de l’envoyer à la décharge ? » note Sami Wardy, l’un des associés de l’entreprise.

Les limites de la réutilisation

Sauf que le réemploi n’est pas forcément une panacée comme l’illustre la déconvenue de Colonel. Le producteur de bière, de gin et de vodka, installé à Batroun, s’y est essayé avant de renoncer. «Sur le papier, l’idée est géniale. Dans les faits, la bière étant un produit fermenté, les bouteilles ont besoin d’un nettoyage très méticuleux, qui nécessite donc beaucoup d’eau, d’électricité et de produits importés eux-mêmes de l’étranger. Au final, le processus s’est révélé trop onéreux pour nous», déplore Jamil Haddad, fondateur de la marque.

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Mais Colonel n’abandonne pas l’économie circulaire pour autant. À défaut, le brasseur propose de “remplir” le gin et la vodka qu’il produit dans des bouteilles lambda ramenées par le client, en échange de 50% de réduction sur leur facture. «Nous achetons les bouteilles de verre en euros ou en dollars, sans compter le coût de stockage et de transport. C’est donc avec plaisir que nous décomptons ce coût à ceux qui viennent avec des bouteilles vides», ajoute Jamil Haddad. Le succès est au rendez-vous : en une semaine, avant l'explosion du port de Beyrouth, Colonel avait déjà rempli 600 litres de gin et de vodka. «Cela représente près de 60 % de nos ventes, la réduction attire de plus en plus de clients. Même certains bars et restaurants se mettent à acheter notre production dans des barils, ce qu’ils refusaient catégoriquement auparavant. Il y a un changement clair d’état d’esprit quant à nos modes de consommation», suppute-t-il.

La crise sera-t-elle le gage d’une prise de conscience ? C’est ce que veut croire Samar Khalil, membre de la Coalition de gestion des déchets (WMC). «Dans la hiérarchie de la gestion des déchets, il y a d’abord la minimisation de la quantité des déchets produite, ensuite la réutilisation et, enfin, le recyclage.» Pour elle, ces initiatives individuelles sont « une bonne idée d’un point de vue environnemental ». L’experte invite désormais le gouvernement «à mettre au point des politiques qui dissuadent les producteurs d’importer des matières premières qu’ils pourraient réutiliser, voire recycler.»